Le docteur sierra-léonais Eluemuno propose l’usage d’œufs
Il est possible, avec un seul œuf et d’autres matières, de produire 200 doses de vaccin de Covid-19 en Afrique. L’annonce a été faite hier par le président-directeur général de la firme pharmaceutique sierra-léonaise Avril Biopharma, Dr Eluemuno (Eluem) R. Blyden, lors d’un panel sur l’industrie pharmaceutique en Afrique, à l’occasion du Forum sur la résilience en Afrique qui se tient en ligne depuis mardi.
L’Afrique peut fabriquer ses vaccins pour lutter contre la Covid-19, sans attendre les multinationales des pays industrialisés, en utilisant des produits locaux. C’est ce qu’a confirmé hier le président-directeur général de la firme pharmaceutique sierra-léonaise Avril Biopharma, Dr Eluemuno (Eluem) R. Blyden, lors d’un panel sur le sujet, en marge de l’édition 2021 du Forum sur la résilience en Afrique.
‘’Nous utilisons des œufs fertilisés pour produire des vaccins depuis les années 1930, avec l’Institut Pasteur. Il y a un réseau de ces instituts dans certains pays qui faisaient cela. C’est une technologie utilisée dans les pays développés pour faire des vaccins contre la grippe. Depuis plus de 70 ans, chaque année, un nouveau vaccin contre la grippe est produit à partir des œufs. Ce sont des millions de doses. Ma frustration au début de la pandémie, c’était de dire pourquoi ne pas investir dans une technologie qui va utiliser la même plateforme qui existe déjà pour faire face aux épidémies de grippe, pour produire un vaccin coronavirus ? Mais cela a été difficile d’avoir un écho favorable’’, regrette-t-il.
Pour ce biologiste sierra-léonais, cela s’explique par le fait que ces 30 dernières années, toutes les nouvelles compagnies qui intègrent leur secteur, justifient les investissements des gouvernements, et structures privées en disant que ce sont des choses du domaine de l’Afrique. ‘’Elles voulaient plutôt des technologies high-tech. Certes, le partenariat, c’est la clé. Mais il faut que l’agriculture africaine soit une partenaire. Il y a 80 % d’agriculteurs qui peuvent améliorer leurs productions pour produire ces œufs qui peuvent permettre de fabriquer des vaccins, des kits de test, etc., et pouvoir maitriser cette pandémie. Il faut s’appuyer sur la production locale et cela va impacter 50 % du coût de production des vaccins dans les économies africaines. Ces 50 %, c’est le coût de la matière première. Donc, faisons cette matière première ici. La quantité de matériaux que je peux utiliser avec un œuf suffirait pour faire 200 doses de vaccin de Covid. C’est une question de volonté et d’identification des possibilités, d’y parvenir’’, poursuit le Dr Eluemuno.
D’après lui, l’Afrique essaie de résoudre la première pandémie mondiale de cette ère en utilisant le ‘’modèle archaïque’’. ‘’Nous utilisons cet ancien modèle lorsqu’on a dans chaque village un smartphone, un téléphone. Le transfert des technologies est la seule solution. Il y a énormément de ressources sur le continent. Nous avons assez de capacités en termes d’innovation pour résoudre tous ces problèmes et générer notre propre propriété intellectuelle. Ceci, pour ne pas constamment essayer d’obtenir une licence. Il faut apporter un regard différent. Nous avons un hiatus dans notre résonnement et dans ce que nous appelons l’industrie ou la fabrication’’, relève-t-il.
Au début de l’émergence des pandémies, il y a 20 ans, rappelle le Dr Eluemuno, on disait qu’il fallait avoir un système qui pourrait être réorienté pour fabriquer des médicaments pour une pandémie. Il fallait avoir une base de production de vaccins pour les pandémies annuelles et si une pandémie se présentait, on augmentait la capacité de production. Avec les pandémies qui ont eu lieu dans le passé, les pays industrialisés ont réorienté leurs différentes industries. Les fabricants de voitures ont commencé à fabriquer des respirateurs ; les sociétés de textes des masques, etc. ‘’Donc, ces compagnies avaient une base d’investissement qui pouvait leur permettre de se réorienter pour faire face à la situation. Nous n’avons pas ce niveau d’industrialisation en Afrique. Ce que nous avons et qui peut nous permettre de réorienter notre industrie et faire face à une pandémie, c’est l’agriculture, l’informatique qui marche bien. On a l’Afrique du Sud qui joue le rôle de chef de file, étant le premier à détecter des variants, et nous avons certaines industries en Afrique qui seront peut-être des acteurs non-traditionnels dans le domaine des vaccins. La question de voir comment réorienter ces industries, cette technologie, de manière à utiliser les résidus de certains produits ou du miel pour fabriquer des vaccins’’, note le PDG d’Avril Biopharma.
La nécessité de partager des recettes scientifiques
Pour sa part, le conseiller spécial du directeur exécutif pour la politique, le plaidoyer et les connaissances au Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida), Dr Matthew Kavanagh, a aussi reconnu que les scientifiques africains ont les compétences, les capacités techniques et la technologie. ‘’Il faut que les multinationales croient en nous et commencent à acquérir des produits pharmaceutiques auprès des sociétés africaines. Et je me réjouis que cette tendance commence à se marquer sur le continent. C’est la seule façon pour nous de résoudre nos problèmes grâce à nos capacités locales. C’est essentiel de partager des recettes, etc. Ce qui ne fonctionne pas, c’est d’être tributaire des pays occidentaux pour la production des médicaments pour l’Afrique. Cela ne fonctionne pas et nous avons vécu l’expérience avec le VIH/sida. Au moins 12 millions de vies ont été perdues parce que nous attendions des médicaments, des antirétroviraux abordables. Nous voulions que cela puisse atteindre les populations dans cette région du monde’’, a dit le Dr Kavanagh.
Au début, le représentant d’Onusida à cette occasion a relevé que c’était 10 000 dollars par patient et par an. Chaque entreprise produisait ses antirétroviraux et ils sont arrivés à ces efforts concentrés. ‘’Grâce à certaines expériences, nous avons déjà mis la science en accès beaucoup plus libre. Il y a des sociétés en Afrique qui sont capables de produire des antirétroviraux et aussi des vaccins contre la Covid. Nous n’avons pas de déficit de personnes intelligentes, ni de financement. Il y a juste un déficit de système global qui permet de partager la science et de permettre aux entreprises de produire comme il convient. On pense à la Covid-19. Il y a tous ces vaccins qui ont été financés par des fonds publics et cette science peut être partagée pas seulement que des sociétés comme celle de Stavros (Dr Sud-africain) puissent produire des vaccins. Si cet accès était possible, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui’’, déplore le Dr Kavanagh.
Certes, il est important de pouvoir partager, d’avoir l’accès, d’échanger des informations. Mais, au final, souligne le responsable commercial du groupe pharmaceutique sud-africain Aspen Pharma, la motivation de l’industrie pharmaceutique, ce n’est pas de ‘’l’altruisme’’. Ils veulent rapporter de l’argent à leurs actionnaires. ‘’Donc, il n’est pas raisonnable pour nous de penser que les sociétés de par le monde ou que des gouvernements vont nous offrir des vaccins. Aujourd’hui, là où l’altruisme est intéressant, c’est d’investir dans les voies et moyens pour que l’on puisse produire des vaccins dans les pays en développement. Beaucoup d’argent a été donné à quelques entreprises, sur la base de leurs technologies apportées. Il n’y a pas eu d’investissements pour dire que nous sommes dans une pandémie et la chaine d’approvisionnement va avoir des problèmes et pourquoi ne pas investir dans une technologie pour avoir des vaccins partout pour que ces pays puissent vraiment fabriquer les vaccins pour eux-mêmes, en utilisant des matières premières locales ? C’est cela l’idéal’’, avance le docteur Stavros Nicolaou.
L’appui des gouvernants, une nécessité
Le responsable commercial d’Aspen Pharma a fait savoir qu’ils ont pu trouver les moyens de fabriquer des médicaments pour le VIH. ‘’Il y a cette possibilité. Mais elle ne peut se matérialiser que si nous sommes convaincus de nos capacités. Il ne se passe pas une année où nous ne parlons pas de problèmes de production de vaccins en Afrique. Mais l’exécution et la mise en œuvre ne suivent pas. L’Afrique n’a pas de moyens sur place pour mettre en place ces infrastructures. Nous avons besoin de nos gouvernements pour nous donner des moyens d’avoir des industries locales. Nous ne pouvons pas être le continent ayant le plus grand nombre de maladies et avoir de déficit en matière de production pharmaceutique. Pour le VIH, nous avions 75 % de taux d’infection et nous recevions des médicaments de l’extérieur. Cela ne peut pas continuer’’, insiste-t-il.
Cependant, avec la Covid, l’industriel sud-africain affirme qu’il y a des choses positives sur le continent. ‘’Pour la première fois, l’Afrique a dit que nous n’allons pas attendre que les autres continents fabriquent des médicaments pour nous. Nous allons nous-mêmes avoir les matières qu’il faut pour fabriquer des médicaments pour nous-mêmes, avoir le pouvoir d’achat et développer l’industrie locale. C’est une façon efficace de démarrer la réindustrialisation. Beaucoup de pays dans le monde ont des politiques locales visant l’auto-approvisionnement en cas d’épidémie ou pandémie. Mais, en Afrique, nous n’avons pas fait cela. (…) Ce qui a de bien quand on est en Afrique, c’est qu’on voit beaucoup d’éléphants. Mais ce dont nous n’avons pas du tout besoin, ce sont les éléphants blancs, quand nous allons monter ces industries et qu’un an après, nous n’aurons plus de production, parce que nous n’avons pas soutenu ces usines. Il faut mettre en place un cycle pour la mise en œuvre de ces industries locales. C’est fondamental’’, note-t-il.
Toutefois, face à l’urgence liée à l’élimination de la pandémie et à la résilience, le Dr Stavros trouve que travailler avec des partenaires étrangers comme Johnson & Johnson reste la solution. ‘’Il nous faut beaucoup d’initiatives en Afrique. En matière de technologie, il faut reconnaitre que nous avons de faiblesses en Afrique. La recherche et le développement ne sont pas étendus en Afrique. Nous avons besoin de ces partenariats pour que cette technologie arrive en Afrique et que le continent développe ses propres capacités. Nous sommes dans une situation d’urgence mondiale’’, admet-il.
MARIAMA DIEME