Publié le 16 Nov 2014 - 21:19
LIBRE PAROLE

Au sujet de la "pension" des anciens présidents de la République  

 

Dans sa livraison n° 590 du 23 octobre 2013, le journal « Libération » titrait « Macky revalorise le salaire mensuel de ses devanciers- 9 millions »  et avec  comme titre de l’article à la page 5 du même journal : « Revalorisation du traitement salarial de l’ancien Chef de l’État – A. Wade, un salaire de 09 millions FCFA/mois, un budget pour ses voyages et un véhicule ». À l’époque, après avoir parcouru l’article en question, ma première interrogation était de connaître la base légale qui octroie un salaire aux anciens Présidents de la République, alors qu’ils n’en bénéficiaient pas pendant qu’ils étaient en fonction. En plus, je doutais  de la fidélité de l’article par rapport à l’existence d’un décret octroyant aux anciens Chefs d’État une rémunération salariale.

Aujourd’hui, ce doute persiste encore dans mon esprit – mais à un degré moindre - après la lecture du communiqué non numéroté, ni daté ni signé et attribué aux services du Ministère de l’Économie et des Finances et publié par le journal « La Tribune » à la page 9 de sa livraison n° 724 du 03 mars 2014. Dans ce communiqué, il est écrit que «…Monsieur Abdoulaye Wade, ancien Président de la République, qui, suite à la revalorisation des indemnités allouées aux anciens Présidents de la République, reçoit en moyenne la somme de  9 700 000 FCFA par mois ». Ainsi, il ressort implicitement de ce communiqué non authentifié  que c’est un décret qui a procédé à la revalorisation des « indemnités » des deux anciens Chefs d’État.

En ce qui concerne la « pension » à verser aux Présidents de la République sortis de fonctions, je me pose quatre questions essentielles dans la présente contribution:

·     Pourquoi le décret ayant revalorisé les « indemnités » des anciens Présidents de la République n’a-t-il  pas été publié dans le Journal officiel ?

· Les dispositions de la loi n° 81-01 du 29 janvier 1981 fixant la dotation des anciens Présidents de la République sont-elles correctement appliquées ?

· Les prévisions budgétaires dans la loi de finances de l’année concernant la « pension » des anciens chefs d’État sont-elles conformes à la réalité ?

·  Est-il du domaine règlementaire de fixer le montant des avantages pécuniaires à allouer aux anciens Présidents de la République ?

I)   La publication du décret  au Journal officiel est une exigence légale et de transparence

Il y a  lieu de déplorer le fait que le décret en cause n’ait pas été publié dans le Journal officiel pour trois raisons. La première raison est que la loi n° 70-14 du 6 février 1970 fixant les règles d’applicabilité des lois, des actes administratifs à caractère règlementaire et des actes administratifs à caractère individuel fait de la publication un préalable, sauf cas d’extrême urgence. La deuxième raison est que la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques pose, entres autres, comme exigence le respect de la légalité et de la transparence des opérations budgétaires.

En effet, aux termes du paragraphe 4.4 de l’annexe dudit Code, il est stipulé ce qui suit : « Aucune dépense publique ne peut être engagée et payée, si elle n’est pas préalablement définie dans un texte législatif ou règlementaire adopté et publié[1] ». La troisième raison est que ce défaut de publication  nous retourne à la pratique des « décrets secrets » initiée par l'ancien Président Abdoulaye Wade, avec notamment les décrets non publiés octroyant, en violation de la Constitution et  des lois en vigueur, des rémunérations à de hauts fonctionnaires et à des magistrats ainsi que des pensions sous forme de rente à d'anciens chefs d'institutions constitutionnelles et, semblerait-il, à d’anciens généraux de l'Armée.

II)   Les dispositions de la loi n° 81-01 du 29 janvier 1981 fixant la dotation des anciens Présidents de la République ne semblent pas être respectées

Sauf disposition législative contraire et conformément aux dispositions de la loi n° 81-01 du 29 janvier 1981, les Présidents de la République qui cessent leurs fonctions bénéficient de « l’attribution viagère d’une dotation annuelle » qui n’est autre qu’une pension ainsi que d’une «allocation d’avantages en nature [2]».

Le montant de la dotation 

D’après l’article premier alinéa 1 de la loi du 29 janvier 1981, le montant de la dotation annuelle est fixé par référence au traitement afférent à l’indice le plus élevé attribué aux agents de l’État.

Quel est aujoudhui l’indice le plus élevé des agents de l’État ? Pour répondre à cette question, il convient de s’entendre sur ce que signifie la notion d’agent de l’État dans l’esprit des rédacteurs de la loi de 1981. En effet, le législateur voulait-il parler de l’agent de l’État pris au sens strict, ou bien au sens large en y incluant les fonctionnaires , les magistrats et les militaires qui ont des indices hors hiérarchie. A l’heure actuelle,si on se limite uniquement aux agents de l’État au sens strict, le montant de la dotation correspondrait au traitement d’un conseiller référendaire de la Cour des comptes avec l’indice 4580[3]. Avec une valeur de point indiciaire égale à 51,429 FCFA,l’indice grade 4580 correspondrait à une solde brute de près de 366 000 FCFA.[4] Par contre, si les fonctionnaires et les  magistrats hors hiérarchie sont inclus dans le terme « agents de l’État », le montant à prendre en considération serait celui correspondant à l’indice grade hors hiérarchie fixé à 1097[5]. Cet indice équivaut à une solde brute de 501.000 FCFA pour une valeur de point indiciaire égale à 306,806 FCFA[6].

À la dotation annuelle, le législateur  a ajouté une indemnité égale à « l’indemnité la plus élevée allouée aux  agents de l’État»[7]. Quelle est l’ndemnité la plus élevée? N’est-elle pas l’indemnité de contrôle des Inspecteurs généraux d’État ou bien l’indemnité de judicature des magistrats fixée à la somme de huit cent mille francs CFA (800 000) ?

En résumé, d’un point de vue légal, le montant des sommes à verser aux anciens Présidents de la République est égal au montant du traitement afférent à l’indice le plus élevé attribué aux agents de l’État plus le montant de l’indemnité la plus élevée allouée aux  agents de l’État. À ces deux avantages pécuniaires, il s’y ajoute des avantages en nature.

Les avantages en nature

Les Présidents de la République qui cessent fonction ont droit aux avantages en nature ci-dessous (alinéa 2 de l’article premier) :

 - une résidence avec les prestations en nature correspondantes,

- les services d’un secrétaire particulier,

- les services d’un aide de camp.

Le législateur est resté laconique sur le décret d’application prévu à l’alinéa 2 de l’article premier de la loi, se bornant simplement à dire « Dans les conditions fixées par le décret, …. ». En principe, ce décret devrait se limiter à préciser les conditions de mise à disposition des personnels concernés (secrétaire et aide de camp ) ainsi que les conditions d’occupation de la résidence et ne devrait pas avoir pour objet de fixer la rémunération des personnels mis à disposition ; le contrat d’embauche ou le statut auquel appartient chacun des agents concernés définit déjà le régime salarial de ces derniers.Toutefois rien ne s’oppose à ce qu’un décret intervienne pour  leur octroyer une indemnité de sujétion ; mais ne faudrait-il pas que le principe soit posé en des termes clairs par la loi ?

III)  Les prévisions budgétaires dans le projet de  loi de finances de 2014 ne reflètent pas la situation décrite dans le communique attribué aux services du Ministère de l’Économie  et des Finances

Dans le projet de loi de finances de 2014, il ressort du tableau justificatif des inscriptions des dépenses de personnel de la Présidence de la République, au niveau du chapitre 11011001011, article 61 du titre 2, des prévisions budgétaires d’un montant de 12 040 000 francs CFA pour deux anciens Présidents de la République soit 6 020 000 francs pour chacun des deux anciens Présidents, ce qui correspond à un montant mensuel de 501 666 francs CFA  qui est très éloigné des 9 700 000 FCFA mentionnés dans le communiqué attribué au Ministère des Finances. Il se pose la question de savoir à quoi correspondent les dotations  budgétaires votées pour 2014 par le Parlement et si elles sont sincères.En l’absence d’autres dotations, tout mandatement sur la base des nouveaux taux aurait été effectué en toute illégalité.

Au-delà des développements qui précèdent, une question fondamentale demeure : est-il du domaine règlementaire de fixer les avantages des anciens Présidents de la République?

IV) La fixation des avantages des anciens Présidents de la République  relève de la compétence du pouvoir législatif

En l’état actuel du droit, je ne  pense pas  que la fixation ou la modification des avantages des anciens Chefs d’État relève de la compétence du pouvoir règlementaire. En effet, à ma connaissance, le Conseil constitutionnel n’a pas déclaré que la loi du 29 janvier 1981 peut être modifiée par décret en vertu de l’article 76 de la Constitution.

Il m’est d’avis qu’en interprétant l’esprit du législateur de 1981, l’on doit retenir à propos du décret visé dans l’expression ci-après de l’alinéa 2 de l’article premier : « Dans les conditions fixées par le décret, ils bénéfient, en outre, de l’indemnité la plus élévée allouée aux agents de l’Etat, des services  d’un aide de camp et d’un secrétariat….. », qu’il s’agit d’un decret à prendre pour préciser:

-d’une part, selon le droit existant, le montant de l’indemnité la plus elevée allouée aux agents de l’Etat qu’il convient d’ajouter à la dotation annuelle visée au premier aliéna de l’article premier de la loi de 1981,

-et, d’autre part, les conditions d’utilisation des personnels mis à dispostion.

En conclusion, il revient donc au Parlement de légiférer sur les montants des avantages pécuniaires des anciens Présidents de la République sinon le versement d’une quelconque indemnité sur le fondement d'un décret constituerait une entorse à la légalité.

Il m’est d’avis que le texte de la loi n° 81-01 du 29 janvier 1981 fut très mal rédigé, sans parler de sa non-conformité avec le contenu de l’exposé des motifs. En effet, l’exposé des motifs énumère des avantages en nature non repris dans le corps de la loi.  Il s’agit de :

· l’affectation de véhicules de fonction (c’est le pluriel qui est employé d’où la possibilité de leur allouer plus d’un véhicule) et sans qu’il soit précisé si l’affectation des véhicules de fonction se fait  avec ou sans chauffeur ;

·  la prise en charge des déplacements à l’étranger, sans précision de la nature des déplacements concernés. En principe, les déplacements privés à l’étranger ne doivent pas être mis à la charge des contribuables sénégalais ;

· la prise en charge des soins médicaux, sans précision des modalités de prise en charge ;

· la garde de leur personne et de leurs biens ; mais, faudrait-il que les biens concernés aient été déclarés à la sortie de fonction.

En passant,nous retenons de la loi de 1981 que l’État a l’obligation de donner une résidence aux anciens Chefs d’État (sauf s’ils y renoncent). La question que je me suis posée est de savoir comment l’État compte s’y prendre : va-t-il procéder à une location ou va-t-il construire des résidences présidentielles ? S’agissant de la seconde option, il convient de noter qu’il n’existe presque plus de réserves foncières pouvant accuellir des résidences privées dignes des anciens Chefs d’État, ceci en raison de la gestion catastrophique constatée ces dernières années au niveau  du domaine privé de l’État.

Enfin, j’estime que le législateur devrait réexaminer toutes les dispositions de la loi de 1981 et, en particulier, éclaircir les points d’ombre qu’un décret présidentiel ne devrait pouvoir régler, notamment le régime fiscal applicable aux sommes versées entre les mains des anciens Présidents de la République.

Ampliation:

          Madame le Premier ministre

           Monsieur le Ministre délégué chargé du Budget

                                             Mamadou   Abdoulaye Sow

                                                  Inspecteur principal du Trésor à la retraite, ancien ministre

 

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