''Il a fallu faire des sacrifices et taire des choses...''
Trouver à l'hôtel Brazerrade où logeait l'équipe nationale féminine, le coach des Lionnes, Bassouaré Diaby, est revenu sur la qualification historique de sa sélection. Le technicien est revenu sur son combat pour le foot féminin et sur les moments de souffrance.
Bassouaré Diaby, on vous identifie plus à la sélection féminine, pouvez-vous nous parler de votre parcours sportif ?
J'ai vraiment commencé mon parcours sportif en 1990 à Saint-Louis où j'avais les petites catégories avec les juniors de la Linguère. Après, j'ai entraîné le Guet Ndar Mol. J'ai été aussi responsable de sélection régionale toujours dans la ville de Saint-Louis. En 1999, j'ai installé le premier club féminin de Saint-Louis avec le lycée Ameth Fall ; un an après, je l'ai étendu dans toute la ville. En 2002, j'ai bénéficié d'une bourse en Allemagne pour faire la licence A dans la Bundesliga (championnat allemand) pendant six mois. Quand je suis revenu, j'ai continué avec les filles car pendant mon absence, la première équipe nationale féminine était dirigée par Salam Lam (actuel coach de l'Uso). C'est en 2004 que l'on m'a confié l'équipe nationale et depuis lors, je suis toujours en poste. Entre-temps, j'ai entraîné la Linguère de Saint-Louis (actuel L1) quand elle était en deuxième division, et c'est Amara Traoré qui m'a remplacé la saison d'après. J'ai fait aussi des diplômes d’entraîneur étrangers en Allemagne, et un diplôme de haut niveau au Togo par le biais de la Confédération africaine de football (Caf) ; j'ai fait des cours d'instructeur de football féminin à Praia (Cap-Vert) également.
Que représente cette qualification historique à la CAN pour vous ?
(Il coupe). Ça représente beaucoup de choses pour moi, car depuis 2004, j'ai cherché comment améliorer l'équipe nationale. Ça représente pour moi l'accomplissement d'un rêve, parce que pour moi, c'était de savoir s'il était possible de qualifier le Sénégal avec toutes les difficultés qu'on rencontre dans le football féminin. Dieu a exaucé nos prières, c'est un rêve accompli, je suis très comblé, surtout pour les filles.
À quoi avez-vous pensé quand Mbayang a marqué le penalty décisif ?
J'ai eu un sentiment partagé entre la joie et tout le travail qui nous attend désormais. Quand je pense aux filles, je ne pense pas aux 22 qui ont gagné le Maroc, je pense plutôt à toutes ces anciennes qui sont, pour certaines, dans les foyers aujourd'hui. Il y en a deux qui m'ont appelé d'Italie, une autre de France, des joueuses qui étaient là, d'autres joueuses qui sont au Sénégal dans leur foyer, qui se sont battues pour mettre l'équipe nationale en place. Je pense à tous les responsables qui étaient là. À Mlle Françoise Seck qui était la responsable du football féminin, à Dr Ngom, à Mme Diandi. Aux responsables de club, aux entraîneurs de club, à toutes ces personnes qui ont monté ce football. Je pense à toutes ces personnes. Je ne peux pas oublier l’État et la fédération qui ont beaucoup aidé, même si l'on demande encore plus de moyens.
Après la qualification, avez-vous repensé à tous les moments difficiles traversés ?
Bien sûr ! J'ai repensé à tous ces moments, j'ai repassé le film dans ma tête. Comme en 2004 quand le Nigeria nous battait 8-2. Je pense au jour où on devait rencontrer la Côte d'Ivoire en 2006, et on n’avait pas joué depuis six mois faute de championnat. On est entrés en regroupement un mercredi matin et nous avions fait notre premier galop d’entraînement et, deux heures après, la Côte d'ivoire débarquait d'Abidjan avec deux mois d'avance de préparation. Le match devait se jouer le samedi qui suivait. Dans ces conditions, je voulais jeter l'éponge, j'étais découragé, mais il fallait faire des sacrifices. Pour bâtir ce football, il a fallu faire des sacrifices. Parfois taire des choses ou encore ne pas tout dire, sinon tu seras envahi par le découragement et quand il y aura des résultats, tu ne seras plus là. Il faut faire des sacrifices, fournir des efforts, négocier avec les gens. En gros, il faut savoir faire du management pour avoir ce résultat aujourd'hui.
On a l’impression que même après cette qualification, le plus dur reste à venir ?
C'est certain que le plus difficile reste à venir. On va rencontrer de grosses pointures (Nigeria, Afrique du Sud, Guinée Équatoriale...) et ensuite, on a peu de temps pour se préparer. Le temps est contre nous, on a que 4 mois. Rien que pour préparer ce match, ça nous a pris 4 mois pour une qualification à la CAN. Donc si on veut réellement faire quelque chose là-bas, et représenter le Sénégal honorablement, il faut se mettre déjà au travail. C'est un autre niveau de jeu qu'on va trouver sur place.
Pensez-vous renforcer l'équipe ?
(Catégorique). Oui, on va renforcer l'équipe avec quelques expatriées qu'on a ciblées. On est en contact avec elles, avec la famille, les parents, pour les convaincre de venir. Avec cette qualification, les autres filles qui étaient hésitantes et qui ne savaient pas s'il faut choisir la France ou le Sénégal vont se signaler. On ne peut pas donner de nom pour l'instant, on est en négociation et je préfère taire les noms. L'un dans l'autre, on va essayer de renforcer l'équipe, revoir le secteur offensif parce que l'équipe est bien sur le plan défensif.
Cette qualification peut aider à l'amélioration du football féminin au Sénégal ?
(Il se répète). C'est sûr. Il y a eu un changement depuis samedi et chaque jour, d'ici la CAN et après même, il y aura beaucoup plus de visibilité ; les médias vont beaucoup s’intéresser aux filles et au foot féminin. Il y aura une grande publicité.
Comment va se préparer cette Coupe d'Afrique ?
Dès mardi ou mercredi, je vais élaborer un plan programme en place et le proposer à la fédération tutelle et au ministère des Sports pour essayer de trouver comment dérouler le programme de la préparation.
Quelles seront vos ambitions à la CAN ?
On va d'abord pour apprendre, pour découvrir ; n'empêche qu'on va bien se préparer pour représenter dignement notre pays. On va mettre à profit toutes les opportunités qui se présenteront mais on va d'abord pour découvrir et prendre tout ce qui se présentera devant nous.
Que peuvent espérer les filles sur cette CAN ?
Elles (les filles) seront beaucoup plus motivées par l'idée de rencontrer de grandes équipes. Elles seront beaucoup plus médiatisées et elles vont savourer tout le travail qui a été fait depuis six ans. Elles gagneront en expérience et peuvent saisir toutes les opportunités que représente la Coupe d'Afrique pour être vues par les clubs étrangers.
Une anecdote sur la vie de coach de l'équipe nationale féminine
J'ai une anecdote mais c'est une chose qui me fait mal d'entendre en sélection féminine : ''Les filles ressemblent à des garçons, ce sont des garçons manqués''. Une fois, on est allés au Nigeria, une des filles est rentrée dans les toilettes des filles et une dame l'a interpellée pour lui dire : ''Eh ici, ce n'est pas les toilettes des hommes, c'est pour les filles !'' (Rires).
MAMADOU LAMINE SANÉ