''Les artistes m'ont mis à l'épreuve''
Et de dix pour le Festival de théâtre et du rire de Kaolack (Fest'rire). Un dixième édition à marquer d’une pierre blanche, cette année. C’est ainsi que pendant quatre jours, du 3 au 6 mai prochain, la capitale du Saloum s'éclatera comme jamais avec les artistes comédiens du Sénégal. C'est ce que promet en tout cas l’initiateur de ce rendez-vous culturel devenu majeur, Guédel Mbodj. Dans cet entretien avec EnQuête, il revient sur les hauts et bas de cette expérience, l’avenir du Fest’rire dont l'édition de cette année espère à l'ouverture, la présence du ministre en charge de la Culture, Youssou Ndour.
Qu'est-ce qui vous a motivé dans la promotion du Fest'rire ?
Je suis un natif de Kaolack résident à Dakar. Et, il y a dix ans, j'avais constaté que ma région n’avait pas d’événements culturels majeurs, qu’elle n’était pas inscrite dans l’agenda culturel du Sénégal. J’ai voulu changer ce fait. C’est ce qui nous avait amené à l’époque à créer le Festival du rire de Kaolack en réunissant tous les artistes comédiens autour de cet événement.
L'avez-vous initié en acteur du théâtre ?
Je suis plutôt chef d’entreprises. Je gère une radio communautaire, une agence de travail ainsi qu’un complexe hôtelier à Kaolack. C’est cela qui nous amène un peu à nous tourner vers le développement local.
Pourquoi pas un festival de musique ou de danse en lieu et place d’un festival de théâtre ?
Il fallait caler Kaolack dans le gotha culturel national. Pendant que les uns faisaient de la danse, d’autre de la musique et autres, nous on a pensé que le créneau du théâtre sied à l’histoire de Kaolack. On a voulu ajouter la connotation rire pour égayer le théâtre qui était dramatique. Bien que nous ne soyons pas acteurs culturels, on a voulu apporter notre touche avec le rire et c’est cela, je crois, qui a révolutionné le festival.
Après dix ans d'activités, quel bilan en tirez-vous ?
Un bilan très satisfaisant. Ce n’était pas évident, au début, qu’un Sénégalais se réveille et arrive à organiser un tel événement. C’est notre esprit de fighting qui est à la base de tout cela parce qu’on s’est toujours battu pour que cela réussisse. Nous avons aujourd’hui prouvé que c’était possible. D’autres Sénégalais pourraient faire de même : être au service de leur communauté en partageant ce qu’ils ont. Le Sénégal leur a tout apporté. Moi, je ne fais pas partie de ceux qui continuent toujours à réclamer quelque chose au Sénégal.
Vous avez quand-même rencontré des difficultés...
Je ne parlerai pas de problèmes. C’est une aventure qui s’était présentée à nous avec tout ce qui va avec dans ce genre de situation. Il y a eu énormément de choses. Les échos n’étaient pas favorables au début. Des gens ont pensé, au début, que je cherchais un tremplin politique, ensuite ils ont avancé des raisons pécuniaires. Je ne manquais pas de leur dire que si c’était pour de l’argent, je n’aurais pas choisi le théâtre et je ne serais pas à Kaolack aussi. Aujourd’hui, on a une petite fierté d’avoir rendu pérenne l’événement et de voir les populations adhérer à la manifestation. Mais la plus grande réussite de cet événement, c’est d’avoir réussi à unifier tous les artistes comédiens. L’Association des artistes existe dans toutes les régions et comptent 1200 membres.
Ceux qui parlaient de tremplin politique n’avaient-ils pas raison sachant que vous étiez candidat aux dernières élections locales, en 2009 ?
Cela s’est passé sept ans après. J’ai voulu m’impliquer dans le développement de ma ville. Je pensais avoir un rôle à jouer. Parce que le constat est là : aucune autorité politique n’est arrivé à développer Kaolack. Le autorités ne faisaient rien pour la visibilité de Kaolack. C’est par réaction à cela que je me suis présenté, c’était pour lutter contre cette politique de chaise vide que j’ai voulu être maire.
Revenons aux dix ans du Fest’rire. Dix Quelles sont les innovations de cette année ?
On avait voulu tenir cela aux dates habituelles (3, 4 et 5 avril, NLDR) malheureusement, avec les élections, on ne pouvait pas. On a décalé une première fois, puis il y a eu le deuxième tour. On a été obligé de changer une seconde fois. Cela a perturbé notre calendrier. Cette année, les femmes artistes ont voulu donner un cachet particulier au festival en organisant un ''tanebeer'' (séance de danse de sabar). On a saisi l’occasion pour créer un autre cadre pour permettre aux Kaolackois de la diaspora et ceux résidents de se rencontrer et d’échanger. Les musiciens et autres, aussi commençaient à se plaindre. Quand les femmes artistes m’en ont parlé, je me suis dit que c’est l’occasion d’organiser deux jours de tanebeer avec la participation d’artistes kaolackois comme Thio Mbaaye, Bakane Seck, Aziz Seck, Pape Ndiaye Thiopet, etc. Le tambour major résident prendra part aussi au spectacle. On a pensé à un feu d’artifice et un concours de régates. Les artistes comptent organiser un match de football avec les journalistes culturels. C’est l’occasion de rendre hommage à ces derniers qui nous accompagnent depuis dix ans et sont constants. Quand c’était difficile, ils étaient là. Et cette constance est très rare chez les Sénégalais. On a aussi pensé à un podium itinérant avec des artistes et la radio communautaire se chargera d’informer les Kaolackois de l’itinéraire.
L’année dernière vous aviez émis le souhait de faire participer des artistes Burkinabés et Ivoiriens à cette dixième édition. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je pense qu’on n’est pas assez matures pour cela. Il faut qu’on arrive d’abord à satisfaire notre population avant de penser aux autres, parce que ce sont des gens qui parlent français et ce n’est pas le cas pour nous, cela risque alors de poser problèmes. Nous ne sommes pas professionnels des grands événements, donc nous le faisons simplement pour que Kaolack ait sont jour dans le calendrier. Maintenant, je laisse aux autres de faire autre chose. Moi, je suis pour la promotion des artistes locaux. C’est ma priorité.
Le festival a atteint sa vitesse de croisière à de Kaolack, pensez-vous à le rendre itinérant ?
Non, du tout. Parce que l’objectif c’était d’arriver à domicilier cela à Kaolack. L’objectif était que Kaolack ait son jour comme Louga avec son Fespop, Bandafassi et autres. Mais à travers les différentes cellules de l’association, il arrive qu’on organise des week-ends dans certaines régions. Ce sont de mini-festivals qui permettent aux autres de vivre le festival.
Ne pensez-vous pas qu’il est temps, après dix ans, que les artistes prennent eux-mêmes en charge l’organisation de cette manifestation ?
Non, je ne suis pas d’accord. Je pense qu’ils doivent être encore accompagnés. Ce n’est pas leur rôle de jouer à l’administrateur ou au gestionnaire. Aujourd’hui, si ARCOTS [Association des artistes comédiens du théâtre sénégalaise] à su s’imposer, c’est parce qu’il y a quelqu’un qui est là et qui ne cherche pas à se faire de l’argent sur leurs dos. Ils savent qu’il n’y a aucun intérêt, ils m’ont mis à l’épreuve. Je crois que leur rôle est d'être sur le plancher et non de gérer des événements.
Les artistes se sont souvent substitués à vous pour décrier l’absence de soutien des autorités locales. Ont-ils été entendu ?
Comme pour les présidents de la République, l’autorité peut être culturelle comme elle peut ne pas l’être. On serait tombé sous l’ère Senghor, le festival aurait une certaine dimension. Les autorités culturelles ne sont pas culturelles. C’est toujours comme çà que cela se passe, cela pose quelques petits problèmes. On ne peut pas leur imposer quand même d’épouser ce caractère culturel, c’est un problème de goût. Peut-être qu’un jour on aura à la tête de la mairie quelqu’un qui s’intéresse à ce que l’on fait. Autrement dit des gens qui partagent le propos de Senghor selon lequel ''la culture est au début et à la fin de tout développement''. Nous nous savons que tout Kaolack attend cet événement. C’est la période de traite des motos Jakarta, pareil pour les vendeurs de cacahuètes. Il y aura un monde fou à Kaolack et il y aura forcément répercussions sur le pouvoir d’achat.
Comptez-vous sur le soutien du nouveau ministre en charge de la Culture, Youssou Ndour ?
Il y a deux ans, Youssou était l’invité de la huitième édition. Il avait fait un geste très honorable à l’endroit des artistes. Il leur avait même offert un chèque d’un million. Il avait mis tout son staff à la disposition de l’événement. Nous le connaissions alors qu’il n’était pas encore ministre, alors tout ce qu’il fera aujourd’hui ne sera pas une surprise, car il a déjà eu à s’impliquer et il connaît l’événement. Les artistes souhaiteraient, si son calendrier n’est pas trop chargé, qu’il soit à l’ouverture de cet événement.
BIGUÉ BOB