Publié le 26 Feb 2018 - 18:09
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Pas de bon reportage sans un angle bien choisi

 

Il y eut (il y a eu) une époque où le sujet de reportage de prédilection des stagiaires en journalisme fut ‘’Les pileuses de mil de la Médina’’. Et le sujet était, d’un stagiaire à l’autre, traité selon un angle sans originalité, si banal qu’on ne pouvait même plus parler d’un angle de traitement. A chaque sortie, ce fut toujours : ‘’Ces femmes sérères venues du village, installées en groupes sur un terrain de la Médina, pilent dur le mil sous le chaud soleil, étalant leur linge sur le lieu même de leur travail… Elles pilent le kilo de mil à tant de francs’’, et patati et patata… Radio, presse écrite, le même sujet apparaissait dans les sommaires au moins une fois par an. Et il ne semblait se trouver aucun journaliste expérimenté à la rédaction pour orienter et aider ces débutants à traiter le sujet selon un angle qui s’éloigne des sentiers battus par bien d’autres stagiaires.

En radio, presse écrite, télévision et web journalisme, il n’y a pas de bon reportage sans un angle bien choisi. A mon humble avis, concernant ‘’Les pileuses de mil de la Médina’’, un des angles possibles aurait été de se demander pourquoi, par ces temps où foisonnent les moulins à mil, à Dakar, des ménagères préfèrent faire piler le mil à la villageoise (à la traditionnelle, si vous préférez), que de le faire faire au moulin du quartier. Le mil pilé main donne-t-il un couscous de meilleur goût que celui moulu à la machine ? Voilà des pistes… ‘’Le savoir-faire du journaliste se fonde d’abord sur la formulation d’une bonne question’’, dit-on. Les bonnes questions appelant toujours les bonnes réponses. Et autant qu’il me souvienne, je n’ai pas encore entendu à la radio, ni dans les journaux un reportage donnant des explications nouvelles sur ce fait et on peut même se risquer, sous le contrôle des sociologues, à parler de phénomène.

Un angle de traitement pas du tout compliqué, en raison de la facilité à accéder à des sources possibles, en l’occurrence les ménagères, les pileuses elles-mêmes, un ou des conducteurs d’un moulin à mil et - pourquoi pas ? - un consommateur connaisseur de couscous, un gastronome, etc.

‘’Pas de bon reportage sans un angle bien défini (…), explique le site www.education.gouv.fr. L'expérience prouve (…) que l'une des principales causes d'un reportage ‘’bancal’’ est lié au fait qu'il oscille entre plusieurs angles’’.

Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’un journaliste a, plus qu’un autre, le sens de l’angle selon qu’il comprendra mieux l’orientation qu’il veut donner à son reportage. Et là, certes un sujet peut être tout original, mais desservi par une mauvaise énonciation de celui-ci et un angle mal conçu.

Et c’est là aussi qu’est important l’encadrement du jeune journaliste par un aîné qui s’y connaît (je ne parle, évidemment, pas de ces aînés par ordre d’arrivée à une rédaction). Je veux dire un ‘’ancien’’ qui peut faire subir à un débutant ce que l’ancien directeur général de ‘’Jeune Afrique’’, Béchir Ben Yahmed, appela ‘’la pédagogie de la piscine’’, en vigueur à l’hebdomadaire panafricain basé à Paris. Ainsi, dans les termes de cette pédagogie, le débutant est jeté dans le plan d’eau avec obligation de nager. Il apprendra à barboter ou se noiera, mais se verra tendre une perche, s’il fait l’effort de tenir la tête hors de l’eau et tenir la perche salvatrice.

Malheureusement, dans les rédactions, les maîtres-nageurs sont de moins en moins nombreux et les plus chevronnés se sont éloignés des piscines pour aller à des espaces socialement  plus sécurisants, plus confortables. Et voilà posé le problème évoqué de manière récurrente, celui d’une ou de générations qui manquent à leur devoir de remettre le flambeau pour éviter les dérives, manquements et insuffisances de toutes sortes. Pour que les sujets de reportage tout simple ne paraissent plus aussi bateau que des porte-avions, pour que les reporters en apprentissage ou confirmés sachent que l’originalité d’un sujet de reportage est aussi dans l’angle choisi pour le traiter.

Il est heureux que ‘’Les pileuses de mil de la Médina’’ semble être passé de mode. Mais, il y en a (et il y en aura)  bien d’autres qui seront nouveaux, mais auxquels le traitement superficiel ôtera tout intérêt.

 

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