Les denrées importées sauvent la mise

HAUSSE POMME DE TERRE ET OIGNON AVANT KORITE
Taille basse, robes, broderies d’un côté ; denrées alimentaires à la hausse de l’autre ; la capitale sénégalaise renoue avec cette effervescence purement festive à l’approche de la Korité. Le Dakar de la couture est dans tous ses états au marché HLM où les tissus ‘tile’, ‘brodé’, ‘diezner’ etc., ont la cote chez une clientèle féminine, tandis qu’à Tilène, la hausse des prix sur les denrées alimentaires met les clients sur les dents. Malgré cet état de fait, les consommateurs achètent, tout en déplorant la cherté. Les vendeurs accusent les fournisseurs, les ‘‘fashion-victims’’ prennent leurs mesures, et la fête de Korité s’annonce divisée, mais agréable.
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La pomme de terre importée de France et du Maroc fait fureur aux marchés Tilène et Fass, où l’oignon local, inabordable, continue de dicter sa loi. Configuration similaire avec la volaille, avec un ‘poulet du pays’ intouchable, contrairement aux autres espèces.
Mame Mor Fall peste contre une cliente fortement dépigmentée qui, après un marchandage de quelques minutes, a préféré aller voir ailleurs, indignée par les prix qu’elle trouve prohibitifs. ‘‘Il ne fallait pas marchander, si tu savais que tu n’allais pas acheter’’, lance-t-il à la dame qui, le dos tourné, a préféré faire la sourde oreille. Mais le vendeur de légumes reprend vite contenance avant de taper de ses mains et entonner une chanson pour ameuter une probable clientèle, essentiellement féminine, qui se faufile entre les interstices étroits du très couru marché de Tilène. Sur son étal surmonté d’un imposant parasol, des tas de pommes de terre, des sacs d’oignons, des sachets d’ail, d’épices, et toutes autres sortes de légumineuses débordent. Le visage du jeune Baol-Baol est transfiguré par le sourire quelques instants plus tard. Une autre cliente sort un billet violet de 10 000 F Cfa pour quatre kilos d’oignons et autant de pommes de terre, sans coup férir devant les prix du vendeur. ‘‘C’est extrêmement cher depuis l’approche de la korité, mais que faire ? Il faut bien faire plaisir à la famille et cela n’a pas de prix’’, se résigne Arame Ndao. Mais Mame Mor se défend très vite de cette flambée des prix qui devient systématique en perspective des célébrations populaires. ‘‘Nous les acquérons chèrement auprès des fournisseurs, donc il est normal qu’on essaie de les revendre assez cher. C’est logique ’’, lance-t-il.
Un sac à 7 000 F Cfa et le kilo à 350 francs sont les prix en cours à Tilène. Dans cette allée de ce marché, c’est à même la chaussée que les détaillants exposent leurs marchandises. Sans les fortes pluies de l’avant-veille, mardi, la chaleur aurait été plus accablante avec une circulation automobile lente et ponctuée de klaxons furieux sur l’axe perpendiculaire menant au stade Iba Mar Diop. Trois ou quatre jours avant la fin du ramadan, le marché fait honneur à sa réputation. Les produits locaux coûtent cher et ce sont les marchands et clientes eux-mêmes qui font ce constat amer. ‘‘Malheureusement, c’est toujours comme ca, explique Mame Paya Dia, et c’est nous les consommateurs qui payons le prix fort’’, déplore cette mère de famille qui ne comprend pas cette hausse.
La situation est nettement moins frénétique au marché de Fass, mais en ce qui concerne les prix, la différence est presque insignifiante. Ousmane Kanté, vendeur et ancien cultivateur, explique que ce sont les cultivateurs qui se livrent à cette prévarication. ‘‘Ils font de la spéculation en gardant l’oignon en temps normal pour pouvoir hausser le prix à l’approche des fêtes’’, dénonce-t-il, invitant les autorités du commerce intérieur à homologuer les prix à l’approche des cérémonies. Dans son grand magasin en forme de kiosque bleu achalandé de denrées alimentaires, Ousmane Kanté se hasarde même à un pronostic selon lequel les prix vont baisser juste après la korité pour flamber de nouveau avant la Tabaski. Il confirme que l’oignon local est intouchable. ‘‘Le kilogramme est à 400 F Cfa et 350 francs/kilo si on vend en gros, c'est-à-dire le sac de 25 kg, soit 8 700 F cfa’’, déclare-t-il.
Un trimestre auparavant, ce même produit était à ...125 F Cfa le kg, fait-il savoir. Un écart important que le vendeur ne s’explique pas, d’autant plus que le sac de 25 kg de l’oignon français s’écoule à 4 800 F Cfa. Résultats ? ‘‘Les clientes se jettent sur les produits importés. Et sur ce point, la pomme de terre en provenance du Maroc et de l’Hexagone sauvent la mise pour une clientèle au bord de l’asphyxie monétaire. Pour 350 F cfa le kilo venant de France et 400 francs pour celle venant du royaume chérifien, ‘‘les clients y trouvent leur compte’’, estime Ousmane Kanté.
La volaille plume les clients
Pour les poulets, la situation est nettement moins compliquée, même s’il existe des similitudes locales. Ainsi, il faut être prêt à se faire plumer pour acquérir un ‘poulet du pays’, jusqu’à deux fois plus cher que le poulet de chair ou les pondeuses. 5 000 F Cfa pour une unité déjà déplumée et ensachée et 3 000 F Cfa pour l’espèce vivante. Malgré son poids plume, à peine plus d’un kilo, le vendeur Ablaye Ba estime que ‘‘sa rareté, sa facilité à fondre, et son côté digeste le rendent si cher’’. Les pondeuses s’écoulent à 3 000 F Cfa et le poulet de chair à 4 000. C’est à l’intérieur du marché Tilène que l’on trouve les fournisseurs de volaille.
Après les étals parfumés d’encens et de jasmin, place à un véritable poulailler à ciel ouvert. De jeunes hommes s’affairent autour de hauts-fourneaux sur lesquels trônent des grands récipients en métal. Les poulets, passés au fil du couteau selon le rite musulman, sont aussitôt immergés dans ce bain incandescent. Ils sont retirés après quelques secondes par les pattes pour un ‘déplumage’ express avant un rinçage à l’eau froide. Pour cet extra, qui coûte 200 F par unité, beaucoup de jeunes ont trouvé une occupation pour la fête. Malgré des prix moins accessibles que les poulets vendus par les marchands établis sur les artères, Ablaye Ba dit vendre jusqu’à une centaine de volailles quotidiennement.
Pour les bourses légères, elles trouvent convenance dans les ruelles du marché où les poulets ‘prêt-à-acheter’, dans des sachets jaunes à 2 000 F Cfa l’unité, et le coquelet vivant à 2 500 attirent la clientèle, confirme un vendeur ambulant qui se fait appeler Ass. ‘‘De toute façon, dans ce marché, la volaille existe selon les disponibilités financières de chacun’’, déclare-t-il.
OUSMANE LAYE DIOP