‘’Les Sénégalais ne sont pas conscients des désastres environnementaux’’
Amy Mbengue gagnait, il y a quelques jours, le premier prix de Great Entrepreneur, une émission de TV réalité diffusée sur la RTS1. Elle était en compétition avec une brochette de jeunes sénégalais porteurs de projet. Belle, jeune et écolo, la demoiselle qui a remporté la mise globale de 25 millions de FCFA avec son projet ‘’Ecobag’’ s’est confiée à EnQuête. Entretien.
Vous venez de remporter l’édition 2014 de Great Entrepreneur avec votre projet de transformation des déchets, Ecobag. Pouvez-vous nous parler de votre cursus ?
J’ai fais un BTS en action commerciale, une Licence en Economie/Gestion, option administration et gestion des entreprises et un Master en marketing… Bref, je suis un manager. Avant la fin de mes études, j’avais décidé de rentrer au Sénégal et de créer ma structure. Maintenant, dans quoi ? J’étais en train de réfléchir. J’avais quelques idées en tête, mais je ne savais pas exactement laquelle choisir… Le déclic a été de voir cette prolifération de sachets en plastique dans la rue. J’ai été à une manifestation religieuse et donc j’ai vu que les gens creusaient des fosses et mettait dedans des canettes, des sachets, des bouteilles en plastique… Et donc, je me suis dis voilà, cette idée je l’avais dès le départ mais c’est dans ça que je vais travailler.
J’ai commencé à faire mes recherches, et puisque j’ai une préoccupation environnementale très forte également, je me suis dit : « peut-être que ce ne sera pas pour demain mais il se peut qu’un jour on dise Amy, c’est en partie grâce à elle qu’on a eu des préoccupations allant dans ce sens. »
Pourquoi cet intérêt écologique ?
Quand on compare le Sénégal à la France, du point de vue environnemental, ça n’a rien à voir : les gens ont un ancrage dans tout ce qui est protection de l’environnement et sont plus conscients des désastres environnementaux.
C’est-à-dire que déjà dans nos résidences (NDLR : d’étudiants) on ne mélangeait pas les déchets, on les triait… Au supermarché, à un moment donné, on prenait des sacs réutilisables qu’on achetait… Pour dire qu’en Europe les gens sont conscients de toutes les conséquences que nos gestes peuvent avoir aujourd’hui sur notre environnement. Mais ici, au Sénégal, ce n’est pas le cas. On nous dit : ‘’il ne faut pas jeter dans la rue’’ mais on n’a pas de poubelles dans la rue… Ça, c’est déjà un problème. Les gens ne savent pas aujourd’hui que ce sachet là, si on le jette, il a une telle durée de vie et peut engendrer des conséquences néfastes sur la nature. Les gens ne savent pas parce qu’ils ne sont pas conscientisés. Y a pas de conscientisation, y a pas d’unité de recyclage…
En quoi consiste, concrètement, le projet Ecobag ?
Il s’agit d’une unité industrielle de recyclage de déchets plastiques. Les objectifs à court terme sont de recycler le plastique dure et le transformer en produits semi-finis et de le commercialiser. L’unité existe depuis 2011. La structure existe depuis cette date mais le démarrage effectif, c’est environ il y a un ou deux moins maximum. Actuellement, on en est au stade de la valorisation mais il y a une autre étape qui consiste en la production de produits finis à partir de cette même matière recyclée que l’on travaille…
On parle là de bols, de chaises etc. mais pas de sachets. Certes l’idée est venue des sachets plastiques mais puisque c’est un procédé un peu plus compliqué, là on démarre avec des chaises, tout ce qui est bassines, sceaux, cuvettes… Tous les ustensiles plastiques que vous retrouvez sur le marché.
On peut avoir des déchets post consommation, c’est à dire tous les déchets issus des ménages et qui ont été acheminés à la décharge, y en a certains qui n’iront pas jusqu’à la décharge et qui seront récupérés mais il y en a d’autres qui sont des déchets postindustriels… Ça peut être, par exemple, des produits qui ont un défaut de fabrication et qui ne peuvent pas être commercialisés. Nous, on les récupère et on les retravaille.
Et quels sont les produits que vous obtenez ?
Pour l’instant, les produits finis que nous sortons sont des granulés de plastiques destinés aux sociétés de transformation. On n’est pas encore en phase de production mais juste en phase de revalorisation. Ces granulés sont comme des microbilles que l’on prend par sac et qu’on met ensuite dans des mouleuses. On les commercialise tel quel à des sociétés de transformation plastique.
Comment était-ce de participer à une émission comme Great Entrepreneur ?
Au départ, ça m’a fait bizarre ! (rires) Pour le 1er tournage, j’avais beaucoup de mal parce que je n’ai pas l’habitude d’avoir comme ça une caméra en face… Mais bon, après ça a été passionnant, on va dire, parce que même si on était entre candidats et concurrents, il y a eu des liens très forts qui se sont développés entre nous ! Pour la plupart, on avait différentes activités mais chacun a trouvé quelque chose d’intéressant dans l’activité de l’autre… Y a des mises en réseau entre nous et ça a été très bénéfique pour tous et, en plus, on a pu bénéficier de formations, sessions de coaching et tout ça.
Et qu’est ce que l’émission vous a apporté, personnellement ?
Great entrepreneur, déjà en termes de visibilité, nous a beaucoup aidés. Parce que ce sont des émissions qui sont passée à la TV, ont été suivies un peu partout par des gens et on a eu pas mal de retours dans ce sens. Pour ma part, j’ai même été contacté par le ministère de l’Environnement et pas mal de structures auxquelles je ne pensais pas… Donc, d’un point de vue réseau, ouverture et facilitation, vraiment, ça m’a permis de faire beaucoup de choses. Le prix, financièrement, je prends peut-être ça comme un montant symbolique. C’est clair que par rapport aux besoins financiers que je peux aujourd’hui exprimer, ce n’est pas un montant très conséquent même si ce n’est pas zéro franc…
Donc, cet apport va au-delà de la question d’argent ?
Exactement, il ne faut pas qu’on oublie que l’émission nous a donné l’opportunité de faire des choses, en termes de publicité et de communication, qu’on n’aurait pas forcément eu la latitude de faire. Une façon de valider le projet, de le vulgariser surtout et de faire passer notre message de sensibilisation et l’éducation environnementale que j’ai envie de faire passer.
Aujourd’hui, au-delà de l’aspect pécuniaire, mon objectif c’est vraiment de mettre en place un plan de com très poussé sur ces aspect et ça coute de l’argent, je n’en ai pas les moyens et grâce à Great Entrepreneur, les gens savent que quand on prend une chaise ou un déchet plastique, on peut le recycler pour en faire ça ou ça.
Le jour de la finale, j’ai même ramené des produits finis pour illustrer et montrer au gens ce qu’on peut faire à partir de ces déchets là. Pas mal de gens maintenant savent que ces déchets qu’on amène à la décharge ont une valeur et, peut-être, au lieu de les amener à la décharge, ils peuvent les collecter et même les vendre. Parce qu’on sait que ça a un coût. Aujourd’hui, mon objectif ce n’est peut-être pas d’aller à la décharge mais d’organiser les ménages, de créer des circuits de collecte pour avoir ces déchets là à la source.
Et maintenant ? Que projetez-vous de faire ?
La prochaine étape, c’est d’investir dans un local plus décent et j’ai gagné un voyage en Grande-Bretagne, prévu pour le mois prochain, au cours duquel je pourrai échanger et éventuellement développer des partenariats avec des structures qui travaillent dans le même domaine, pouvant donc m’accorder un plus dans mon activité.
Par Sophiane Bengeloun