‘’Le mécontentement manifesté par le Comité électoral de l’AFP cache celui de son chef, Moustapha Niasse’’
Pour le Docteur en Sciences politiques, Maurice Soudieck Dione, les frustrations nées des investitures pour les prochaines Législatives sont compréhensibles. Aussi, de l’avis de l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, pour continuer à dérouler son programme, le Président Sall a besoin de renouveler sa majorité. Entretien.
Les investitures pour les Législatives du 30 juillet prochain ont créé des frustrations dans les grandes coalitions. Comment analysez-vous une telle situation ?
Les frustrations lors des investitures sont compréhensibles dans la mesure où les partis politiques, pour mutualiser leurs forces et créer des effets de synergie, sont obligés de se réunir ; le mode de scrutin, majoritaire à un tour au niveau départemental, sur la base duquel est élue la majeure partie des députés, 105 sur 165, ne leur donne pas le choix. De ce fait, il y a forcément des responsables de premier plan dans les partis pris individuellement qui sont obligés de céder la place à d’autres, pour des raisons stratégiques liées aux quotas affectés aux uns et aux autres, ou parce que dans la coalition en question, il y a des formations politiques ou des mouvements plus représentatifs dans une circonscription donnée, Initiative 2017 de Khalifa Sall à Dakar ou Rewmi d’Idrissa Seck à Thiès, en plus de la contrainte légale de respecter la parité, sous peine d’irrecevabilité des listes. Dès lors, le travail effectué, les efforts consentis, parfois depuis des années, peuvent ainsi être sacrifiés au prix fort à l’autel de l’unité. A cela s’ajoutent également les frustrations des députés sortants, non investis pour briguer un autre mandat.
A Benno bokk yaakaar, les Socialistes ruent dans les brancards surtout à Saint-Louis où ils sont privés de poste de députés alors qu’ils en avaient 3 lors de la législature sortante. Comment appréciez-vous cela ?
Le Parti socialiste semble relativement bien implanté à Saint-Louis. Mais il faut dire que les députés élus en 2012 l’ont été non pas sous la bannière du PS, mais de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Mais le fait que le Parti perde trois députés sans compensation au niveau de Saint-Louis crée naturellement des frustrations. Peut-être que ce facteur aurait dû être pris en compte, mais malheureusement, on ne peut pas satisfaire tout le monde. Il y beaucoup de postulants, et seulement 165 députés à élire. Il n’est pas à exclure également que les difficultés, et notamment les violences qui ont émaillé les investitures au sein de Benno Bokk Yaakaar expliquant l’arrêt des opérations pour les poursuivre au sommet, aient été à l’origine de certains couacs, en plus de la pression du temps, afin de déposer les listes dans les délais prescrits par la loi, pour éviter la forclusion.
A l’Alliance des forces du progrès (Afp), ça grogne dans tous les sens et c’est le Comité électoral même dudit parti qui est monté au front pour fustiger la démarche de Macky Sall. Comment jugez-vous la conduite de Niasse et de ses camarades ?
La question qu’il faut se poser est la suivante : le mécontentement manifesté par le Comité électoral de l’AFP ne cache-t-il pas celui de son chef Moustapha Niasse, dans la mesure où ceux qui s’opposaient au compagnonnage avec Benno Bokk Yaakaar se fondant sur la nécessité de préserver les ambitions du parti, dont l’objectif défini dans les statuts est de conquérir et exercer le pouvoir, ont été congédiés, et sont allés constituer avec Malick Gakou, le Grand parti ? Donc ceux qui sont restés à l’AFP sont en principe fidèles à la ligne de conduite définie et incarnée par Moustapha Niasse.
Donc s’il y a des remous, on peut raisonnablement penser que c’est certainement avec l’aval de ce dernier. D’autant plus que Moustapha Niasse a été rétrogradé d’un point de vue politique et symbolique. En effet, en 2012, il a dirigé la liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar, et en 2017, il est ravalé à diriger la liste départementale de Nioro, alors que la tête de liste nationale est confiée au Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne. Est-ce un avertissement que Moustapha Niasse lance à ses alliés de Benno Bokk Yaakaar quant à son éviction éventuelle du perchoir de l’Assemblée nationale ?
Moustapha Niasse serait-il prêt à quitter BBY ?
En tout cas, cela ne serait pas une surprise si Moustapha Niasse rompait les amarres avec Benno Bokk Yaakaar au cas où il ne serait pas reconduit président de l’Assemblée nationale. En 1998, après la nomination de Mamadou Lamine Loum au poste de Premier ministre, il avait démissionné du Gouvernement, pour créer l’AFP en 1999, et contribuer de manière décisive à l’alternance en 2000. En mars 2001, à la suite de différends récurrents avec le Président Abdoulaye Wade, notamment en perspective des législatives anticipées de cette année-là, il avait été démis de ses fonctions de Premier ministre. À partir de ce moment, il s’était résolument opposé au régime du Président Wade, jusqu’à la chute de ce dernier. Donc s’il y a rupture de l’alliance qu’il a scellée avec le Président Sall et dont il semble avoir respecté les conditions, jusqu’à l’extrême, en provoquant l’éclatement de son parti, Moustapha Niasse pourrait se radicaliser dans l’opposition. C’est peut-être le signal qu’il a voulu adresser à ses alliés du pouvoir.
Niasse et l’AFP ne sont-ils pas les plus grands perdants de ces investitures ?
Je ne pourrais l’affirmer, car l’AFP a eu certainement son quota d’investis à la députation, mais ne connaissant pas tous les responsables de l’AFP dans les 45 départements, je ne saurais en apprécier le nombre qu’il aurait été intéressant de comparer avec celui de 2012. Pour la présidence de l’Assemblée nationale, on ne sait pas encore ce que le Président Sall décidera avec ses députés, si Benno Bokk Yaakaar obtient la majorité. Mais on peut avancer l’idée que la mise en avant du Premier ministre comme tête de liste nationale peut également s’expliquer par le fait que la douzième législature a été marquée par des carences et insuffisances décriées qui ont entaché son image : bagarres et injures dans l’hémicycle ; faiblesse de la qualité des débats parlementaires ; modification du règlement intérieur pour augmenter le nombre de députés pouvant constituer un groupe parlementaire, afin de fragiliser l’opposition ; désignation antidémocratique d’un Président du groupe parlementaire du PDS sans son consentement ; absence de commissions d’enquête pour élucider certaines affaires, etc.
Dans ce cas on peut comprendre, pour des raisons de communication politique, la mise en avant du Premier ministre, d’autant plus que seule l’obtention d’une majorité à l’Assemblée nationale peut permettre au Gouvernement qu’il dirige et coordonne de poursuivre l’application du programme du Président Sall. Il reste que le courroux manifesté par l’AFP peut être analysé comme un signe et un signal par rapport à une rupture possible, au cas où Moustapha Niasse ne serait pas reconduit à la tête de l’Assemblée nationale.
Avec les nombreux départs qu’a enregistrés le parti, l’AFP fait-elle toujours partie des plans de Macky Sall ?
Les négociations et les accords politiques ne sont pas l’expression d’une pure philanthropie. Il y a toujours des calculs intéressés derrière. Ce qui est compréhensible, car sans majorité électorale, sans légitimité populaire suffisante exprimée à travers les urnes, on ne saurait gouverner ! Donc, il est tout à fait normal qu’on cherche à s’allier avec ceux qui sont représentatifs et que le pouvoir soit alloué au prorata de ce que pèse électoralement chaque allié. Or l’AFP, dans son compagnonnage avec le Président Sall et Benno Bokk Yaakaar, a peut-être été excessive, en se montrant assez radicale avec la frange du parti qui souhaitait qu’il y eût un candidat progressiste à la prochaine présidentielle. Le contrat express ou tacite entre le Président Sall d’une part, et d’autre part Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, semble être que ces derniers devaient baliser le chemin au Président Sall pour l’obtention d’un second mandat, en étouffant l’expression de tout leadership de concurrence à ce dernier dans leurs partis respectifs.
Ousmane Tanor Dieng semble avoir mieux géré la situation en retardant autant que faire se pouvait la dissidence ouverte au Parti socialiste, en affirmant que le PS aurait un candidat à la prochaine présidentielle, tout en ne précisant pas s’il s’agissait d’un candidat au PS ou d’un candidat du PS, entretenant ainsi une certaine ambiguïté. Or cette ambiguïté, ajoutée à l’incertitude sur la date de l’élection présidentielle, dont on ne savait pas jusqu’au début de l’année 2016 si elle se tiendrait en 2017 ou en 2019, lui a permis de gagner du temps, là où Moustapha Niasse a choisi très vite de trancher la question ; et donc de pousser les responsables dont la carrière politique devait continuer après sa retraite, à se rebeller et à constituer un autre parti, après leur exclusion. Du coup, avec les succès que semble connaître le Grand parti, notamment à travers son positionnement dans l’opposition, on peut se poser la question de savoir si l’AFP n’est pas affaiblie, tout comme le PS d’ailleurs, avec la fronde menée par Kalifa Sall. Si de telles hypothèses étaient confirmées, on comprendrait dès lors qu’il puisse y avoir une redéfinition des rapports de forces au sein de Benno Bokk Yaakaar, et donc une réallocation du pouvoir et des privilèges ainsi qu’une redéfinition des ordres de préséance, par rapport aux deux alliés majeurs que sont l’AFP et le PS.
Est-ce que le PS n’a pas aujourd’hui plus de marge de manœuvre pour mieux négocier que l’AFP ?
Je ne le pense pas. Tous les deux partis sont traversés par des crises liées à leurs options politiques de soutenir le Président Sall pour un second mandat. Reste à savoir si la colère exprimée par l’AFP encore une fois, n’est pas un avertissement lancé aux alliés, au cas où le Président Niasse serait déchu du perchoir.
Comment analysez-vous la conduite de Tanor qui, malgré les soubressauts que vit son parti, tient toujours à l’unité du PS ?
On ne peut plus parler d’unité du PS avec la dissidence du maire de la capitale. En effet, la rupture entre Ousmane Tanor Dieng et Khalifa Ababacar Sall est consommée. Le Rubicon a été franchi à la suite de l’emprisonnement de ce dernier dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. L’unité du PS est donc un vœu pieux démenti par la réalité. C’est sur le terrain politique que le combat va se dérouler, pour apprécier la représentativité de chaque camp et de chaque clan.
La coalition BBY ne risque-t-elle pas d’éclater surtout avec la menace de l’AFP de prendre ses distances vis-à-vis de celle-ci ?
Au-delà du problème avec l’AFP, la coalition Benno Bokk Yaakaar est minée par beaucoup de contradictions, d’ambitions et d’appétits, alors même que les capacités redistributives et rétributives du régime s’amenuisent. La coalition est aujourd’hui comme un ballon qui contient déjà le maximum d’air possible. Pour peu qu’on en rajoute, elle explose !
Comment voyez-vous l’avenir du parti de Niasse en dehors de la mouvance présidentielle ?
L’AFP existe quand même depuis 1999 ! Moustapha Niasse a participé de manière décisive à la réalisation de toutes les deux alternances que le Sénégal a connues. En 2000, son soutien à Abdoulaye Wade a été déterminant pour l’accession de celui-ci à la magistrature suprême, et en 2012, également son rôle a été fort appréciable pour l’élection de Macky Sall à la magistrature suprême. Mais la faiblesse du parti se situe au niveau de l’âge avancé de son leader qui a dépassé l’âge légal maximum pour se présenter à une élection présidentielle au Sénégal, et dont le soutien inconditionnel au Président Sall a provoqué le départ de cadres de premier plan de l’AFP. Donc le parti peut tout à fait rejoindre l’opposition, mais il accuserait un grand retard qu’il lui sera difficile de combler. Car si l’AFP quitte la mouvance présidentielle, elle risque d’ici à février 2019 de ne pas avoir suffisamment de temps pour s’organiser et se positionner avantageusement dans l’opposition ; elle donnerait l’impression de défendre de manière trop flagrante les seuls intérêts de son chef et de ses affidés. Elle aurait du mal à construire un discours électoralement attractif, après avoir cheminé pendant si longtemps avec le Président Sall et l’avoir soutenu contre vents et marées !
N’allons-nous pas vers une reconfiguration politique à l’issue des élections législatives du 30 juillet prochain ?
Cela est évident qu’après les élections, il va y avoir une reconfiguration des rapports de forces politiques qu’il sera intéressant d’apprécier, non pas en termes de sièges de députés obtenus, car le mode de scrutin va amplifier exagérément le triomphe du vainqueur, mais par rapport aux suffrages totalisés de part et d’autre, par le pouvoir et l’opposition.
Est-ce que Macky Sall n’est pas aujourd’hui dans une dynamique de se débarrasser de certains de ses alliés devenus gênants et moins représentatifs ?
Il faut dire que le Président Sall a tour à tour été un chef victorieux et un chef généreux, avec et envers les alliés qui l’ont porté au pinacle, en plus des forces originelles constituées par la coalition Macky 2012. Il a donc réussi dans un premier temps à fidéliser ses souteneurs, en partageant le pouvoir et en les récompensant généreusement. Mais la dynamique politique est telle qu’il est tenu de prendre en compte l’évolution des rapports de forces politiques au sein de la coalition particulièrement, et dans le champ politique plus généralement.
Autrement, il risque de se retrouver avec une coquille vide : un appareillage impressionnant, mais qui en réalité est dépourvu d’un électorat conséquent ! C’est pourquoi la force des alliés, c’est d’abord de montrer et de prouver qu’ils sont représentatifs, pour continuer à intéresser politiquement le Président. Or le soutien total et déterminé à celui-ci semble les fragiliser à long terme, puisque cela provoque des scissions de leurs partis, notamment en ce qui concerne les principaux alliés que sont l’AFP et le PS. Et c’est là où se situe le dilemme.
Y aurait-il alors une stratégie insidieusement et subrepticement menée pour renforcer l’APR progressivement au détriment des alliés ? Dans ce cas, le Président Sall, après s’être appuyé sur ces derniers au début, vu la jeunesse de son parti, s’émanciperait doucement de ceux-ci en fortifiant sa formation politique. Mais une telle stratégie peut comporter des contrecoups, car les frustrations générées chez les alliés peuvent les amener à quitter la coalition et à renforcer l’opposition, d’autant plus que les partis et hommes politiques sénégalais ont suffisamment révélé leurs capacités à s’autonomiser des considérations d’ordre idéologique, si tant est que les idéologies aient véritablement un sens, et à surmonter les vicissitudes de la politique, lorsque leurs intérêts le leur commandent. Dans une telle perspective, le régime en place pourrait alors sérieusement être mis en difficulté.
Macky Sall n’est-il pas en train de préparer le terrain pour de probables retrouvailles avec ses ‘’frères’’ libéraux du PDS dont une bonne frange l’a d’ailleurs rejoint ?
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une jonction entre le Président Sall et le PDS dans une coalition au pouvoir, car Macky Sall tire sa légitimité de sa victoire sur le PDS et ses alliés. Le PDS perdrait toute crédibilité s’il rejoignait la mouvance présidentielle. Cela, de mon point de vue, est complétement surréaliste, vu l’expérience de ce parti dans l’opposition comme dans l’exercice du pouvoir. Il reste que des responsables peuvent individuellement rejoindre le camp présidentiel, mais le plus souvent en le faisant, ils sont désapprouvés par l’opinion et discrédités, de telle sorte que la plupart d’entre eux ne sont pas responsabilisés, ou alors sont à la périphérie de l’exercice du pouvoir. Il semble que la stratégie du Président Sall est de les neutraliser, afin d’annuler toute capacité de nuisance de leur part, en les liquidant ainsi politiquement : rejetés par les Sénégalais, non promus par le pouvoir ou au meilleur des cas à des positions négligeables de sinécures, ils quittent néanmoins l’opposition !
Il est question de plus en plus d’une nouvelle recomposition du gouvernement à l’issue de ces élections législatives ? Qu’en pensez-vous ?
Plusieurs hypothèses peuvent être énoncées en ce sens. La première, c’est de bien distinguer les élections législatives du travail gouvernemental, quand bien même il y aurait une corrélation très forte entre les deux. En effet, pour continuer à dérouler son programme, le Président Sall a besoin de renouveler sa majorité. C’est peut-être ce lien qu’il fait en mettant son Premier ministre en avant comme tête de liste. Le message implicite adressé aux électeurs serait donc : votez en faveur de la coalition Benno Bokk Yaakaar pour que le travail effectué par le Gouvernement puisse être poursuivi. Donc pour des raisons d’efficacité dans la gestion des affaires publiques, afin d’éviter les ruptures, il est possible que le Gouvernement, pour l’essentiel, soit conservé car le bilan doit être au rendez-vous pour la présidentielle de 2019. L’autre hypothèse, c’est peut-être que certains des ministres investis ne soient pas reconduits, ce qui permettrait de les positionner au niveau de l’Assemblée nationale. Ou, enfin, le schéma d’un bouleversement de l’équipe gouvernementale après les élections, qui me semble être l’hypothèse la plus improbable, car elle ne serait pas judicieuse dans la perspective de la reconduction du Président Sall pour un second mandat.