Publié le 15 Feb 2023 - 19:27
3e MANDAT

Dans la tête du président !

 

Quelles garanties pour lui et ses proches en cas de non-candidature ? Que serait le reste de son ‘’règne’’, si jamais il annonce qu’il ne sera pas candidat en 2024 ? Quel schéma pour éviter de se faire succéder par Ousmane Sonko ? Des réponses à ces questions vitales pourraient, en partie, dépendre la décision du président Sall de se présenter ou non en 2024.

 

C’était le scénario le plus inattendu, au sortir de l’élection présidentielle de 2019. À la place d’un Macky Sall qui envisagerait une troisième candidature, beaucoup pariaient plutôt sur une guerre de succession inévitable, entre les ténors de son parti, l’Alliance pour la République d’une part, les alliés de sa coalition Benno Bokk Yaakaar d’autre part. Contre tout pronostic, le Sénégal se retrouve ainsi avec une situation ubuesque, où les citoyens ne savent pas si le président en exercice se présentera ou non à sa propre succession.

Dans plusieurs vidéos disponibles sur Internet et les réseaux sociaux, le président de la République a donné sa lecture des dispositions de la Constitution. Il est même allé jusqu’à corriger ceux qui font l’amalgame avec la situation de 2012 avec Abdoulaye Wade, avouant avec beaucoup de sincérité que les choses sont nettement plus claires avec lui qu’avec Wade, car ce dernier était élu en 2000 avec une Constitution qui ne prévoyait pas de limites. Lui, en revanche, il a été élu avec une Constitution qui prévoit la limitation des mandats à deux, et qu’il n’a fait que consolider cette disposition, lors du référendum de 2016.

À l’époque, pour lui, c’est juste que les intellectuels aiment les débats stériles sans intérêt. ‘’Les intellectuels aiment trop les polémiques, chacun essayant de faire sa pédanterie, chacun voulant montrer qu’il est le plus compétent. Tout ça, c’est bien, mais il faut cesser de mobiliser nos énergies pour des futilités. Pour ma part, on pourra tout me reprocher sauf le souhait de me présenter pour une troisième fois. Je veux que ça soit clair’’, fulminait-il sans nuances.

C’était une autre époque. Pour beaucoup, les choses se sont bien métamorphosées depuis. Certes, les arguments ne manquent pas pour asseoir une telle thèse : le limogeage de tous ceux qui, dans son camp, défendaient la non-candidature, le maintien de tous ceux qui se prononcent en faveur d’une candidature, le silence assourdissant face à la propagande massive notée ces derniers temps… Malgré ces signaux, des sources généralement bien informées continuent de croire que Macky Sall ne va pas se représenter. Beaucoup d’autres se suffisent aux actes et déclarations des collaborateurs du président pour se convaincre du contraire.

Une chose est sûre : le principal concerné, depuis que la polémique a enflé après sa réélection en 2019, s’est fixé une ligne de conduite : le fameux ni oui ni non. Pourquoi ce silence embêtant à un an de l’échéance ?

Plusieurs raisons pourraient l’expliquer. Le premier, qui a la faveur de l’écrasante majorité des pronostics, c’est la volonté de briguer un troisième mandat. Ce serait donc le chef de l’État lui-même qui serait derrière tous ces oiseaux de mauvais augure qui prêchent pour un autre mandat. Ce serait une des rares fois où Macky Sall annonce à ses poulains ce qu’il va faire.

En effet, si Wade avait habitué les Sénégalais à signaler à droite, avant de tourner à gauche, son successeur est connu pour être un grand cachotier, qui partage rarement ses intentions avec ses collaborateurs. L’un des derniers exemples en date, c’est la nomination du Premier ministre Amadou Ba, il y a quelques mois. Jusqu’au dernier instant, le président a su cacher son jeu. Ce serait donc une première qu’il laisse à ses thuriféraires la primeur de l’information sur une question aussi importante que la volonté de se présenter en 2024.

Les raisons du silence

L’autre facteur qui pourrait expliquer ce silence du président, c’est le fait de vouloir garder la main, aussi bien dans les affaires étatiques que dans les affaires de son parti. Dans une belle lettre publiée dans ‘’Jeune Afrique’’ au lendemain de l’élection de Macky Sall en 2019, Dr Cheikh Omar Diallo décrivait ce qu’auraient dû être les deux dernières années de ce qu’il considérait naturellement comme étant le dernier mandat. Il prédisait : ‘’Dès potron-minet, écrivait-il, c’est votre coalition qui préfacera votre départ avant l’heure. Les ambitions y seront fortes, tenaces et légitimes. Dans votre camp, il y aura forcément plusieurs camps. L’opposition actera le crépuscule de ce magistère en ne faisant plus de vous son centre d’intérêt. Plutôt que de chercher à vous abattre, elle convoitera votre place. Les parlementaires quitteront la Chambre d’applaudissements pour entrer dans celle des positionnements. Les maires ne vous seront plus affidés, ils iront plutôt s’affilier aux candidats à la Présidentielle. Les médias d’ici et d’ailleurs ne s’intéresseront à vous que pour connaître votre choix intime sur les probables présidentiables...’’

Dans cette fiction du docteur en sciences politiques, le président devenait ‘’un homme du passé’’. Le monde aurait les yeux rivés sur ses différents challengers. Au-delà des élus, les grands responsables allaient également s’affirmer. ‘’Vos Premiers ministres, vos grands ministres à fort potentiel électoral, vos ambitieux directeurs généraux, les commandants en chef et lieutenants de la coalition présidentielle voudront, à juste raison, s’émanciper. C’est ainsi qu’à mi-mandat, les intentions présidentielles naîtront au grand jour. Les alliances et les mésalliances domineront l’actualité. La plupart des alliés et obligés partiront avant terme. Les petits meurtres entre amis et les grandes trahisons entre copains feront les choux gras de la presse. Votre palais sera déserté. La fin de votre magistère se limitera à une sorte de figuration. Ainsi donc, vous fermerez la page la plus héroïque, la plus palpitante et la plus noble de votre vie publique…. Le déclin sera pour vous une épreuve de vérité’’.

De bonnes raisons de ne pas se présenter

Le moins que l’on puisse dire, c’est que par son silence, Macky Sall arrive jusque-là à retarder cette prophétie. À ce jour, aucun de ses proches lieutenants, même parmi les plus téméraires, n’a osé le défier. En à peine un an de l’élection, le sujet semble plutôt tabou dans la majorité présidentielle. Les rares qui avaient posé le débat de la succession ont été effacés et n’ont plus droit au chapitre.

De ce fait, le président garde toujours les pleins pouvoirs, et non ‘’l’illusion du pouvoir’’, comme le prédisait celui qui était surnommé autrefois ‘’le ‘’jumeau de Karim Wade’’. En sus de rester le maitre du jeu, il a aussi la latitude de faire monter les enchères, de discuter ce que sera sa sortie du palais de la République.

À 62 ans, Macky Sall, contrairement à Wade, a encore toute sa vie devant lui. D’ailleurs, beaucoup lui prédisent une possible carrière dans les instances internationales, en particulier onusiennes. Et si la baraka le poursuit, pourquoi pas envisager un scénario à la Poutine.

Mais dans un contexte où son camp est en perte de vitesse continue, un tel scénario devient très improbable. Déjà, l’actuel président n’a plus la majorité sociologique, si l’on se fie aux dernières élections locales et législatives. Ensuite, il lui serait difficile, pour ne pas dire impossible, de parvenir à imposer un candidat consensuel dans son parti, a fortiori au niveau de la coalition.

À son intention, l’allié Idrissa Seck formulait récemment la prière suivante : ‘’Que le Seigneur continue d’apaiser votre cœur, de fortifier votre esprit pour que les choix futurs que vous aurez à faire puissent vous valoir un parachèvement de votre parcours déjà exceptionnel d’une telle beauté qu’il n’y aura pas d’autre choix que de vous garantir, après une longue et heureuse vie auprès des vôtres, une mention honorable sur les langues de la postérité.’’

Dans tous les cas, une non-candidature serait historique pour le Sénégal et ferait rentrer l’actuel président dans les annales de la République.

En effet, il aurait été le premier chef d’État à organiser des élections auxquelles il ne participe pas ; il aurait été le premier président à quitter démocratiquement sans défaite électorale ; il épargnerait peut-être à jamais le Sénégal des débats de fin de mandat sur la possibilité ou non pour le président de se représenter pour une troisième fois. Un débat mortifère que craignent tant les Sénégalais et leurs amis.

Mais pour ceux qui rôdent autour du pouvoir, c’est une question de survie qui se joue. Et sans doute, leur sort pourrait également peser sur le choix du chef de l’État, dont le choix a été rendu d’autant plus difficile qu’il a réussi à faire le vide autour de lui.

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