“Le beatmaking est le moteur de l’évolution du rap au Sénégal’’
Karismatik Dicsa est un technicien studio et le beatmaker du groupe de rap Alien Zik. Venu assister à la cérémonie de remise du prix au vainqueur du concours ‘’Kaay Fecc Beatz’’, l’initiateur du Galsen Beatmaking Festival, le premier du genre destiné au beatmaking au Sénégal parle, dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, de l’évolution du métier des compositeurs de son au Sénégal. Il s’est, par ailleurs, prononcé sur la sortie du prochain album d’Alien Zik.
Qu’est-ce qu’un beatmaker ?
Le beatmaker, c’est celui qui donne le rythme. Il guide l’artiste, parce que c’est en fonction du beat qu’il va poser. Ainsi, son style dépendra du beat qu’on lui propose. Le beatmaker est donc un guide. Dans le hip-hop, les choses changent souvent. C’est toujours comme ça. Il y a plein de tendances. Lorsqu’il y a une nouvelle, la première disparaît naturellement. Et dans le hip-hop, les gens écoutent celle qui est à la mode. Et après ça va changer encore. Ce changement de tendance, c’est le beatmaker qui l’impose dans la manière où il fait ses instruments et guide tout. L’évolution du hip-hop galsen est liée à celle du beatmaking, à l’apparition de nouvelles techniques et de nouveaux styles.
Il a aussi joué un rôle dans la recherche de l’identité du hip-hop sénégalais…
On est toujours dans la recherche de cette identité-là. Parce qu’au début, on prenait des musiques instrumentales des Américains et on posait dessus. Et au fur et à mesure, on a commencé à faire des musiques. On a commencé à calquer nos mesures sur celles des musiques africaines, américaines ou juste étrangères.
Entre-temps, on a essayé de créer, d’avoir notre son à nous. À partir du moment où on peut faire de la musique instrumentale comme les Américains, on peut en faire comme on le sent. C’est ce que les gens sont en train de faire depuis le début du beatmaking. C’est tout à fait normal que les gens essayent d’avoir un son carrément sénégalais. Il y a certains beatmakers qui travaillent dans ça, comme ISS. Il essaie de trouver un son qui est typiquement sénégalais. Ça commence à se dessiner, à donner des choses intéressantes. Mais même si on arrive à trouver un son qui a une identité sénégalaise, je ne pense pas que ça soit une couleur qu’on peut mettre sur tout un album. Vu qu’un album, c’est plusieurs composants, plusieurs morceaux qui sont différents, qui ont un auditoire diffèrent aussi, il faudra toujours que cela vienne colorer l’album. Sinon, ça sera un peu monotone. Vu qu’il y a plusieurs éléments qui entre en jeu, il vaut mieux faire un album avec plein de touches différentes. Et le son typiquement sénégalais, si on arrive à le faire, ce sera juste une partie qui vient colorer l’album.
Quels changements notez-vous dans votre métier, avec l’apparition des nouveaux outils de travail ?
Ils ont facilité notre travail. Les logiciels sont mieux prédéfinis pour notre travail. Il y a beaucoup de nouvelles options qui facilitent certaines choses qu’on faisait avant de nous-mêmes. Par exemple, sampler est plus facile avec les nouveaux logiciels, parce qu’à l’époque, on le faisait avec les MPC. C’est totalement diffèrent. Maintenant, les choses sont simples. Aujourd’hui, en deux ans, on peut devenir beatmaker avec un bon niveau.
Donc, la technologie a rendu les choses beaucoup plus pratiques. C’est la principale avancée. Mais le processus créatif ne changera jamais. Tout part de la tête, c’est de là qu’on crée un morceau. Il faut d’abord qu’on ait en tête ce que l’on veut faire, pour pouvoir le matérialiser. Et à partir de là, si la technologie nous permet de le faire plus rapidement, de façon plus pratique, c’est un plus.
Est-ce que le matériel est à la portée des beamakers ?
Il n’est pas accessible. Le beatmaker qui a gagné le concours, par exemple, n’a même pas d’enceinte fiable pour écouter son instrumental. Alors qu’on sait que quand on travaille, il faut savoir si ce que l’on fait c’est de la qualité ou pas. Lui, il le fait avec son casque. Et il n’a pas de carte son aussi. C’est un autre manque. Il a juste son ordinateur. C’est pour dire que le matériel n’est pas à la portée de tout le monde.
Maintenant, le combat qu’on doit mener en tant que communauté, c’est d’essayer de trouver des solutions pour avoir un maximum de matériel à donner aux beatmakers.
Il n’y a que cela comme problème dans votre métier ?
Je pense qu’il y a des problèmes dans chaque discipline, mais pour le beatmaking, la communauté est en train de se structurer. Et à notre niveau, on essaye déjà de faire passer l’information, de former les jeunes. On veut leur faire gagner du temps, en les formant. Ils pourront ainsi acquérir ce que nous avons mis dix ans à apprendre. On leur parle, par exemple, du droit d’auteur et du statut du beatmaker. On veut essayer de faire évoluer les choses. Mais au niveau du beatmaking, le seul problème peut-être, c’est que, pour l’instant, ça ne nourrit pas trop son homme. Il y a certaines personnes qui, lorsqu’elles sont connues, ont un certain succès et vivent bien de cela. Encore qu’elles auraient pu gagner bien plus. Mais on connait le marché sénégalais. On connait la vie d’ici. Les gens n’ont pas le même budget que ceux qui sont à l’étranger. Il y a quand même des personnes qui vivent de leur art. Seulement, quand vingt personnes gagnent bien leur vie, tout le reste n’a pas de rémunération.
En général, combien coûte un son ?
Ça dépend de la personne qui vend l’instrumental. Il n’y a pas de prix standard. Il y a des gens qui vendent une musique instrumentale à 200 000 F CFA, d’autres à 1 000 000 F CFA ou encore 15 000 ou 10 000 F CFA.
Actuellement, il y a des beatmakers sénégalais qui ont la cote et qui vendent leurs beats à l’étranger. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est une fierté de voir quelqu’un venir ici pour acheter des instrumentaux. Parce que dans son pays, il y a plein de gars talentueux qui en font. Mais il a écouté l’instrumental d’un beatmaker qui est ici au Sénégal, qui lui a plu et qu’il veut plus que les autres. Donc, c’est une fierté pour nous sénégalais et ça encourage les autres à travailler encore plus. Parce que si quelqu’un l’a déjà fait, les autres peuvent le faire aussi. Ça doit servir d’émulation. Ça doit donner l’envie aux autres de se surpasser et se dire qu’ils peuvent le faire.
Depuis un certain temps, Alien Zik est un peu absent de la scène. Pourquoi ?
En effet, depuis les cyphers, on est un peu en retrait. Ça doit faire un an maintenant. On était en pause pour un peu nous reposer, parce qu’on est des pères de famille maintenant. On devait sortir un album l’année dernière. Finalement, on avait un contretemps par rapport au plan promo. Et on s’est dit que ce n’est pas la peine de se presser, qu’on va prendre notre temps. Après, il y a eu la Covid-19. Maintenant, on planifie la sortie de l’album. Donc, on sera dans les bacs bientôt.
Comment est né le groupe Alien Zik ?
Alien Zik, c’est un super groupe. Un ‘’cartel’’ à l’époque. Les gens aimaient bien ça. Il y avait des ‘’cartels’’ qui regroupaient plusieurs crews. Et Alien Zik doit sa naissance à Zoo Squad, un collectif de rappeurs qui regroupait 6 à 7 groupes, soit plus de 20 personnes. C’est là que tous les membres se sont connus. Puis il a disparu. A un moment, on a eu l’opportunité d’avoir un studio. Celui qui a financé le studio nous a dit qu’il veut y réunir deux groupes qui faisaient partie du ‘’cartel’’. Il y avait notre groupe avec Diabolo, moi et d’autres potes aussi et un autre groupe du nom d’Eskadron 113. Ce sont ces deux groupes qui ont formé Alien Zik. Parce qu’on travaillait dans le même studio et, au fur et mesure, il y avait des jours pour chacun. Il y avait aussi un jour ou les deux groupes, c’est-à-dire Eskadron 113 et Zoo Squad, devaient enregistrer. Ces deux groupes se rencontraient et faisaient des sons ensemble. C’est ainsi qu’on a monté Alien Zik.
De ce fait, on a commencé à avoir notre propre répertoire. Ce qui a poussé les membres à travailler exclusivement pour le groupe. On a sorti la mixtape ‘’Alien Zik’’ en 2009, puis ‘’Benen Planète’’ en 2010. Après, on est resté en stand-by un peu avant la sortie de ‘’Still Here’’, en 2016.
Actuellement, vous êtes au nombre de combien ?
On est toujours sept.
Qu’en est-il des carrières solos ?
Rex T a sorti un album solo, Bario aussi. Tous ceux qui voulaient sortir des solos l’ont fait.
D’aucuns disent que le groupe a un style américain…
C’est ce que disent les gens, mais je ne pense pas qu’on ait un style américain (il se répète). Moi, je parle français. Les autres rappent en wolof. C’est vrai que dans nos refrains, il y a beaucoup d’anglais.
En effet, les gens pensent qu’on rappent en anglais, mais ce n’est même pas le cas. Il y a certains mots qui sont en anglais, tout le reste, c’est du wolof.
Et quelle est votre histoire avec le beatmaking ?
J’ai commencé à rapper vers 1997. Et avant les années 2000, j’ai commencé à faire du beatmaking. Parce qu’on voulait avoir nos propres instrumentaux. On ne voulait pas aller dans des studios pour que d’autres nous fassent des sons. Ce n’était pas assez hip-hop. Les gens faisaient des instrumentaux, mais c’était plus pour World Music, reggae ou autre chose. Donc, on n’avait pas ce qu’on voulait. C’est comme ça que j’ai commencé à faire du beatmaking avec un ordinateur et je n’avais même pas de casque. J’utilisais le baffle de l’ordinateur. Et c’est comme ça qu’on a commencé. Parfois enfermé dans ma chambre, je faisais des sons avec Shaheed Abdalah qui passait me voir. Et tant qu’il ne confirmait pas que le travail était bien fait, je recommençais. C’est comme ça que j’ai commencé à faire du beakmaking. Après, on fait des recherches, on rencontre des gens et on développe de nouvelles techniques.
BABACAR SY SEYE