Publié le 20 Jun 2022 - 23:45
MÉMOIRES DU PR. ABDOULAYE BATHILLY

Insatiable ‘’Passion de liberté’’

 

Vingt-neuf ans à la tête de la LD/MPT, membre du gouvernement sous Abdou Diouf et sous Abdoulaye Wade, le Pr. Bathily partage une vie, témoin des luttes démocratiques du Sénégal.  

 

Peut-on connaitre vraiment une personne mieux qu’elle-même ? Une question difficile à traiter face à laquelle Mamadou Diop Decroix a très vite développé une approche négative, dans ses rapports avec le Pr. Abdoulaye Bathily. ‘’Je croyais le connaître, mais en lisant son livre, j’ai découvert énormément de dimensions que je ne lui connaissais pas’’, avoue, d’emblée, le secrétaire général de l’AJ/PADS. Pourtant, les deux hommes se sont rencontrés depuis mai 1968. Quarante-quatre ans plus tard, en lisant les mémoires de l’historien, ‘’Passion de liberté’’, publié aux éditions Présence africaine, le député est encore surpris par celui avec qui il a été parmi les fers de lance de la contestation étudiante qui fit vaciller le régime de Léopold Sédar Senghor.

Samedi dernier, une cérémonie de présentation et de dédicace a réuni de grandes personnalités, après la publication des mémoires du Pr. Abdoulaye Bathily.

L’enseignant d’histoire en est également un grand acteur au Sénégal. Au point que Mamadou Diop regrette que leurs enfants et petits-enfants, aujourd’hui étudiants à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ne connaissent rien de l’histoire telle qu’elle devrait être racontée. ‘’Je discutais avec des étudiants dont l’un est en septième année de médecine et l’autre en Master 2 au Département d’histoire. Lorsque je leur pose des questions sur mai 1968 ou sur Amilcar Cabral, ils n’en ont jamais entendu parler. Si on a des problèmes avec notre jeunesse, c’est parce que notre vraie histoire ne leur a pas été apprise’’, se désole-t-il que l’histoire des Africains ne leur soit pas enseignée par des Africains.

Passion de liberté et devoir de libérer l’Afrique

L’autobiographie du Pr. Bathily est un outil bien utile dans l’optique de l’accomplissement de ce vœu. Tant ce document renferme un pan de l’histoire du Sénégal. Les mémoires d’un témoin de la naissance du pays, de ses folies d’adolescence et de son ambition de grandeur. Toute cette période, l’historien et homme politique sénégalais la raconte avec ‘’Passion de liberté’’. Ce, à travers ‘’mon itinéraire, de l’école primaire (…) à l’armée, avec le refus de la soumission, de l’injustice, le combat pour la liberté des autres’’. Cette passion qui se transforme en devoir de libérer l’Afrique, ce continent soumis et dont, 60 ans après les indépendances, l’on exige encore sa liberté.

Témoin et acteur des luttes démocratiques, le Pr. Bathily  se remémore, comparativement à la situation politique actuelle du pays, qu’en 1983, ‘’le président de la Cour suprême disait qu’on pouvait voter sans pièce d’identité, on pouvait voter sans isoloir’’. Avant de faire un rappel des motifs d’interdiction de réunions dans le passé. Car la loi 78-02 du 29 janvier 1978 parle encore de manifestation : ‘’Pas assez de forces de l’ordre pour encadrer une manifestation, mais assez pour la réprimer’’ ; ‘’À la suite de la surexcitation des esprits, cette manifestation est interdite’’, etc. Pour quelqu’un qui vient de si loin, qu’il soit encore difficile de tenir une manifestation politique au Sénégal est un problème.

Hommage aux jeunes d’avant…

Depuis, la lutte n’est pas arrêtée à une alternance politique. ‘’C’est une étape, parce qu’au-delà de l’alternance politique, ajoute-t-il, il faut une alternative. Il nous faut une transformation qualitative de la société. Et nous n’y sommes pas encore. Les harcèlements se sont succédé, mais c’est un travail de Sisyphe’’. Avec les sacrifices des acteurs contemporains, l’ancien chef de file de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) a souhaité rendre hommage aux jeunes d’avant. ‘’Ils ont affronté des situations plus difficiles, plus risquées et qui nous ont permis d’avoir des élections démocratiques, libres et transparentes’’, témoigne-t-il.

Ce clin d’œil permet de faire une transition vers la réalité sociopolitique actuelle. Partout en Afrique, le désir d’affranchissement des pesanteurs historiques bouillonne dans l’esprit des nouvelles générations. Et tous les mécanismes de liberté se mettent en place. De quoi renforcer l’ancien ministre  de l’Environnement et de la Protection de la Nature dans son optimisme : ‘’Le Sénégal se transformera. Cette jeunesse que je vois aujourd’hui, se battra avec les armes de son époque. Nous ne sommes pas plus héroïques qu’eux. J’ai de l’optimisme pour le continent, car la passion de liberté habite chacun d’entre eux. C’est ce que je vois avec ces jeunes et je les y encourage.’’ Et à ceux qui essayeront de les arrêter, l’historien partage son expérience d’observateur des mutations sociales. ‘’Il n’y a que les naïfs et les ignorants qui pensent qu’ils sont là et qu’ils peuvent s’imposer. Il y a des dynamiques sociales qui s’imposent toujours aux individus’’, assure Abdoulaye Bathily.  

… encouragement à ceux d’aujourd’hui

Nombreux ont été les intervenants, lors de cette cérémonie, à partager leur vécu avec et aux côtés du Pr. Bathily. De ses mémoires, le membre de la société civile a appris ‘’le rôle joué par l’auteur dans l’affaire Me Babacar Sèye, ses relations avec Abdou Diouf et Abdoulaye Wade (anciens présidents de la République), ses qualités humaines et de médiateur, de même que son rôle en tant qu’envoyé des Nations Unies dans le Sahel. Le fondateur d’AfrikaJom Center attire l'attention sur le fait que ces mémoires sont parmi ‘’les témoignages les plus précieux de l’histoire politique et démocratique du Sénégal. Surtout le récit sur la route vers l’alternance’’.

En le lisant, il se rend compte que par rapport à notre situation actuelle, ‘’on n’a pas l’impression d’avancer dans notre démocratie avec les histoires sur les problèmes de la transhumance, les trahisons internes dans les structures politiques. On a réussi notre première alternance et la deuxième. Je ne parlerai pas d’une troisième, car notre démocratie est en train de buter sur quelque chose’’.

La fibre du militantisme ayant été touchée le temps de son intervention, Serigne Mansour Sy Djamil s’est laissé aller à un petit commentaire. ‘’Quand j’entends les leaders de Yewwi Askan Wi dirent qu’une opposition comme celle qu’ils constituent n’a jamais existé dans l’histoire du Sénégal, je me dis : mais quelle prétention !’’, s’offusque-t-il, avant d’être ramené à plus de raison garder par ses camarades.

Le leader de Bess Du Niakk  a conclu en appelant ses compères à transmettre l’histoire de tous les combats qui ont été menés au Sénégal. ‘’Nous devons écrire pour inviter cette nouvelle génération à plus d’humilité, leur faire savoir que l’ouverture démocratique au Sénégal, dont elle bénéficie, a été le fruit d'une très longue lutte'', assure-t-il.

Lamine Diouf 

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