Publié le 6 Aug 2021 - 20:14
APPLICATION LOI SUR LES SACHETS PLASTIQUES

Panique chez les acteurs de l’eau en sachet

 

Paniqués à cause des mises en demeure à eux servies par les gouverneurs dans les différentes régions du Sénégal, les acteurs de l’eau en sachet ruent dans les brancards pour demander un délai.

 

Ils ne dorment plus que d’un seul œil. Eux, ce sont les producteurs d’eau en sachet établis un peu partout sur le territoire national. Depuis le 19 juillet, la circulaire 02558/MED/DEEC/bed du ministère en charge de l’Environnement sème la panique dans leurs rangs. Ledit acte administratif semble sonner la fin de l’ère de la ‘’tolérance’’ de cette activité, qui utilise des matières plastiques prohibées.

En tout cas, les gouverneurs des régions n’ont pas mis du temps pour mettre en branle le dispositif, afin de rendre effective cette mesure qui risque d’envoyer des milliers de Sénégalais en chômage. Le premier pas, c’est la notification à beaucoup de producteurs d’une mise en demeure les sommant d’arrêter immédiatement leur activité. Le gouverneur de Matam : ‘’Il m’a été donné de constater que vous produisez de l’eau en sachets plastiques dans votre unité de potabilisation sise à Doundé.

Je vous rappelle que l’article 4 de la loi 2020-04 du 8 janvier 2020 relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques, interdit la production, la détention en vue de la vente, la mise en vente et l’utilisation sous des sachets destinés et utilisés pour conditionner l’eau ou toute autre boisson alcoolisée ou non, à des fins de mise sur le marché. En conséquence, je vous mets en demeure de cesser immédiatement toute activité de production et de commercialisation des sachets d’eau.’’

Ce genre de notification, ils sont nombreux, les producteurs, à l’avoir reçue. Gérant dans une unité établie à Guédiawaye, Thierno Lo se dit dans le désarroi. Il peste : ‘’Il faut savoir que c’est le ministre qui nous avait reçus et nous avait promis de nous laisser continuer le travail jusqu’à la fin de la pandémie. On ne peut pas se lever un beau jour et revenir sur la décision, sans nous donner le temps de nous préparer. Si le ministre trouve qu’il ne peut plus attendre la fin de la crise, il doit nous appeler et nous dire ce qu’il en est. On va négocier pour qu’il nous donne un délai raisonnable pour nous préparer, écouler nos produits, payer nos banques et rembourser nos fournisseurs.’’

Et d’ajouter : ‘’Nous, nous ne demandons qu’une chose. Il ne s’agit pas de faire un bras de fer ; il ne s’agit pas de s’opposer à l’Etat ; nous savons que nous sommes obligés d’abandonner les sachets, pour être conformes aux lois. Mais il faut donner aux gens des délais pour se préparer.’’

Pendant que les employés craignent pour leur devenir, le patron, lui, s’inquiète pour sa maison hypothéquée dans une banque de la place, pour un prêt de 100 millions, compte non tenu des dettes auprès des fournisseurs, dont un concessionnaire de voitures pour deux camionnettes empruntées dans le cadre de son activité.  Il rouspète : ‘’C’est des dizaines et des dizaines de millions de prêts que nous avons contractés auprès des banques et des partenaires. Comment veulent-ils, du jour au lendemain, nous demander de fermer boutique ? Ils veulent que la banque saisisse ma maison. Où je vais habiter avec ma famille ? Depuis 1993, on se tue au travail. On a commencé en tant que marchand ambulant jusqu’à avoir aujourd’hui notre entreprise et des emplois. Et un beau jour, on veut tout nous enlever. Nous demandons juste aux autorités de nous accorder un délai précis. Passé ce délai, on ne va plus rien demander.’’

En fait, à en croire les services de l’Etat, tout ceci est la résultante de l’entêtement des acteurs du secteur. Le gouverneur de la région de Dakar rappelle, dans ses mises en demeure, le processus qui a mené vers la situation actuelle.  Selon lui, l’objectif visé par la dérogation du ministre était justement de permettre aux acteurs de préparer leur sortie.

Hélas, des mois se sont écoulés depuis lors (avril 2020), mais rien n’a été fait pour un respect de la législation. Il écrit : ‘’L’objectif visé par la mesure (de dérogation) était de permettre à ces acteurs de s’organiser en vue de se conformer à la loi, en mettant notamment un terme à leurs activités. Il a été constaté, une année après l’entrée en vigueur de la loi (sur l’interdiction), qu’aucune action concrète n’a été posée dans le sens de réduire l’impact environnemental de ces produits plastiques. La production et la commercialisation des sachets d’eau sont toujours de mise, en violation des dispositions de la loi 2020-04.’’ D’où le durcissement du ton du gouvernement.

Une rencontre avec le ministre prévue dans les prochains jours

Alors que les acteurs semblent dans l’expectative, le président du Collectif des acteurs de l’eau en sachet, lui, se veut on ne peut plus serein. Pour lui, dès les premières mesures de mise en demeure qui les ont pris au dépourvu, des démarches ont été initiées pour rencontrer l’autorité.

Moctar Sall : ‘’Nous sommes en train de nous organiser pour savoir quelle attitude adopter face à cette situation. En attendant, le ministre a donné une suite favorable à notre demande d’audience. Il faut, en tout cas, savoir qu’il y a beaucoup de frustrations dans ce pays. Et personne n’aimerait revivre la situation qu’on a connue au mois de mars. Le secteur de la production de l’eau en sachet emploi, au bas mot, 30 000 personnes. Et ce sont vraiment des chiffres très modestes. C’est l’un des secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois dans ce pays. Mais nous pensons que de la rencontre avec le ministre, vont sortir des solutions.’’

Selon lui, la vente de l’eau filtrée est devenue un phénomène social, une activité populaire qui crée des emplois massifs. Si l’on se fie aux derniers recensements effectués par ces professionnels de l’eau, il y a au moins 700 unités de fabrication d’eau au Sénégal. La plus petite ayant au moins une machine et une dizaine d’emplois. D’autres pouvant aller jusqu’à 300 emplois. Le président du CAES de solliciter la bienveillance du ministre : ‘’Ce qu’on demande aux autorités, c’est de laisser les producteurs continuer le travail, le temps de discuter. Il ne faudrait pas qu’au moment où on est en train de discuter pour trouver des solutions, qu’il y ait des gens qui se rendent dans les unités pour perturber le travail.’’

Si rien n’est fait, en tout cas, certains acteurs promettent de monter à une vitesse supérieure dans la lutte.

Vers la disparition de plusieurs unités

Mais quel est donc l’avenir de ce secteur au Sénégal ? Voilà un véritable casse-tête pour bien des acteurs. Pendant que les uns ont encore espoir que l’Etat les laisse poursuivre l’activité, en misant sur le recyclage des déchets ou à tout le moyen un système de gestion desdits déchets, d’autres envisagent tout simplement la fin de l’activité.

Le directeur général de Sibel rétorque : ‘’Cette situation est effectivement très compliquée. A terme, nous sommes obligés de tenir compte des engagements pris par le Sénégal dans le domaine de la lutte contre le plastique.  Je pense qu’il faut se préparer à quitter ce domaine d’activité, dans les années à venir. Seulement, même si nous devons quitter, il faut le faire avec méthode, pour que l’impact social soit le moins dur possible.’’

A la question de savoir s’il existe des alternatives pour la pérennité de l’activité, il explique : ‘’Pour les alternatives, il y a surtout l’eau en bouteille. Mais c’est plus compliqué qu’elle n’en a l’air, parce qu’elle requiert des investissements d’un tout autre ordre. Tout le monde n’a pas ces moyens. On est en train de regarder quelles sont les autres options, de voir avec le ministre les moyens de gérer cette situation.’’

Revenant sur le poids social et économique de son entreprise, il l’évalue  à 80 emplois permanents, entre 200 et 250 journaliers. Au total, ‘’12 mois sur 12, nous sommes avec 250 à 300 employés pour le sort desquels on s’inquiète également’’.

Le gouverneur de Dakar : ‘’Aucune action concrète n’a été posée dans le sens de réduire l’impact environnemental des sachets d’eau’’

Pour rappel, la loi 2020-04 du 8 janvier 2020 relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques est entrée en vigueur depuis le 20 avril 2020. Depuis lors, pas mal d’actes ont été déployés par les services du ministère de l’Environnement pour une application effective de la mesure.

Mais dans un contexte de pandémie, le département dirigé par Abdou Karim Sall avait fait preuve de tolérance à l’endroit des acteurs de l’eau en sachet. Dans un acte en date du 24 avril, le ministre de l’Environnement donnait instruction pour une mise en œuvre de la loin, mais avait fait preuve de tolérance pour le secteur de l’eau en sachet.

‘’Je voudrais, lit-on dans ledit acte, porter à votre connaissance que pour accompagner le Plan de résilience économique et social, il a été convenu, après étude et concertations, d’accorder des flexibilités à la production et à la vente d’eau en sachet. Ainsi, les unités de production d’eau en sachet régulièrement autorisées par le ministère du Commerce et la vente d’eau en sachet seront exceptionnellement tolérées jusqu’à la fin de la pandémie’’.

Selon la mise en demeure du gouverneur de Dakar, ce délai de grâce visait surtout à leur permettre de prendre les dispositions pour se conformer à la loi sur les déchets plastiques. Mais les bénéficiaires n’ont pas fait grand-chose pour être conforme.

MOR AMAR

 

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