Les maires novices face aux défis de la gestion
Certaines communes du Sénégal, particulièrement celles de Dakar, ont, depuis ce dimanche, de nouveaux maires issus des rangs de l’opposition. Après élection, ces édiles novices devront faire face, d’après des analystes politiques, aux défis des moyens financiers, des capacités de gestion et des entourloupes de l’État.
Ils s’appellent Seydina Issa Laye Samb à Yoff, Ababacar Djamil Sané aux Parcelles-Assainies ou encore Khadija Mahécor Diouf à Golf-Sud… Ils sont tous de la coalition Yewwi Askan Wi et sont élus pour la première fois à la tête de ces communes. Après 14 journées d’une campagne riche en promesses, ces nouveaux élus devront faire face à la réalité de la gestion municipale. Et ils sont, entre autres, attendus sur le terrain de la rupture, afin de tourner la page à des pratiques jugées clientélistes et népotistes. Seulement, au vu du séisme provoqué par les résultats fortement favorables à la coalition Yewwi Askan Wi, il serait judicieux de s’interroger sur ce qui attend ces nouveaux édiles.
Le sociologue politique, Ibou Sané, avise déjà que la tâche ne sera pas facile pour ces novices qui, pour la plupart, n’ont aucune expérience de la chose. Ces maires, dit-il, qui étaient jadis prompts à critiquer leurs prédécesseurs, vont faire face à la réalité des choses. Et pire, estime-t-il, rien ne leur sera pardonné et l’État va les épier de très près. Ils doivent, par conséquent, faire attention à leur gestion.
Blocages
Parallèlement, notre interlocuteur pense que le pouvoir central va trainer les pieds, en ce qui concerne les fonds de dotation dont il a le monopole ou même les bloquer sur certains projets comme le Programme d'appui aux communes et agglomérations du Sénégal (Pacasen) ou le Programme de modernisation des villes (Promoville). ‘’Tout va être bloqué et certaines municipalités ne pourront pas fonctionner correctement. En ce moment-là, c’est la population qui va en pâtir et non les maires’’, analyse notre interlocuteur.
Pour qui, à terme, ces collectivités locales seront obligées de se rabattre sur les taxes imposées aux commerçants et autres entreprises implantées dans ces localités pour survivre. ‘’Certains sont euphoriques, mais vont être confrontés à la réalité du terrain qui est le pouvoir local et vont se rendre compte que les mairies sont pauvres, à moins qu’ils trouvent des partenaires locaux ou investisseurs qui vont leur venir en aide’’, souligne Ibou Sané.
Pour étayer ses propos, il rappelle l’exemple de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall avec le régime actuel. En effet, le responsable de Yewwi Askan Wi a toujours dénoncé le blocage de ses projets par l’État central. Dans le cadre de son procès dans l’affaire de la caisse d’avance, il évoquait une ‘’asphyxie financière’’ relative aux travaux du parking de la place de l’Indépendance, la canalisation de la SDE ou encore l’arrêt du pavage de certaines artères de la capitale par l’État...
Dans un passé récent, l’actuel maire de Dakar, Barthélémy Dias en campagne électorale dans la commune de Grand-Yoff, a imputé les problèmes de cette municipalité à un défaut de moyens dû à un manque de volonté étatique. Aux yeux de Dias fils, pour une municipalité de 450 000 habitants, si l’État du Sénégal était sérieux, les fonds de dotation seraient revus à la hausse. Un ensemble d’éléments qui fait croire à Ibou Sané que les maires proches du régime auront plus de chance de dérouler leur programme que ceux qui sont issus des rangs de l’opposition.
Il estime, néanmoins, que l’État doit avoir un esprit de dépassement et penser avant tout aux intérêts de la population, en respectant leur choix.
Légitimité politique
L’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB a, pour sa part, une tout autre analyse. Moussa Diaw pense que ces maires ont avant tout une légitimité politique, car étant choisis par la population pour apporter une solution à leurs problèmes. Il pense, à cet effet, que l’État doit être au service de ces communautés, en ayant une entente avec ces maires, même s’ils ne partagent pas le même parti ou ne sont pas dans la même coalition politique, mais c’est le sens de l’État, c’est la continuité.
‘’L’État leur doit des ressources qui correspondent à leur ville. Si l’État joue son rôle, normalement, il ne devrait pas y avoir de problèmes, mais s’il cherche à les bloquer, il va y avoir des problèmes. Cela peut même provoquer des soulèvements populaires. Ces maires sont soutenus par les populations’’, indique M. Diaw. Il espère que l’État n’ira pas dans ce sens-là, car il a un esprit républicain et sera tenu de respecter les règles du jeu démocratique. ‘’Si le pouvoir veut réussir les prochaines échéances, il doit s’entendre avec ces maires-là, sinon, il va y avoir des sanctions beaucoup plus lourdes, à mon avis’’, avertit l’analyste.
Défis
Concernant les défis qui attendent ces maires par rapport à la gestion de leurs différentes communes, l’enseignant-chercheur à l’UGB est optimiste. Il dit néanmoins que tout dépend de la volonté et de la détermination des uns et des autres. ‘’Je pense que ces maires vont réussir. La plupart connaissent les réalités de leur commune. Ils mettront en place des équipes qui vont fonctionner. Ils maitrisent les outils modernes de la communication. Cela ne devrait pas poser de problèmes’’, pense-t-il. Avant d’ajouter que la gouvernance locale ne nécessite pas d’accumuler des diplômes, mais plutôt d’être pragmatique, d’avoir des compétences, d’être rigoureux et d’avoir une capacité d’écoute par rapport aux citoyens.
Ibou Sané est, lui, d’avis que les choses se préciseront les mois à venir et ce sera le moment de voir si ces maires sont à la hauteur... ‘’A chaque fois qu’il y a changement, argue-t-il, on doit s’interroger sur l’aspect social’’. Pour le sociologue-politique, dans certains endroits, les gens voulaient une rupture et l’ont obtenue. ‘’La réalité est que, dans la demande sociale, la population confond tout. Elle croit, par exemple, que les emplois reviennent à la mairie, ainsi que d’autres aspects qui relèvent de la gestion étatique. Souvent, ce sont des problèmes lourds qui demandent le concours de l’État. Il faudra, par exemple, voir comment ces mairies vont gérer les inondations. Et à deux ans de l’élection présidentielle, l’État aussi ne va pas se laisser faire’’, insiste-t-il.
HABIBATOU TRAORE