Publié le 13 Feb 2020 - 14:59
WASIS DIOP (ARTISTE-MUSICIEN)

‘’En chantant en français, j’ai même bouleversé mon écriture’’

 

Wasis Diop, musicien et frère du cinéaste Djibril Diop Mambety, a composé les musiques des films de ce dernier, mais aussi de nombreux autres en Afrique de l’Ouest. Il prépare la sortie d’un nouveau opus intitulé ‘’De la glace dans la gazelle’’ prévue au mois d’avril. Un album en français ! Tête d’affiche du Festival à Sahel ouvert, Wasis Diop était présent lors de la conférence de presse des organisateurs dudit festival prévu du 14 au 16 février à Mboumba. Il a échangé, à la fin, avec les journalistes.

 

Vous préparez la sortie de votre nouvel album ‘’De la glace dans la gazelle’’ chanté en français. Pourquoi le choix de cette langue ?

Cet album articulé en français entre dans le contexte de cet élan de panafricanisme, d’ouverture vers les autres. De tout temps, j’ai chanté dans ma langue maternelle. Cette fois-ci, j’ai décidé de m’ouvrir pour avoir un public plus large. Je ne veux plus me limiter au Sénégal. Si je chante en wolof, je chante pour mon village qui s’appelle le Sénégal. Je ne crois pas que tous les villageois des autres villages parlent français, mais ça permet d’ouvrir l’espace d’expression, parce que quand je parle de Soundiata Keïta, j’ai envie de le partager avec tous les Africains. Si je le dis en wolof, je pense que je serai compris ici, mais je serai un peu limité.

Donc, j’ai chanté en français pour qu’enfin les Maliens, les Ivoiriens, les Guinéens… comprennent ce que je dis. Nous avons la langue française en commun ; il faut qu’on en profite en tant qu’artiste pour justement mieux se comprendre. Moi, c’est pour ça que je l’ai fait. Thomas Sankara, avec un certain humour, disait que le français, nous l’avons suffisamment payé pour avoir le privilège de nous l’approprier. Le français est devenu une langue africaine. Je ne suis pas un ambassadeur de la langue française. 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que pour un artiste, une langue, c’est d’abord un son. Je suis dans la quête de nouveaux mots. En chantant en français, j’ai même bouleversé mon écriture. La création, c’est des défis à relever. Peut-être qu’après cet album, je ferai un autre où je chanterai en espagnol… Moi, j’ai envie d’apporter ma petite part au monde.

Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Disons que toute chose en son temps.

Comment expliquez-vous le titre de votre album ‘’De la glace dans la gazelle’’ ?

La gazelle désigne l’Afrique, la chaleur ; la glace, c’est l’Occident. L’une dans l’autre, c’est la voie du milieu. C’est ce que j’appelle le dialogue Nord-Sud. Des mots de glace sur des notes de gazelle.

Djibril Diop n’est plus, mais disons qu’il vit à travers Maty Diop. La voyez-vous comme la digne fille de son père où la digne nièce de Wasis Diop ?

Je pense que c’est la digne fille, comme vous le dites, de toute une famille, de tout un cheminement. Parce que nous, dans nos familles, c’est un cheminement qui ne s’arrêtera point. Les Lébous ont toujours marché. On continue à marcher. 

Que vous inspire le succès de son dernier film ?

Il m’inspire de la joie, pas de la fierté. Parce que la fierté est un peu nationaliste, c’est un peu pour soi.  Je préfère le mot joie.

De quel Djibril Diop Mambety évoquez-vous dans ‘’Y’a bon Diop’’ ?

‘’Y’a bon Diop’’ est la lettre d’un ancien combattant qui s’appelle Djibril Diop Mambety, qui a fait la guerre 14-18. Un tirailleur sénégalais extraordinaire, qui était instruit, qui a pris sa plume et a envoyé une lettre historique au maréchal de France. Personne ne connait cette lettre, et nous artistes, nous sommes là pour essayer de faire remonter cette histoire. Et donc il n’est point question de Djibril Diop le cinéaste qui n’a pas fait la guerre. Même son père ne l’a pas faite.

Existerait-il un lien entre ‘’Y’a bon Banania’’, un cliché raciste, et ‘’Y’a bon Diop’’ ?

‘’Y’a bon Banania’’, était une façon de se moquer de nous (race noire). Il nous appartient, en tant qu’artistes, d’exhumer cette histoire et d’en faire quelque chose comme d’ailleurs mes anciens qui ont pu, un jour, sortir le mot nègre et installer un festival historique qui s’appelait le Festival mondial des arts nègres. C’est cette démarche-là qui m’a inspiré à appeler cette chanson ‘’Y’a bon Diop’’ en souvenir de ‘’Y’a bon Banania’’. Une très belle chanson.

Est-ce que vos parents étaient d’accord, lorsque vous vous apprêtiez à suivre une carrière d’artiste ?

Nos parents l’avaient très mal pris. C’était même une offense. Il n’était pas question, pour eux, de laisser leurs enfants avancer dans les méandres de l’art. Il ne faut pas oublier aussi que nous venons d’une société de castes. Et cette réalité est encore là, dans notre ADN. Et nos parents traditionalistes, qui avaient sûrement le respect de ce qu’ils étaient, avaient du mal à comprendre qu’on aille dans ce sens-là. Ils disaient que c’était pour notre bien. L’art à toujours était considéré comme une chose à part, que seules certaines familles étaient autorisées à faire. Mais ça venait aussi de l’organisation d’une société. Je la respecte, parce qu’une société est aussi une organisation. Chacun avait une mission. Et c’est pour cela que ma famille était contre notre propension vers de nouveaux métiers comme le cinéma et la musique.

A présent, trouvez-vous cette génération beaucoup plus ouverte à laisser ses enfants exploiter leurs talents en allant vers ces nouveaux métiers-là ?

Ça commence à bouger un peu. Je pense que les gens qui ne sont pas de ma génération ont un privilège. Parce que moi, mes parents sont partis avec l’appréhension qu’ils avaient sur ce sujet. Je pense que maintenant on est sorti des castes.

Pensez-vous qu’il faut accompagner les jeunes dans notre système éducatif, pour rapidement déceler les talents et mieux accompagner dans leur carrière d’artiste ?

Ça s’élabore. Maintenant, les sociétés ont changé et c’est surtout grâce à la présence des médias. Les parents sont très fiers qu’on parle de leurs enfants. Ils sont fiers de les voir à la télévision. Disons que c’est le temps qui fait son œuvre.

Racontez-nous votre histoire avec la musique de film…

J’ai grandi dans le cinéma. Mon père était un cinéaste très connu. J’étais moi-même un excellent photographe. Et j’ai même failli faire du cinéma, mais ce n’était pas nécessaire, parce que déjà mon frère était un cinéaste. J’ai décidé de trouver un autre chemin qui était aussi difficile que le cinéma : la musique. Donc, la musique de film et moi, c’est une histoire ; ce n’est pas une question de choix. C’est quelque chose que je fais tout naturellement et que je sais faire parce que j’ai toujours travaillé avec mon frère dans le cinéma.

Il y a des médias qui reprennent votre chanson comme générique. Est-ce que vous recevez des redevances ?

Moi, je ne demande jamais de redevances aux médias d’ici. Parce que je considère que ce qui m’appartient leur appartient aussi. En tout cas, chaque fois qu’un Sénégalais me demande l’autorisation d’utiliser quelques chansons de mon répertoire, je dis toujours oui. Mais je ne fais pas la même chose à l’étranger. Je considère que mes œuvres sont une propriété nationale.

BABACAR SY SEYE

 

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