Pourquoi cette note minable
La session 2013 du Certificat de fin d'études élémentaires (CFEE) a coïncidé avec la généralisation du nouveau curriculum d’enseignement de base. Mal engagé cependant, cela a en grande partie provoqué l’hécatombe chez les candidats. De sorte que cette réforme suscite la réprobation des syndicats d’enseignants qui réclament son ajournement. EnQuête a fait le tour du problème avec des acteurs de l’Éducation nationale qui se rejettent la fiche pédagogique.
Sur le relevé de note du ministère de l’Éducation à l’issue du Certificat de fin d'études élémentaires (CFEE) de l'année scolaire 2012-2013, on pourrait sans surprise y lire ''médiocre, doit se ressaisir''. Avec 219 020 candidats à l’examen pour seulement 74 215 admis, soit 33,89% de réussite, le département connaît sans conteste l’un des plus faibles taux depuis la réforme de cette épreuve en 1987. La faute à qui? Les différents acteurs de l’éducation se rejettent la balle.
Au nouveau curriculum d’enseignement de base entré en vigueur cette année et qui met l’accent sur une nouvelle approche axée sur les compétences. Ce nouveau système vise à s’imprégner de connaissances inspirées du vécu de l’élève. L’ancienne méthode, basée sur une approche par les contenus, est désormais désuète pour les responsables du ministère de l’Éducation nationale. Mais cette ''révolution'' n’est pas du goût de syndicats et d'enseignants qui dénoncent une réforme faite dans l’impréparation. ''C’est seulement au mois de mai que nous avons connaissance du futur contenu de l’examen avec un examen blanc'', affirme Mouhamadou Sy, instituteur à Pikine.
Douze heures, en centre ville de Dakar, le soleil au zénith brûle les vieilles façades de couleurs jaunâtres du ministère de l’Éducation nationale. Les couloirs étroits du premier étage nous dévoilent une porte discrète qui cache le bureau du directeur de l’Enseignement élémentaire, Abdou Diaw. Celui-ci n’hésite pas à botter en touche, arguant que tout apprentissage est difficile dans l’application de cette nouvelle approche didactique. ''Ce nouveau programme d’enseignement, basé sur les approches par compétences, est le mieux à même de répondre aux exigences socio-économiques de notre société (…) La situation va s’améliorer avec le temps, car tout début est difficile, surtout la première année'', estime M. Diaw.
Cependant, de l'avis de Mamadou Faty, secrétaire général du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels/Authentique), ce faible taux de réussite s’explique par l’entêtement du ministère à imposer le nouveau programme, alors que les conditions de sa faisabilité ne seraient pas réunies.
Des enseignants abandonnés à eux-mêmes
''Beaucoup d’enseignants qui exercent dans les campagnes n’ont pas été formés au nouveau concept d’évaluation des élèves et sont restés avec l’ancien système'', renchérit son camarade Souleymane Diallo du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels).
Ce que conteste le directeur de l'Enseignement élémentaire, Abdou Diaw : ''Nous en sommes à la dixième année de l’application de ce nouveau programme, qui est en cours actuellement dans la plupart des pays d’Afrique francophone sous l’injonction de la Banque mondiale. L’ancienne méthode scolastique basée sur la restitution qui date de 1979 avait besoin d’être renouvelée'', déclare-t-il.
''Il y a un réel manque d’investissement et de volonté de la part des enseignants qui n’ont pas tous adhéré à la réforme du curriculum'', argue pour sa part Pape Amadou Seck, inspecteur de l'éducation au deuxième district des Parcelles Assainies de Dakar.
Manque de supports pédagogiques
Dix-neuf heures aux Parcelles Assainies, la pénombre vient de jeter son voile sur la banlieue dakaroise. Au détour d’une ruelle sombre se dresse un modeste pavillon. A l’intérieur de cette bâtisse, un jeune enseignant en sous-vêtement nous reçoit. Éducateur depuis plus de six ans, Mor Diop, teint noir et corpulence moyenne, se dit ''pas du tout surpris par les résultats''. ''La méthode est bonne en soi, mais elle ne peut être efficace que si elle est suivie de mesures d’accompagnement. Les enseignants sont livrés à eux-mêmes avec comme seul outil le manuel de pédagogie pour se débrouiller. Il faut aussi allonger la durée de la formation qui n’est que d’une semaine au niveau des inspectorats d’académie'', dit-il. La lampe à incandescence a du mal à éclairer la petite pièce qui lui sert de chambre à coucher. Du haut de son étagère, il nous montre un ouvrage de couleur marron de 300 pages sur lequel est inscrit ''Manuel de Pédagogie''. Ce livre lui sert de base pour élaborer son programme de travail portant sur des thèmes relevant du vécu quotidien de l’élève. D’un coup sec, il fait défiler les thèmes ou les ''Paliers'' qui dressent les idées générales des leçons et les objectifs visés, c'est-à-dire ce que l’élève doit tirer de cette leçon, ainsi que la durée des enseignements. ''Si les élèves arrivent à maîtriser le programme avec une quantité suffisante de manuels dans les écoles, nous pouvons être sûrs qu’ils y trouveront leurs comptes. Ces livres parlent de thèmes qu’ils rencontrent dans leur vie de tous les jours comme l’informatique, la préservation de leur environnement'', soutient-il.
''L’absence de manuels pédagogiques en nombre insuffisant et de cahiers d’intégration ou cahiers d’exercices sont préjudiciables à la bonne réussite de cette réforme. Mais on a quand même observé quelques succès comme à l’école primaire de Front de Terre qui a obtenu un taux de 56%'', relève l'inspecteur Pape Amadou Seck. Il faut généraliser les formations avec les animations pédagogiques une fois par mois et alléger le manuel d’exercices qui est trop surchargé pour les élèves qui se perdent dans les épreuves, indique-t-il tout en brandissant un bout de test d’examen blanc à la main.
Mais encore une fois, le directeur de l'enseignement élémentaire émet sur une autre note. ''Ces accusations sont sans fondement, car toutes les mesures ont été prises, avec une formation continue des enseignants par des inspecteurs formés, lors de deux séries de séminaires pédagogiques organisés annuellement'', rétorque Abdou Diaw.
A en croire les spécialistes, le programme va être bénéfique pour les enseignants qui pourront enseigner de la sixième au Cm2 sans trop de soucis, car le cycle sera le même. Plus besoin de former des enseignants pour telle ou telle classe, fait savoir l'enseignant Mouhamadou Sy.
Pour une plus grande efficacité, il est important de remédier au manque de cahiers d’évaluation ou cahiers d’exercices dans les écoles où on trouve parfois deux manuels pour quatre classes. Ils évaluent de manière séquentielle la compréhension des élèves sur les thèmes enseignées, ajoute M. Sy.
Les bons points du privé
Pourtant, du côté des écoles privées, la mayonnaise semble avoir bien pris. ''Nous avons un taux de réussite de 70%'', se réjouit Ndiambé Samb, conseiller pédagogique à l’école privée élémentaire Mame Diarra Bousso des Parcelles Assainies. Même s'il y a un bémol : ''Notre seul souci, ce sont les cahiers d’évaluations ou d’intégration qui sont en nombre limité (…); nous avons même songé à les faire acheter par les parents, puisqu’ils coûtent 1 250 francs l’unité''.
''Les bons résultats des écoles privées s’expliquent par le fait qu’elles ont beaucoup plus de supports pédagogiques, comme les cahiers multidisciplinaires qui permettent d’évaluer l’élève sur des matières dominantes comme le Français, la Géographie ou les Mathématiques'', avance Souleymane Diallo du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels).
Cela dit, les écoles sont confrontées à une pénurie de supports parce qu'obligées de passer commande auprès de la maison d'édition dont les stocks ne sont pas très importants. Ou parfois de s’approvisionner sur le marché. ''Je vends des manuels pédagogiques à 2 000 Cfa et des cahiers multidisciplinaires (à 3 500 Cfa) à des écoles privées qui viennent s’approvisionner chez moi'', confirme en effet Mamadou Touré, libraire au marché Sandaga.
Mamadou Makhfouse Ngom (STAGIAIRE)