Publié le 23 May 2018 - 19:22
MALICK NDIAYE (CONSERVATEUR DU MUSEE THEODORE-MONOD)

‘’Le grand défi que nous avons est celui du public’’ 

 

Le constat est général : Le public va rarement au musée. Pour remédier à cette situation, le conservateur du musée Theodore Monod d’Art Africain sort de sa manche une kyrielle de propositions aux rangs desquelles figurent les musées virtuels. Dans cet entretien avec EnQuête,  El Hadji Malick  revient aussi  sur la politique menée par son équipe pour relever le défi du public.

 

La journée internationale du musée a été  fêtée  vendredi dernier. Qu’en est-il de cette célébration ?

La journée des musées est une initiative du Conseil international des musées (Icom), une institution créée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Depuis 1977, l’Icom a instauré cette tradition de célébration des journées internationales du musée. L’année dernière, elle a vu la participation de 36 000 musées dans le monde, dans 156 pays. Nous avions participé avec des visites guidées, des ateliers pédagogiques et une journée de réflexion sur quel musée au Sénégal au 21ème siècle. Cette année, en raison de l’occupation des espaces par la Biennale de Dakar avec qui nous collaborons, nous n’avons pas pu organiser certaines activités par manque d’espace, donc nous avons décidé d’organiser une journée de visite gratuite dans l’espace d’exposition que nous avons gardé pour les objets classiques. Cette visite gratuite a été une occasion pour nous d’enregistrer un public qui n’a pas l’habitude de venir pour plusieurs raisons. Nous avons accueilli quelques étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop, principalement du département d’histoire, et des Sénégalais lambda.

Comment le musée Theodore Monod dont vous êtes le conservateur l’a-t-elle célébrée ?

Nous nous  sommes tenus cette année à la gratuité qui est une manière pour nous d’être plus proche du public local. Cela nous permet de communiquer dans nos activités. Depuis 2 ans, le musée a eu une nouvelle politique qui consiste à organiser plusieurs évènements qui impliquent les collections du musée et qui associe les artistes et la communauté. Nous avons eu à organiser plusieurs festivals afin d’accueillir plusieurs expositions majeures et des ateliers. Nous nous sommes également rapprochés de l’Ecole de Beaux-arts avec qui nous collaborons à l’occasion de chaque fin d’année pour délivrer les diplômes et donnons aussi libre accès aux étudiants dans notre espace. Toutes ces activités sont une nouvelle politique qui veut que le musée soit visible auprès de la communauté sénégalaise et qu’il soit démystifié, c’est-à-dire qu’il soit popularisé. Parce que la plupart des gens ont peur du musée de sorte qu’ils n’ont pas le réflexe d’y aller. Déjà plusieurs personnes ne savent pas ce qui se passe au musée or, les enfants gagneraient bien à venir visiter le lieu. Ce qu’ils apprennent à l’école, ils peuvent avoir la possibilité de l’expérimenter. Cet acte est un réflexe majeur pour avoir une culture musée.

On parle d'hyper connectivité cette année afin d'attirer du monde dans les musées. Pensez-vous que les technologies de l'information et de la communication peuvent servir d'appât pour attirer le public ?

La thématique de l’hyper connectivité, il faut la voir à deux niveaux. Le premier niveau est que les musées ne sont plus des espaces qui gardent des objets d’art, des peintures, des sculptures, entre autres. Nous avons de nouveaux matériaux qui sont le support cinéma, la vidéo, l’audiovisuel et le numérique de manière générale. La seconde problématique concerne les supports qui peuvent être utilisés par le musée pour accéder et pour être beaucoup plus proche du public.

C’est pour cette raison qu’il faut user de tous les multimédias et les réseaux sociaux pour voir comment on peut faire une visite virtuelle, comment avoir plusieurs services à distance dans plusieurs musées du monde afin de le rendre accessible virtuellement. Il faut savoir que le produit des musées avec les nouvelles technologies commencent à être des produits qu’on dit dématérialisés et cette dématérialisation fait que le virtuel gagne en espace et en vue dans la vie des musées. La principale vision qui nous guide, c’est d’être beaucoup plus proche du public de jour en jour.

Un musée qui n’accueille pas de public c’est une collection mais pas une institution. Le musée est une institution qui s’est démocratisée dans son histoire parce que tout simplement, il y a un public varié qui a pu avoir accès aux objets exposés dont le musée est l’héritier dépositaire pour les sauvegarder, les valoriser et les transmettre de génération en génération. Donc pour que ce musée puisse survivre, il faut qu’il interagisse avec le public. Tout le combat que nous menons, que ça soit au Sénégal ou en Afrique en général, est l’adhésion du public. On est en train de les résorber péniblement. Mais ces deux dernières années, les écoles qui nous ont visités en masse et les Sénégalais qui sont venus prendre part aux initiatives prises nous donnent raison.  Cela porte à croire que les efforts que nous avons consentis pour faire venir le maximum de public sont en train d’être récompensés.

Partant du thème choisi cette année, le musée Theodore Monod a-t-il des projets dans ce sens ?

Les projets dans ce sens, c’est avant tout changer la collection de l’exposition permanente qui date de 2010. Depuis que je suis arrivé au musée, mon premier objectif était de monter un projet de recherche. Depuis 2016, nous avons beaucoup réfléchi sur cela pour changer l’installation. Avant tout, il y a eu des publications sur le musée et il y a eu également des collaborations avec l’école des Beaux-arts de Bordeaux, de Lyon et de Nantes qui nous ont conduits à avoir deux grand ateliers au courant de l’année 2017. Un premier qui a pensé sur la manière dont le musée peut présenter les objets autrement de sorte à parler au Sénégalais lambda. Le second atelier consistait à avoir le discours que le musée pourrait tenir et qui pourrait intéresser les Sénégalais. Le discours global a toujours été : dans quelle mesure connecter la tradition et la modernité ? C’est-à-dire, les objets de nos collections sont des objets qu’on appelle objets classiques ou objets traditionnels, voir comment les connecter avec les produits artistiques contemporains.

C’est ce travail que nous faisons. Parce que nous pensons que si la société ne vient pas visiter les objets traditionnels, elle vient par contre visiter les expos d’art contemporain comme celle de la Biennale. Or les artistes contemporains utilisent les mêmes matériaux que les artistes de l’histoire car à partir de l’histoire des matériaux, nous pouvons tenir un langage qui interpelle la société. C’est la raison pour laquelle la grande exposition que nous avions organisée portait sur le textile qui avait fusionné les travaux de six artistes contemporains avec les collections du musée. Parallèlement à cela aussi, il y a plusieurs initiatives que nous organisons pour conquérir le public. Par exemple, le festival des cultures urbaines que nous avions tenu au mois de novembre 2017 allait dans ce sens. Ce festival nous a permis de conquérir un nouveau public qui ne visitait pas nécessairement les musées. C’était un festival qui avait duré un mois et pour la première fois, les expressions urbaines se sont tenues au musée et les Sénégalais ont apprécié.

Que pensez-vous des musées virtuels ?

Les musées virtuels sont à géométrie variable et permettent tout simplement d’atteindre le public. On peut être en Chine et consulter des objets qui sont ici dans nos musées ou bien au Canada ou dans un autre pays. On peut être dans un musée et voir une dématérialisation du produit avec des bornes et des supports multimédias et une présence fondamentale du numérique, mais il n’en reste pas moins que l’objet d’art continuera toujours à exister même s’il y a cette virtualisation dont on parle. Ce n’est pas que le virtuel va éliminer l’objet, c’est que le virtuel va coexister avec l’objet.

Le musée Theodore Monod est-il dans le système virtuel ?

 Nous avons commencé à y penser depuis 2 ans et ce que nous avons eu à faire, c’est investir les réseaux sociaux. Ce qui fait que nous avons créé une page Facebook pour le musée et pour le séminaire des politiques culturelles au Sénégal que nous organisons. Cette page nous permet d’avoir une vue complète dans le sens où nous avons des images sur tous les supports de communication qui résument des évènements que nous avons organisés. Elles peuvent être scannées et postées sur la page. Nous avons également sur cette page une interactivité avec notre public. Nous avons aussi Instagram qui nous permet d’avoir plusieurs images des objets du musée qui défilent et que l’on change tout le temps. Twitter nous permet d’annoncer nos évènements. Une page Google et plusieurs autres supports participent à une visibilité du musée. Cela montre que le musée accompagne le monde qui est en mouvement à savoir le numérique. Nous sommes dans une ère de dématérialisation des produits.

Selon vous, qu’est-ce qui explique le manque d’intérêt du public local vis-à-vis du musée ?

Plusieurs raisons complexes bloquent le public. Mais j’insisterai sur l’une d’elles qui est historique. Notre musée est différent des musées qui sont construits au 21ème siècle. Ce musée a été établi par les colons, donc la collection a été rassemblée par l’institution coloniale pour étudier les sociétés. Le musée était un prétexte pour parler d’elles, en leur nom, sans les consulter. Et les objets servaient de véhicule. Après l’indépendance, je pense  qu’on a raté quelque chose à ce stade parce qu’il fallait faire un travail approfondi dans tous les musées en Afrique, réquisitionner leur imaginaire, revoir les objets, réviser les discours, chercher de nouveaux modes de transmission, de  modèles pour la société en accord avec le musée ;  de nouvelles manières de montrer les objets. C’est tout ce travail, me semble-t-il, que les musées africains n’ont pas su faire.

Ce qui fait que durant toutes les années, l’écart entre les publics locaux, la société sénégalaise et l’institution muséale s’est creusé. Aujourd’hui, la politique publique se trouve confrontée à un défi extraordinaire qui consiste à constater qu’elle ne peut plus, du moins, donner tout le pouvoir en terme d’argent aux institutions parce que c’est la fin de l’état providence, tout en constatant qu’il y a une nécessité de réconcilier les communautés avec l’institution muséale dont l’histoire est une histoire purement occidentale, européenne foncièrement. Ce n’est pas un problème en soi parce qu’on peut faire d’un musée  ce que l’on veut, mais il faudrait avoir les moyens de le faire. C’est ce qui nous pousse justement à questionner les grands défis des musées que sont l’autonomie financière et  l’écart avec le public.

HABIBATOU WAGNE

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