Publié le 3 Aug 2021 - 22:09
RELANCE ECONOMIQUE

Une guerre plus économique que sanitaire

 

Malgré la virulence du variant Delta que l’on croyait fatale pour l’économie, le gouvernement a une posture tout à fait différente de celle qu’il avait adoptée lors des vagues précédentes. La logique économie semble tenir au pas celle sanitaire.

 

Le président de la République l’avait décrété depuis mai 2020. Il faut vivre avec le virus. Malgré le tollé suscité à l’époque, malgré les cris d’orfraie de certains médecins, la maxime demeure toujours en vigueur. Economiste, enseignant-chercheur à l’université Iba Der Thiam de Thiès, Mounirou Ndiaye semble totalement en phase avec cette nouvelle feuille de route.

‘’Je pense que le gouvernement a beaucoup appris de ce qui s’est passé en 2020. Nous sommes un pays faible à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. On ne peut pas se permettre certains excès sur le plan de la riposte. C’est ce qui explique le silence du gouvernement, malgré la 3e vague, son refus de mettre encore en œuvre certaines mesures restrictives. Cela se comprend. C’est de bonne guerre’’, déclare Mounirou Ndiaye.
 
Contrairement à ce que certains peuvent penser, analyse l’économiste, la guerre actuelle est d’abord économique avant d’être sanitaire. ‘’Avec la crise, on s’est rendu compte qu’il y a des problèmes criards en matière d’infrastructures sanitaires. Et ces infrastructures ne peuvent être obtenues qu’à partir de la croissance économique et de l’augmentation des moyens de l’Etat par la fiscalité notamment. La priorité, c’est donc l’économie. Le gouvernement ne peut mettre de côté cet aspect de la lutte’’, explique-t-il. Aussi, pense-t-il, la relance doit être poursuivie, nonobstant les difficultés au plan sanitaire, car étant le nerf de la guerre. ‘’L’Etat, dans le cadre de son programme de relance, avait misé sur 7,2 % de croissance en 2021, 8,7 % en 2022, 13 % en 2013. Cela dénote une certaine volonté, de grandes ambitions. Il ne peut être question de décélérer à ce niveau. Avec la crise mondiale, on peut avoir des difficultés à atteindre de tels objectifs. Mais il faut continuer le travail pour avoir au moins 5 points de croissance’’.
 
Ainsi, la voie du salut, s’il en existe, ne saurait provenir que du respect des mesures barrières et de la vaccination. Telle semble être la seule issue possible pour l’Etat du Sénégal. ‘’On a placé la barre très haut et il ne faut pas que des déconvenues puissent remettre drastiquement en cause cette dynamique. Le Sénégalais n’a pas le choix. Il est appelé à vivre avec le virus. Tout est imbriqué ici. Autant la question sanitaire est importante, autant la question économique est beaucoup plus importante. C’est en ayant les moyens qu’on peut être résilient, qu’on peut bâtir une économie forte, à même de relever les défis qui nous attendent’’.
 
 Selon l’économiste, il est heureux de constater déjà que 2021 ne sera pas comme 2020. Après un premier semestre bouclé sans certaines mesures drastiques, il est permis d’espérer quelques lueurs sur l’économie nationale. ‘’Il faut prier pour que cela continue, pour que l’économie puisse continuer à fonctionner. C’est comme ça que nous pourrions avoir une embellie au niveau des agrégats macroéconomiques’’, a-t-il insisté.
 
Pour l’année 2020, ces agrégats ont été à leur pire niveau, depuis des années. D’environ 3 %, le déficit s’est encore creusé jusqu’à plus de 6 %. Le niveau d’endettement a encore flambé, au moment où le taux de croissance chutait en dessous des 2 %, alors que sur des années, il tournait autour de 6 % ou plus.
 
Autant de raisons qui confortent la prudence de l’Etat quant à la prise de nouvelles mesures restrictives qui pourraient engendrer des frustrations plus fortes que celles connues au mois de mars dernier. Et pour ne rien arranger, l’Etat a érigé, depuis quelques mois, comme priorité des priorités, la question de l’emploi des jeunes. ‘’Il ne faudrait pas qu’il y ait des perturbations qui pousseraient l’Etat à revoir ses ambitions à la baisse. Parce que ce sont des urgences et il faut s’en occuper dans les plus brefs délais. Il n’est pas envisageable, aujourd’hui, en l’état actuel des choses et des ambitions affichées par l’Etat, de passer à d’autres mesures de restriction’’.
 
Mais comment se porte cette relance, après son lancement il y a presque un an à Diamniadio ? Pour beaucoup, ça ne décolle toujours pas. Président de la Commission économique et financière, Alla Sène semble savoir pourquoi ça coince. ‘’Je pense qu’on peut se tromper un peu dans l’approche. La relance, ce n’est pas une affaire de financer les outils de production. C’est bien, mais c’est encore mieux de leur créer des débouchés. Les opportunités sont là avec la commande publique. Mais on ne l’utilise pas convenablement et les responsabilités sont partagées. Il doit y avoir une volonté de l’Etat de faire usage de ces dispositions. Mais le secteur privé aussi doit aller vers l’information, parce qu’il y a déjà pas mal de dispositions aussi bien sur le plan national que communautaire. Mais ce sont des dispositions méconnues’’, dit-il.
 
Par exemple, signale-t-il, l’UEMOA a des dispositions merveilleuses qui permettent de favoriser les biens produits dans l’espace communautaire. Mais pour en profiter, il faudrait d’abord savoir produire. Et le Sénégal a des avantages non-négligeables dans ce domaine. ‘’Il y a quatre secteurs d’activité où les industries existent depuis des décennies et sont encore là. D’abord, il y a le textile. Non seulement les bâtiments sont là, les machines sont là et le personnel est là. Même chose avec la pharmacie. Beaucoup d’usines sont encore là et on pourrait encore les faire tourner. Il en est de même également pour les BTP. C’est illogique que certaines entreprises soient à l’arrêt, alors qu’on donne des marchés à des étrangers. Le dernier secteur, c’est l’agro-industrie…’’, indique Alla Sène.
 
Pour le responsable à la Cnes, ce qui manque au Sénégal, c’est plus une stratégie mûrement réfléchie, qui va amener l’Etat, d’une part, à renforcer les secteurs privés nationaux et communautaires, d’autre part, à booster les productions au niveau national et à l’échelle communautaire. ‘’Les pays développés ont pu injecter 75 000 milliards de dollars dans leur économie, grâce aux planches à billets de leurs banques centrales.  Pendant ce temps, nos banques centrales, elles, on leur interdit de prêter même aux Etats. Là-bas, on a même donné des cash aux populations pour que l’économie ne s’effondre pas. Ce n’est vraiment rien de pareil avec ce qui se fait chez nous, où la Banque centrale s’est contentée des reports de créance’’.
 
Revenant sur le plan de résilience qui portait sur 1 000 milliards F CFA, exécuté à plus de 70 %, il soutient que l’Etat a plus soutenu la consommation qu’autre chose. Ce qui est compréhensible du reste. Mais le privé a été le parent pauvre. ‘’Par exemple, on a beaucoup parlé d’une ligne de crédit de 200 milliards. Mais à y regarder de près, cela n’était pas édicté dans l’intérêt direct des entreprises. Ce qu’on demandait aux entreprises, c’est de s’endetter pour payer les salaires, alors que certaines d’entre elles étaient au bord du gouffre. C’est pourquoi peu d’entreprises ont eu recours à ce mécanisme. On n’a même pas atteint les 30 milliards. Logiquement, on s’attendait à ce que l’Etat mobilise ses institutions comme la Caisse de sécurité sociale, l’Ipres pour prendre en charge ces salaires pour au moins les secteurs vulnérables, pendant peut-être un, deux mois’’, explique-t-il.
 
Dans la même veine, estime le président de la Commission économique et financière de la Cnes, l’Etat n’a fait que payer ses dettes. Ce qui devrait être normal, d’autant plus que ces dettes ont été payées avec un retard. A l’instar de Mounirou Ndiaye, il pense qu’il est hors de question de prendre de nouvelles mesures qui pourraient mettre à terre l’économie déjà essoufflée. ‘’La caractérisation du risque dans cette pandémie a été surdimensionnée depuis le début. C’est ce qui nous a amenés à arrêter toute l’économie, alors qu’il y a plus de 99 % de personnes qui guérissent quand même. L’autre chose est qu’il y a le vaccin maintenant. Et il y a des méthodes de prise en charge. Maintenant, s’il y a des chaines de transmission forte, je peux comprendre qu’on agisse à ce niveau’’.
 
MOR AMAR

 

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