L’heure de la désescalade
La violence politique est une réalité dérangeante qui menace la stabilité du pays, dans un contexte de menaces exogènes qui ont pour noms, entre autres, djihadisme et trafics transfrontaliers. A l’approche des élections législatives, la tension va crescendo et appelle à une prise de conscience et un dialogue franc.
C’est une escalade verbale spectaculaire. Rarement, le Sénégal n’a été confronté à une telle effervescence politique, à la veille d’élections législatives. Même l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, d’habitude mesuré et calme, n’a pas hésité à monter au créneau pour attiser le feu. Comme pour donner des gages à une certaine aile dure, qui lui reproche de ne pas être assez combatif. Il se veut menaçant : ‘’Je vais être net et clair, il est hors de question que cette forfaiture puisse passer (les menaces d’irrecevabilité sur la liste YAW à Dakar et l’absence de notification pour BBY : NDLR). Cette sélectivité dans l’application de la loi ne peut pas passer. On tient à informer tous les leaders d’opinion ; que personne ne vienne nous dire qu’ils n’ont pas été prévenus ; nous dégageons nos responsabilités de tout ce qui adviendra. Dans quelques semaines, dans quelques heures, dans quelques instants, nous allons rencontrer les Sénégalais. Ce sera un rassemblement populaire pour expliquer aux populations la démarche à adopter.’’
Pendant des jours, la tension était ainsi à son paroxysme. Certains craignaient déjà des affrontements physiques inéluctables, laissant présager des conséquences très fâcheuses. Le président d’Afrikajom center, Alioune Tine, ne cache pas son inquiétude. ‘’Le contentieux préélectoral est déjà assez lourd. On a même eu à entendre de la part de quelqu’un comme Ousmane Sonko des menaces d’insurrection… Tout cela, ça fait peur, c’est inquiétant et il est absolument nécessaire de lancer un appel à la raison, à la retenue, pour aller vers des élections apaisées et pacifiques.’’
La classe politique, selon lui, doit s’entendre sur un minimum de consensus autour des règles relatives à la démocratie, aux élections, le tout dans l’éthique et le respect des règles du jeu… ‘’Les gens doivent pouvoir discuter, débattre pour un minimum de consensus. On ne l’a malheureusement pas eu avec le parrainage et tout le monde voit ce que cela a donné. Il faut que l’on arrête de se faire peur. Ce qui se passe dans la sous-région, avec des coups d’Etats militaires à n’en plus finir, une instabilité permanente, devrait nous servir de leçon, pendant qu’il est encore temps. Au Mali par exemple, tout a commencé avec des élections marquées par des contestations ; des décisions de la Cour constitutionnelle ont entrainé l’effondrement de la Cour elle-même ; de l’Assemblée nationale ensuite… La suite, on la connait. Il faut vraiment éviter de tomber dans les mêmes travers.’’
‘’Bâtir un climat politique stable basé sur la confiance réciproque’’
Embouchant la même trompette, Dr Moussa Diop insiste sur la nécessité de s’entendre autour des règles du jeu. Mais une fois que ces règles sont bien définies, il appartient aux acteurs d’être sincères et de les respecter. ‘’Il est urgent de bâtir un climat politique stable basé sur la confiance réciproque entre les acteurs, des textes dépourvus d’ambiguïté quant à la libre participation de chacun, mais aussi des hommes politiques honnêtes, sincères dans leurs différentes interactions’’, analyse le docteur en Communication, qui en appelle aussi à une société civile ‘’forte et impartiale’’, assurant un suivi et un monitoring permanent de la vie politique, en particulier, en période électorale. A l’en croire, la rupture de la confiance est la principale cause de cette montée d’adrénaline et qu’il faudrait tout faire pour y remédier.
Pour l’heure, cette violence reste verbale. Mais, à en croire nos interlocuteurs, on n’est pas à l’abri d’une transformation de cette escalade verbale en une véritable violence physique. Alioune Tine : ‘’Il faut absolument arrêter ces dérives verbales, cette espèce de face-à-face permanente entre opposition et pouvoir, qui se manifeste comme un mortal Kombat. Il faut que ça cesse. Il me semble que la société civile n’en parle pas assez souvent. Il n’y a pas non plus assez d’éditoriaux des médias pour dénoncer ce genre de discours, d’attitudes, de comportements de nature à générer l’instabilité. A l’époque, ça se faisait. Et les gens savaient qu’il y avait des limites à ne pas franchir. Aujourd’hui, il n’y a plus de limites. La confusion, elle est presque totale.’’
Pour le président d’Afrikajom center, pour éviter le pire, il est encore temps de se retrouver entre Sénégalais, de discuter, d’avoir un minimum de consensus autour de la République, de la Démocratie et de l’Etat. Pour y parvenir, il faut surtout en finir avec ‘’l’Etat trop partisan’’, renouer avec un ‘’Etat plus neutre’’, avec des responsables recrutés de manière transparente sur les seules bases de la compétence. L’ancien directeur d’Amnesty/Afrique de l’ouest formule ses recommandations aux différents protagonistes : ‘’Nous disons au pouvoir de ménager le temps de la discussion, le temps du débat, de la délibération, le temps d’avoir des consensus forts sur les élections. Nous disons aussi à l’opposition que le recours au discours violent, aux menaces d’insurrection, ça doit cesser. Ça doit cesser, parce qu’on ne sait pas où ça peut nous mener, surtout avec ce qui s’est passé au mois de mars. On ne doit pas jouer avec ça, parce que, c’est un jeu dangereux qui ne profitera à personne.’’
Le recours aux menaces d’insurrection doit cesser…
Principaux promoteurs de la violence, les vieux s’effacent souvent, quand il s’agit d’aller au front, pour laisser les jeunes mourir à la place. Pourtant, quand il s’agit de se servir, ils ne laissent que des miettes aux plus jeunes. Dans un entretien récent avec EnQuête, Franck Daddy, secrétaire général de l’UJTL, constatait pour le regretter : ‘’une sous-représentation des jeunes des investitures’’ de sa coalition électorale. Et cela est valable pour la plupart des grandes coalitions. Les jeunes, selon Dr Moussa Diop, c’est surtout un moyen de contestation et d’intimidation en période électorale.
Aujourd’hui, soutient pour sa part Alioune Tine, les jeunes ont de moins en moins de repères dans la politique. Beaucoup s’identifieront à des leaders qu’ils n’ont connus que dans les livres… Cela, selon lui, c’est une preuve éloquente du déclin et de l’échec des hommes politiques actuels. ‘’S’il y a un impératif, c’est l’éducation : éducation à la culture de l’Etat, éducation à la culture de la démocratie, de la République, des Droits de l’homme, de la culture tout court. Quand on a un certain niveau de culture, il y a un certain nombre de choses qu’on ne peut pas se permettre. On est conscient qu’il y a des limites à ne pas franchir ; qu’un Etat stable où règnent l’équité et la justice est nécessaire. Et les élites politiques doivent donner l’exemple. Le grand problème avec les parti politiques d’aujourd’hui, c’est qu’on peut se demander si c’est véritablement des partis politiques’’, se demande le président d’Afrikajom center.
Autrefois, se rappelle-t-il, les partis politiques, opposition comme pouvoir, avaient un mode de fonctionnement, des instances régulières, des écoles de formation ; ils avaient un discours qui s’inscrivaient dans les valeurs de la République, de la démocratie, et de l’Etat de droit. ‘’Tout cela n’existe plus. Aujourd’hui, il n’y a même plus de débat dans l’espace politique. A la place, ce sont des disputes, des coups en dessous de la ceinture, au ras des pâquerettes. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de ce qui est en train d’arriver. Il faut travailler à y remédier, en mettant en place des cadres pour discuter avec les jeunes, en aménageant des institutions où on peut les former… Je pense que c’est extrêmement important.’’
Mor Amar