L’émancipation des jeunes
Longtemps cantonnés à un simple rôle de porteurs de voix, les jeunes s’émancipent de plus en plus et tentent de jouer les premiers rôles dans le landerneau politique.
Pendant longtemps, ils se sont contentés de jouer les seconds rôles dans les états-majors politiques. Mais, de plus en plus, les jeunes s’affichent au-devant de la scène politique et réussissent même à damer le pion à ceux que l’on prenait pour des barons. Ce qui s’est passé à Yoff, lors des dernières élections locales, en est une des preuves éloquentes.
A seulement 34 ans, Seydina Issa Laye Samb est parvenu à déboulonner le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, présenté comme un baobab dans son fief, malgré ses moyens colossaux. D’autres jeunes ont réussi la même chose dans d’autres contrées. On pourrait en citer le maire de Rufisque-Nord, Assane Kassé, qui a réussi à vaincre le candidat de la majorité présidentielle, maire de la commune depuis 2009. Et la liste est loin d’être exhaustive.
Si ces jeunes leaders ont pu réussir une telle prouesse, c’est certes parce qu’ils ont été boostés par la machine redoutable qu’est Yewwi Askan Wi. Mais c’est aussi grâce à un ancrage social indéniable. Une implantation longtemps mise à profit des majorités présidentielles, en échange de quelques privilèges. Comme les femmes, dans les coalitions au pouvoir, les jeunes, à quelques exceptions près, sont cantonnés au rôle de simples porteurs de voix, au bénéfice de vétérans qui refusent de leur céder la place.
En revanche, dans l’opposition, ils semblent de plus en plus avoir les coudées franches. Le pourcentage des jeunes investis lors de ces élections est, en effet, nettement plus important dans l’opposition que dans les rangs du pouvoir.
En effet, dans un monde et une société sénégalaise en perpétuelle mutation, où des mutations profondes s’opèrent à la vitesse de l’éclair, l’avènement et l’incursion des jeunes leaders coulent de source. Face à une vielle garde sclérosée et adepte de l’immobilisme, les jeunes incarnent le renouveau, le tourbillon des avancées de toutes sortes et possèdent les éléments de langage pour séduire un électorat de plus en plus jeune. Ils utilisent à bon escient les outils que leur offre le Net et les réseaux sociaux, pour emporter l’adhésion et convaincre.
Même si l’engagement politique des jeunes ne date pas d’aujourd’hui, comme le signale Thierno Souleymane Diop Niang, il faut reconnaitre que cette propension à jouer les premiers rôles n’a pas toujours eu la même ampleur. Pour le responsable à Legs Africa, cette nouvelle dynamique est surtout à encourager et à soutenir. Il déclare : ‘’Je pense que cette prise de conscience, qui ne date pas d’aujourd’hui, est une excellente chose pour la démocratie sénégalaise qui a besoin d’un nouveau souffle. Comme on a coutume de le dire, la démocratie, c’est la loi du plus grand nombre et le plus grand nombre chez nous, il est jeune. C’est pourquoi je trouve que c’est une très bonne chose, l’émergence de ces nouvelles figures politiques.’’
Un nouveau souffle politique
Après une participation honorable aux élections territoriales de janvier dernier, les jeunes vont ainsi à l’assaut des Législatives prévues au mois de juillet prochain. Pour Thierno Souleymane Diop Niang, l’hémicycle est le lieu par excellence où la voix des jeunes doit se faire entendre, parce que ce sont eux qui souffrent le plus des maux qui assaillent la population, dont l’émigration irrégulière, le chômage endémique et tant d’autres maux. ‘’Quand on va à l’Assemblée nationale, souligne-t-il, c’est pour représenter les populations, porter les attentes qui émergent des communautés. Il faut non seulement être bien imprégné de ces attentes et les jeunes sont mieux placés à ce niveau. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi être nanti du savoir. Et il y a de quoi fonder un espoir sur ces jeunes. Et la députée Marième Soda Ndiaye, présentée comme l’une des meilleures, pour ne pas dire la meilleure de la législature, a montré la voie. Les jeunes sont suffisamment outillés et peuvent exercer efficacement ce rôle’’.
Pour y parvenir, le membre de la société civile invite ses camarades à davantage se forger, pour être des forces de proposition et non des forces de contestation. ‘’La formation est fondamentale, c’est même crucial. On ne peut proposer des idées fortes, on ne peut impulser une certaine vision, si on n’a pas une certaine formation. Et c’est là que j’attends ces jeunes qui s’engagent en politique ; qu’ils soient des forces de proposition, de solution, pas seulement une force de contestation, de réaction. C’est comme ça que nous arriverons à remonter les nombreux défis qui nous interpellent. Et je répète, à travers Marième Soda Ndiaye, les jeunes ont montré la voie. C’est bien possible’’.
Cela dit, d’aucuns s’interrogent sur le parcours de certains jeunes qui aspirent à jouer les premiers rôles sur l’échiquier politique. Quoi qu’encourageant, selon ce membre de la société civile, il faudrait éviter de verser dans l’égocentrisme qui fait que chacun veut être devant. ‘’Ce n’est pas avec un, deux ou même trois députés qu’on peut impulser des changements majeurs à l’Assemblée. Je pense que toutes ces forces vives, les jeunes en particulier, ont intérêt à agréger leurs énergies pour parvenir à des transformations significatives. Je pense que les jeunes doivent non seulement aller se former d’abord, mais aussi être patients’’, précise-t-il.
Selon lui, il ne faut pas oublier qu’en politique, il faut surtout être porteur de projet. Mais il faut aussi un vécu. ‘’On ne se lève pas un beau jour et s’improviser leader d’opinion. Tous ceux qui s’imposent dans le landerneau politique, y compris les jeunes, ne sortent pas ex-nihilo. Ils se sont battus pendant longtemps au sein de leurs communautés et y jouissent d’une certaine réputation. Certains appareils politiques aidant, ils ont réussi à s’imposer. Mais cela ne s’opère pas du jour au lendemain’’, insiste-t-il pour avertir les derniers venus.
Cette quête de gloire et de reconnaissance sociale est une réalité qu’il ne faut pas nier, selon notre interlocuteur. Et cela n’est pas propre aux jeunes. ‘’L’être humain, commente-t-il, a toujours eu ce besoin de se distinguer au sein de sa communauté, de son époque. Chez nous, la politique offre cette possibilité. Elle permet de rayonner, d’être au-devant de la scène, d’attirer les projecteurs… On ne peut pas le nier. Mais cela ne résume pas cet engagement des jeunes. Il y a aussi une prise de conscience réelle qu’il faut surtout mettre en exergue. Une prise de conscience qui, comme je l’ai dit, ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire politique sénégalaise a toujours été marquée par des jeunes’’.
Dans la foulée, M. Niang avertit contre les excès de confiance porteurs de désillusion. ‘’Quand on s’engage en politique, c’est pour défendre des idées, un projet. On ne doit pas trop se fier aux perceptions, aux réseaux sociaux… La politique, c’est dans le temps long, c’est un ancrage social, de la subtilité, de la nuance… Ce sont des qualités en politiques que les jeunes doivent assimiler. Il faut surtout être patient, car le chemin pour arriver à des transformations véritables est encore très long’’.
AMADOU FALL