“L’arène sénégalaise vit une crise profonde”
S’il y a un homme qui croit en son étoile, c’est Yakhya Diop dit ‘’Yékini’’. Pour ce natif de Joal Fadiouth, sur la pointe de ses 40 ans, l’avenir n’est pas fermé malgré sa première défaite concédée face à un adversaire de taille, Balla Gaye 2, fils de Double Less, lui-même légende de la lutte sénégalaise. Si Yakhya Diop ‘’Yékini’’ est confiant de son avenir, ce n’est sans doute pas seulement du fait de son palmarès impressionnant (21 combats, 19 victoires, un nul et une défaite), mais surtout à cause du fait qu’il semble bien renaître de ses cendres. Debout sur ses 140 kilos (contrôlé devant nous), l’homme tout en muscles donne rendez-vous pour son prochain combat aux amateurs de lutte qui doutent encore de sa forme. Vaincu un certain avril 2012, pour la première fois de sa longue carrière qui a démarré en 1992 à Joal, le voilà qui revient sur son long parcours professionnel, tire les leçons, solde les comptes et se projette dans l’avenir. Pour la première fois, Yakhya Diop ‘’Yékini’’ parle de tout. De la lutte à la politique, en passant par les us de la société sénégalaise qu’il a passés au scalpel, le lutteur, né un certain 28 février 1974 à Joal-Fadiouth, son ‘’royaume d’enfance’’, évoque son avenir après la lutte. Connu au Sénégal, mais aussi au Niger, Nigeria, Burkina Faso, en France, aux Etats-Unis etc, le voilà qui espère marquer encore l’arène d’empreintes indélébiles avant de prospecter – pourquoi pas- d’autres horizons. Chez lui, sur la route de l’aéroport de Dakar, dans le quartier huppé des Almadies où nous l’avons trouvé, dans un immeuble qui porte le nom de son père Mamadou Diop, il ouvre ses carnets. Sans détour…pour EnQuête.
Merci d’avoir fait confiance à notre journal pour cette interview. On va démarrer par une question que se posent sans doute les amateurs. Depuis ta défaite face à Balla Gaye II, le 22 avril 2012, on ne t’a pas beaucoup entendu. Qu’est devenu Yakhya Diop ‘’Yékini’’ ?
Depuis lors, j’ai fait ce que je devais faire, c’est-à-dire analyser la situation, tirer les leçons de la défaite. Je suis donc allé me ressourcer, me soigner, me remettre d’aplomb en m’entraînant au quotidien. Et je crois que physiquement, tout est rentré dans l’ordre. J’avais pensé avec les proches que les soins allaient prendre plus de temps, mais je remercie Dieu de me permettre de revenir à mon meilleur niveau. Je Lui suis très Reconnaissant…
Et la confiance en soi, la sérénité que tu dégageais lors de tes combats les plus difficiles, n’est-elle pas aujourd’hui entamée après cette défaite?
La confiance en soi dont tu parles, je ne l’incarne pas seulement dans l’arène, c’est mon viatique. Elle est présente en tout ce que j’entreprends. Ce que je sais, c’est que j’ai combattu et l’on m’a défait, comme cela arrive à tous les champions. J’ai donc connu la défaite, comme tout champion la connaîtra un jour. Au-delà de cette vérité, vous vous rendrez compte que la confiance ne m’a pas quitté à mon prochain combat. Lorsque je reviendrai dans l’enceinte, tout le monde saura que c’est le Yakhya de 1997 qui est toujours là.
Mais la défaite n’a-t-elle réellement pas laissé de séquelles ?
C’est un grand journaliste qui, le premier, m’a envoyé un texto, pour me dire que c’est le destin de tout grand champion de connaître un jour la défaite. Et il a raison. Je ne peux pas égaler le palmarès de Mohamed Ali (boxeur américain) – sauf que je suis resté 15 ans sans défaite, ce qu’il n’a pas fait -, mais comme lui a connu la défaite, je ne puis y échapper. Et c’est bien, car on jasait beaucoup à propos de mon invincibilité. Il fallait donc que l’on me terrasse. Je pense après le recul que c’est une bonne chose.
N’as-tu pas tiré d’autres leçons, sur tes relations avec les hommes, ton entourage, par exemple ?
Il est vrai que les historiens occultent certains pans sombres quand ils restituent les faits, c’est pour ne pas blesser. Mais à quelque chose, malheur est bon.
Tu t’exprimes par parabole, peux-tu être plus explicite ?
C’est durant ces 2 dernières années que j’ai pu discerner mes vrais amis. Les conditions de ma défaite avaient bouleversé nombre de mes amis. Ceux qui étaient avec moi rien que pour la lutte, le sport, se sont dit : ‘’Ah ! celui-là, il est fini.’’ Ceux qui avaient lié amitié pour un intérêt matériel ont aussi pensé que la source avait tari. Ceux-là sont donc tous partis. Mais ceux qui étaient avec vous dans la franchise, votre amitié se renforce dans l’épreuve. Parmi ces derniers, je peux en citer un, il est là, présent. C’est un père, un oncle. (Ndlr, il pointe vigoureusement le doigt en direction de…). Il y a aussi d’autres membres du staff. Mais je peux dire que la défaite a du bon, comme du mauvais.
A bien vous écouter, on a l’impression que vous avez été victime de trahison quelque part ?
(Il coupe)… Je voudrais qu’on ne s’aventure pas sur ce terrain. Parce qu’après le combat, quand je devais revenir parler aux gens, je n’ai accusé personne de quoi que ce soit. Même s’il s’est passé des choses et que je me sois séparé de certains, c’est vrai. Ce que l’on ne pouvait cacher, c’est la maladie, puisque je suis resté 13 mois loin de tout, pour me soigner. Donc il fallait expliquer cette absence. Mais les problèmes de relations personnelles, les gens dont je me suis séparé, ça ne vaut pas la peine d’en parler…
D’aucuns ont dit que Yékini avait senti sa défaite venir en ce 21 avril. Est-ce la vérité ?
(Hochant la tête…). Ce n’est pas la vérité. Ce qu’il y a de réel, c’est que j’étais fatigué, d’une part, d’autre part, je traînais une douleur dont j’ignorais l’origine. Toutes choses qui ont pu être à l’origine d’un comportement inhabituel, pouvant faire croire qu’on avait senti venir la défaite.
Les gens ont beaucoup insisté sur cela et même sur la façon dont tu es entré dans l’arène…
Il y a eu sabotage quelque part mais je ne veux pas revenir là-dessus.
Aujourd’hui, c’est comme si c’est un nouveau Yékini qui arrive, qui a fait un nettoyage spirituel.
Vous ne vous en rendrez compte réellement que lorsque je combattrai à nouveau. Vous verrez…
Et c’est pour quand ce prochain combat ? Ta confrontation avec Eumeu Sène, Gaston ne l’a-t-il pas ficelée ?
Théoriquement. Il y a accord de principe.
Rien que cela ?
Rien de plus.
Qu’est-ce qui bloque dans les négociations ?
Cela peut être le promoteur… En tout cas, ça ne bloque pas de mon côté. Je m’entraîne tous les jours et si cela ne tenait qu’à moi, je lutterais aujourd’hui même. Mais peut-être que le promoteur n’est pas encore prêt.
Mais ce combat a-t-il un enjeu, vu la récente défaite de Eumeu Sène ?
Vu sous cet angle, moi aussi je reviens de défaite. Mais situation oblige. Je n’ai plus beaucoup d’adversaires potentiels dans l’arène. Je ne peux pas cracher sur Eumeu Sène, même si on peut ne pas combattre. En tout cas, je n’ai pour le moment pas de combat, aucun promoteur ne m’a donné un sou et je n’ai encore rien signé avec un promoteur.
Lors du dernier combat Eumeu Sène/Modou Lo, ton nom est souvent revenu dans le discours des membres du staff de Eumeu, pour dire que tu as soutenu Modou Lo.
Ce n’est pas le discours d'Eumeu Sène, qui me connaît très bien. Il fait même partie des lutteurs qui me connaissent le mieux.
De quelle manière ?
On partageait les regroupements de l’équipe nationale de lutte. Il a été par 2 fois sélectionné et il venait des fois passer la nuit dans ma chambre. Il sait bien que je ne vais pas le nuire. J’ai quand même le droit, lorsque mon jeune frère a un combat, de le conseiller en bien. Modou le mérite, parce qu’il me voue un grand respect et ne dit que du bien de moi. Rien ne l’obligeait à déclarer qu’il n’allait pas lutter contre moi. S’il avait lutté avec moi, ça lui aurait rapporté gros et s’il ne le fait pas, c’est par respect et amour. Ce qu’il me donne ainsi, je le lui rends au quintuple. Quand j’ai vu les journaux titrer : ‘’Ce que Yékini m’a dit avant le combat’’, j’ai tiqué. Parce que je ne lui ai pas dit grand-chose…
Mais qu’est-ce que tu lui as dit ?
Je vais répéter ce que je lui ai dit. Le jour du Maouloud, le matin, je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘’Les échanges verbaux d’avant combat, c’est fini entre vous. Quand vous serez dans l’enceinte, sois très vigilant, calme et serein.’’
Tu étais apparemment plus favorable à Modou Lo dans sa confrontation avec Eumeu Sène.
Nous n’avons pas les mêmes relations et je n’irais pas avec Eumeu jusque-là où je suis allé avec Modou. Mais je vous l’ai dit, Eumeu Sène me connaît trop bien, il sait quel genre d’homme est Yakhya Diop Yékini. Je ne favorise jamais quelqu’un au détriment d’un autre. Si je rencontrais aujourd’hui Eumeu Sène et qu’il veuille de mes conseils, je sais ce que je lui dirais.
Tu dis avoir conseillé à Modou Lo d’oublier les échanges verbaux, mais contre Balla Gaye 2, vous ne vous êtes pas ménagés. On ne vous a pas reconnu…
(Avec une moue désolée…) Contre Balla Gaye 2, je regrette certains propos. Mais je t’ai dit au départ la cause de ces écarts de langage : la fatigue et une douleur persistante. Même avec mon staff, j’ai eu des mots durs. C’est pourquoi après que j’ai repris mes esprits, je me suis excusé auprès d’eux. Quand on traîne une douleur, la moindre chose te fait sortir de tes gonds, mais ce n’est pas dans mes habitudes de mal me comporter avec les gens. Concernant Balla Gaye 2, on n’a pas de relations particulières, mais si je le rencontre, on échange des civilités. Ce n’est pas mon ennemi, mais tu ne peux non plus être ami avec tout le monde, à moins d’être un parfait hypocrite.
Mais puisque c’est lui qui t’a détrôné, il y a forcément une certaine inimitié entre vous
Ce serait ingrat de ma part d’avoir cette vision des choses. Je n’aime pas perdre, c’est vrai, et je ne dois pas perdre. Je ne dois pas perdre parce que je me nomme Yakhya. Quand Dieu donnait à Zacharia un fils, IL lui a dit qu’IL lui donnait le meilleur des fils. Et comme je porte le nom de Yakhya, je me considère comme le meilleur. (Il finit la phrase en rigolant…)
Comment vois-tu l’avenir de Balla Gaye 2 dans l’arène ?
Il peut faire ce qu’il veut dans l’arène. Il est fort, c’est un bon lutteur, fils de lutteur de surcroît. Il a aussi un bon staff.
On dit qu’il a un problème de discipline, qu’en penses-tu ?
Je ne peux m’exprimer sur ce sujet.
Une revanche face à Balla Gaye 2 serait intéressant pour l’arène, mais c’est comme si tout bloque, quand il s’agit de Yékini ?
L’arène ne peut pas être bloquée. Tous les lutteurs veulent lutter contre moi, mais c’est moi qui décide de dire contre qui je veux lutter. La lutte est un milieu imprévisible. On peut penser que mon prochain adversaire, c’est Eumeu Sène, mais cela peut être un autre. Le problème de l’arène, aujourd’hui, c’est un problème d’argent et non un problème d’adversaires.
Qu’est-ce qui explique cet état de fait, d’autant plus que l’argent coulait à flots dans l’arène ?
Ce que je sais, c’est que jusqu’à mon dernier combat, il n’y avait pas ce marasme et les cachets étaient bons. Les sponsors étaient là. Le plus puissant d’entre eux était naturellement Orange. Mais depuis ce jour, les choses ont régressé. C’est un long débat et chacun a son point de vue.
Et comment appréhendes-tu l’avenir de la lutte ?
Il y a lieu de revoir les choses, de réajuster. La crise est réelle et elle n’a jamais atteint ce niveau. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont fait dégénérer les choses.
Y compris les lutteurs ?
Les lutteurs n’y sont pas étrangers. Pas tous. Il en est de même des autres acteurs, tous ne sont pas responsables de cet état de fait. Autour d’un combat, gravitent promoteurs et lutteurs, avant de penser managers, ensuite CNG de lutte, journalistes et autres. Et si chacun se limitait à son rôle et l’accomplissait correctement, la lutte s’en serait porté mieux et aurait même dépassé ce stade. C’est mon intime conviction. L’annonceur ne cherche que l’image positive et quand il ne l’escompte plus, il a le droit de se retirer.
Est-ce que les lutteurs ne bloquent pas les choses, en limitant le champ de leurs adversaires possibles, souvent pour des raisons subjectives ? Certains disent : je ne vais pas lutter contre Yékini parce que c’est mon frère etc.
L’exemple que je te donne, c’est celui de Modou Lo. M’affronter ou ne pas m’affronter ne lui servira pas à grand-chose. Parce que le vœu de tout lutteur, c’est d’affronter et de défaire tous ceux de sa génération. Il peut voir les choses sous cet angle, mais la sympathie que l’on éprouve à l’endroit de quelqu’un ne se décrète pas. Mais les problèmes de l’arène, à mon avis, c’est que les promoteurs ont peut-être quelques difficultés, les sponsors se sont retirés. La solution est qu’il faut s’asseoir autour d’une table et revoir les choses.
La longue incarcération du promoteur Luc Nicolaï n’a-t-elle pas aussi impacté négativement sur l’arène, comme d’ailleurs certains le laissent croire ?
Si je me rappelle bien, ceux-là ne sont pas dans le milieu depuis longtemps. Lorsqu’on débutait notre carrière de lutteur dans les mbàppàt, à Joal, c’est Gaston Mbengue que l’on voyait à la télé organiser des combats. Je le dis, je ne suis favorable à aucun promoteur contre un autre, mais c’est ensuite que les autre sont venus, Luc Nicolaï, Petit Mbaye et les autres. Petit Mbaye a organisé beaucoup d’événements ici, mais quand il est parti, cela ne s’est pas senti. Donc je ne peux dire que l’absence de tel promoteur est la cause d’une régression dans l’arène. Parce que d’autres sont là et s’ils ont de bons sponsors, ils organisent des combats.
Certains promoteurs ont aussi leurs lutteurs préférés…
Voilà le gros problème. Vous venez de toucher la plaie du doigt. Chaque promoteur a son lutteur. C’est ce qui crée les clans. Je suis avec celui-ci, tu es avec celui-là et à un certain moment, si je veux traiter avec celui-là, c’est impossible. Tu vois des promoteurs organiser le combat d’un lutteur et avant la fin du combat, lui verser une avance pour un prochain combat, pour couper l’herbe sous les pieds des concurrents.
Tu parles de dessous de table là ?
Non, ce ne sont pas des dessous de table, c’est différent. Il s’agit là d’une opération pour écarter les autres promoteurs. C’est dangereux parce que cela amène des clans dans l’arène. J’en parle parce que cela ne m’est jamais arrivé avec un promoteur, car j’ai un staff responsable sans lequel j’aurais pu tomber dans ces travers. Aujourd’hui, tu vois des promoteurs qui ont leurs lutteurs, comme des reporters ont leurs lutteurs et ce n’est plus du sport. Le sport est noble alors que le clan n’est bon pour rien.
Ne faut-il pas des états généraux de la lutte pour trouver des solutions à tous ces problèmes-là ?
Qui doit faire cela ? L’Etat ? Que l’on m’excuse, mais l’Etat n’a jamais rien fait pour la lutte. En 2003, lorsqu’Abdoulaye Wade nous recevait, je faisais partie de la délégation. Il avait beaucoup promis. L’arène nationale dont on parle, j’ai entendu un reporter dire à la télé que ce ne sera pas uniquement pour la lutte. C’est bien que la lutte ait son infrastructure propre. Pour revenir à la question, je persiste que l’Etat n’a jamais rien fait pour la lutte.
Pourtant, des autorités viennent voir les combats de lutte et manifestent un intérêt…
(Il coupe…) Tu parles de quelles autorités ? Les politiciens ? Quand ils viennent dans l’arène, c’est pour faire de la récupération. Depuis toujours, ça a été comme cela. Espérons que le projet dont on parle aboutisse.
Quelle voie pour des solutions alors ?
S’il s’agit de parler à l’Etat, c’est le CNG que nous allons voir, il est délégataire de pouvoir. Mais pour moi, le CNG ne travaille pas. Je ne parle ni pour les lutteurs, ni pour les promoteurs. Mon avis est que le CNG n’a pas la posture qu’il devait avoir dans l’arène. On voit souvent dans l’arène des choses anormales et le CNG qui est seul habilité à légiférer croise les bras, donc sa responsabilité est engagée. Le problème de l’arène ne peut venir d’aucun lutteur. Comment moi, lutteur, puis-je causer des problèmes ? S’il y a dix personnes dans mon staff, il y en aura au moins une qui m’admonestera quand je ferai un impair. Et je cesserai alors de le faire, car c’est la lutte qui m’a tout donné. Ces gens qui se lèvent à 5h le matin pour se retrouver sur la plage de Diamalaye, ce ne sont pas eux qui vont créer des problèmes dans l’arène. Je peux concevoir qu’il y a crise aujourd’hui, mais n’accusons pas le lutteur.
Mais pourquoi les lutteurs eux-mêmes ne se retrouvent-ils pas pour gérer leur outil de travail ?
Il faut malheureusement admettre que ce n’est pas facile de mettre les Sénégalais ensemble pour qu’ils tirent dans la même direction, ce n’est pas facile. A fortiori, les lutteurs. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on parle de rassembler les lutteurs. Personnellement, j’ai assisté à trois tentatives, toutes des coups d’épée dans l’eau. Raison qui fait que si on m’invitait à une rencontre des lutteurs, je ne serais pas très chaud pour y aller.
Il faut qu’à côté du tableau sombre que tu peins, tu nous donnes une solution.
Je te l’ai déjà dit. Il faut que chaque acteur de l’arène fasse son autocritique : promoteur, lutteur, CNG et tous ceux qui gravitent autour de la lutte. Que chacun fasse ce qu’il doit faire et se limite à ses prérogatives et la lutte retrouvera son lustre d’antan. C’est ce que je pense être la solution.
Mais ce sera dans quel cadre, quelle structure ?
Tu sais, au Sénégal ; il y a beaucoup d’hypocrisie. On ne dit jamais ce qu’on pense et on fait toujours le contraire de ce qu’on avait dit. Ces rencontres me semblent donc inutiles. Mais si on lançait des convocations, je répondrais favorablement, sinon on le verrait autrement. Ce qui est sûr, c’est que les dirigeants de la lutte ont laissé faire. A propos du CNG, lors du dernier combat (Eumeu Sène vs Modou Lo), est-ce que ces lutteurs méritaient d’être sanctionnés par des retenues sur leurs cachets, au vu de ce qu’ils ont produit dans l’arène ce jour-là. D’abord le combat a tiré en longueur, ce qui est éprouvant, j’en sais quelque chose. Ensuite, il est certain que l’avance qu’ils avaient reçue avait été totalement dépensée. Ils ne méritaient pas de subir une ponction sur leurs reliquats.
Pensez-vous qu’il faille une autre structure que le CNG pour gérer la lutte ?
Ce n’est pas ce que je pense. Mais au moins, faut-il changer les hommes. On dit que c’est leur dernier mandat, mais combien de fois l’a-t-on dit ? Qu’on se dise la vérité : leur bénévolat, c’est du pipeau. On ne s’accroche pas à rien pendant vingt ans. Pourquoi limite-t-on les mandats du président de la République à 2 ? Parce qu’il travaillera les premières années et aura tendance à dormir sur ses lauriers ensuite. C’est le cas du CNG, qui a travaillé, puis s’est sclérosé. Le changement est souvent salutaire.
Un ancien lutteur, comme Yékini, ne peut-il demain se retrouver président du CNG ?
En tout cas, moi je n’y tiens pas. Le métier de lutteur, quand on en sort, je ne pense pas qu’il soit judicieux de se retrouver à un poste où tout le temps on va te critiquer. Les 22 dernières années, ce que j’ai entendu en bien ou en mal suffit à ma peine. Je n’ai aucune visée dans ce sens. J’aurais pu quitter le métier de lutteur pour embrasser celui de promoteur, quand même, car ce n’est que du business et cela me semble plus aisé. Quant à être membre du CNG, je n’y pense pas.
Si on est clair, la carrière de promoteur t’intéresse donc.
Oui, parce que c’est du travail… Et puis c’est normal. La raison est que moi et ceux de ma génération devons travailler à développer la lutte. Nous avons fait rêver tous ceux qui aspirent à embrasser le métier de lutteur.
On a l’impression que souvent, les lutteurs ont des problèmes de reconversion, comme Zale Lô. Ils ont du mal à arrêter à l’image de Mohamed Ndao dit Tyson.
La limite pour l’exercice de la lutte, c’est quarante quatre ans. Moi, je viens juste de fêter mes 40 ans, mais un jeune de 17 ans qui m’accompagne à la plage pour les entraînements ne pourra pas soutenir mon rythme. L’américain Georges Foreman a été champion du monde à 42 ans, alors que je pense être plus solide que lui, plus résistant. Toutes les choses dans la vie relève de ce qu’on appelle le destin. Vous avez parlé de Zale Lô, c’est peut-être son destin de sortir de la sorte, mais il fut des moments où l’on pensait qu’il pouvait être roi des arènes un jour. Cela ne s’est pas passé comme ça et c’est le destin, même si ce n’est pas ce qu’il a voulu. Je te fais une confidence : si j’essuie une autre défaite prochainement, ce sera mon dernier combat. On ne va pas me décompter des défaites dans l’arène. Et vous savez, mon précédent combat aurait été le dernier, si je l’avais remporté. Non que j’aie beaucoup d’argent, simplement que je ne ferai pas plus que je n’ai déjà fait.
Combien d’années comptes-tu rester encore dans l’arène ?
(Avec une moue fataliste…) Je ne peux plus rester longtemps dans l’arène. Il y a quelque chose que je veux faire et que je ne vous dirai pas. J’y travaille avec mon staff. En 2013, j’ai réalisé une performance, remplissant Demba Diop pour un tournoi de lutte sans frappe, du jamais vu.
Dites-nous : quel est le secret pour être champion et le rester longtemps ?
Rester au sommet de la gloire longtemps, à mon avis, n’est pas si important. Les lauriers, le plaisir, les honneurs, il ne faut pas trop s’y attacher, sinon on court vers notre perte. Mais pour rester le plus longtemps possible au sommet, il faut une bonne hygiène de vie. Quand les autres sortent 10 fois, toi tu ne sors qu’une fois. Tu t’entraînes sans relâche et régulièrement. Moi je ne reste sans m’entraîner dans l’année que pendant 10 jours.
A suivre...