Le patriotisme économique mis à rude épreuve
Cela se murmurait dans la profession, des confidences se susurraient de bouche à oreille ; certains y croyaient, d’autres demeuraient sceptiques tellement c’était gros. Pourtant cela s’est confirmé : le réseau de Touba Oil est effectivement repris par TOTAL Sénégal, filiale de la multinationale française TOTAL qui, discrètement, commence à dévoiler ses couleurs dans les stations qui arboraient l’effigie de cette ville sainte et dont l’enseigne renvoyait à cette confrérie et à son fondateur qui s’est toujours opposé à la domination étrangère.
A l’instar de Elton Oil Company, Touba Oil était jusque-là un symbole de fierté nationale, un patrimoine que tout Sénégalais s’appropriait si bien que sa reprise par TOTAL marque l’échec de l’entreprenariat sénégalais dans le sous secteur de la distribution des hydrocarbures qui pourtant, depuis l’avènement de Elton, marque des points d’année en année, réduisant considérablement la part de marché des majors. La tendance était presque irréversible.
Le tableau ci-dessous illustre à merveille l’évolution des parts de marché entre Majors et sociétés indépendantes nationales ou «Indépendants» pour reprendre l’appellation de ceux du Cartel.
La part de marché des «Indépendants», inexistante dans le Réseau Terre en 2000, amorce des frémissements à partir de 2001 et s’enclenche en 2005, grignotant des parts considérables aux majors qui, entre 2005 et 2012, perdent 25 points. La prise en main du secteur par les Nationaux s’inaugurait là.
Cette tendance s’est affirmée beaucoup dans le segment Pêche où les «Indépendants» dominent le marché depuis 2010, comme le montre le tableau ci-après.
Cette hémorragie devait être arrêtée et pour ce faire, TOTAL entreprend une reprise en main de ce qu’elle considère comme étant « une chasse gardée », réflexe « d’impérialiste » estimant cette envolée des Nationaux comme un crime de lèse-majesté. Aux dires de bon nombre de professionnels, la multinationale française aurait fait des tentatives de rachat de réseaux de distribution de certains « Indépendants ». Bizarrement, cette offensive coïncide avec le retour en force du capital français dans notre économie…
Le retrait de Touba Oil du Réseau de distribution des hydrocarbures découle certainement d’une analyse objective de la situation, des limites rencontrées dans le modèle économique où le propriétaire, après des années d’investissements soutenus dans le secteur de la distribution des hydrocarbures sans retour escompté et, confronté aux difficultés de la gestion opérationnelle de l’activité, a préféré se concentrer sur son métier de base, son « core business » que sont le gaz butane et le fer. Le choix est judicieux.
Seulement, nous regrettons que la reprise de son réseau ne soit pas confiée à une société sénégalaise à dimension certaine qui lui aurait assuré : la continuité de l’activité sous le Brand Touba Oil ; le développement de l’activité et la matérialisation des ambitions premières consistant à conférer à la société un statut d’acteur majeur de la profession ; une rémunération sur ses investissements et le fonds de commerce constitué ; in fine, continuer d’assurer l’autorité morale de la structure
TOTAL, avec presque 150 points de vente à travers le pays se trouve déjà dominante si bien qu’en se greffant le réseau de Touba Oil (plus d’une vingtaine), elle devient un mammouth, ce qui risque de fausser les règles de la concurrence. Et là, la responsabilité de l’Etat est entière dans son rôle de régulateur.
L’opposition forte du Maire de Dakar, M. Khalifa SALL à la cession d’une partie de la bande verte de la VDN à la multinationale pétrolière française TOTAL malgré les autorisations étatiques, est à saluer.
En France, bien que de Totalfina et Elf étaient des sociétés nationales, leur fusion a été encadrée par les Autorités pour éviter l’abus de position dominante du géant qui allait naître. Cette pratique devait inspirer nos gouvernants à mieux réguler le secteur et favoriser une concurrence régulière dans la profession permettant ainsi aux sociétés nationale de saisir les opportunités présentes.
C’est aussi cela le patriotisme économique.
Ameth GUISSE
Administrateur de Société.
Email : amathguisse@yahoo.fr