Publié le 1 Mar 2023 - 14:59
FRANCE EN AFRIQUE

Complice et bouc émissaire !

 

Malgré les ‘’aveux’’ et autres tentatives de ‘’faire amende honorable’’, la France peine à convaincre certaines opinions publiques africaines quant à sa volonté de changer de paradigme dans ses relations avec le continent. Jusque-là considérée comme complice des dirigeants responsables du sous-développement endémique dans lequel se trouve l’Afrique, il lui faudra du temps pour ouvrir une nouvelle page. Décryptage avec le directeur du cabinet InterGlobe-Conseil, spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique, et l’écrivaine Fatoumata Sissi Ngom.

 

Du discours de Ouagadougou à celui de Paris, avant-hier, la France n’a eu de cesse de multiplier les initiatives pour convaincre de sa volonté de partir sur de nouvelles bases dans ses relations avec l’Afrique. Malgré les ‘’bonnes intentions’’ maintes fois proclamées, le désamour persiste. En réponse à la dernière sortie d’Emmanuel Macron, le chantre du mouvement ‘’France dégage’’ au Sénégal, Guy Marius Sagna, déclare : ‘’La France doit comprendre que ce n'est pas le moment du ‘deuxième de rideau’, mais celui du baisser de rideau néocolonial. Fini le spectacle néocolonial !’’ En ce qui concerne la réorganisation annoncée par la France sur les bases militaires, le député rétorque : ‘’Nous ne parlons ni de "transformation" ni de "réduction" de vos bases militaires d'occupation, mais du départ de tous les militaires français en Afrique, de la fermeture des bases militaires françaises en Afrique…’’.

Mais pourquoi les nombreuses initiatives n’ont jusque-là pas porté les fruits escomptés ? Est-il même possible de retrouver des relations normales entre les deux parties ? 

Enseignant et analyste en géopolitique et directeur exécutif du cabinet InterGlobe Conseils, le Béninois Régis Hounkpé apporte des éclairages. Selon le spécialiste, il y a un "impensé" persistant dans les relations entre la France et l'Afrique, surtout francophone, qui constitue à ne lire et à ne voir leurs rapports sous la jauge postcoloniale.

‘’Dans n'importe quelle configuration, soutient-il, l'histoire coloniale, néocoloniale et postcoloniale irrigue l'actualité des relations entre les pays africains et la France… La France n'est certes pas la seule ex-puissance coloniale en Afrique, mais c'est bien la seule qui a maintenu sur l'Afrique une emprise dans des domaines régaliens comme la sécurité et la défense, les finances et le développement économique, la diplomatie et la capacité d'établir ou non souverainement des partenariats extérieurs. On continue, en 2023, de parler de coopération au développement ou développement solidaire, de franc CFA, de bases militaires françaises en Afrique. Les rapports sont évidemment biaisés. La France continue d'affirmer sa puissance, en dépit des bouleversements contraires et de la nécessité de rafraîchir le logiciel franco-africain’’.

Régis Hounkpé : ‘’La normalité supposée est un leurre’’

Dans son dernier discours, Macron a annoncé d’importants changements dans ces différents secteurs. Notamment une réorganisation de la vocation des bases militaires ; un changement de paradigme en ce qui concerne le partenariat économique. Même le respect des valeurs des uns et des autres n’a pas été en reste…

Mais pour beaucoup, le passif est trop important pour être gommé avec de simples discours. A entendre Régis Hounkpé, il en faudrait bien plus pour guérir les plaies. ‘’Je ne crois pas vraiment à la normalisation spontanée des relations entre la France et l'Afrique francophone, car l'enjeu n'est pas moral, mais stratégique. Donc, la normalité supposée est un leurre. Par contre, les opinions publiques africaines ont des revendications saines qui, parfois, sont exprimées par des biais inadaptés. Que veulent les jeunesses africaines ? Des libertés, du travail, de la reconnaissance sociale et citoyenne, de la sécurité et des options pour mieux se prendre en charge. En tentant d'adresser frontalement ces requêtes aux pouvoirs publics souvent autoritaires, les opinions publiques se servent de la présence française pour contester leurs propres dirigeants. On a donc un fouet à deux branches qui frappe indistinctement pouvoirs autoritaires et ex-puissance coloniale’’, renchérit l’enseignant-chercheur.

Alors, la France serait-elle une sorte de bouc émissaire, comme le disait Emmanuel Macron ? Paie-t-elle l’échec des dirigeants impopulaires qu’elle a souvent directement ou indirectement soutenus ?

Selon l’enseignant à l’université de Reims-Champagnes-Ardennes, M. Hounkpé, certains pouvoirs africains, faute de solutions aux problèmes de leurs citoyens, redirigent la colère contre la France officielle. ‘’Certains parleront de la guerre de désinformation menée par les concurrents de la France en Afrique pour saper son image et détruire sa politique sur place. C'est beaucoup plus complexe que ça. Je ne nie pas que cela puisse exister, mais le désamour ne date pas d'aujourd'hui et mettre en perspective la rivalité entre la France et la Russie ou la Chine pour expliquer cette perte d'influence répond insuffisamment à votre question’’, a-t-il insisté.

Tisser de nouveaux liens

Écrivaine et passionnée de culture, Fatoumata Sissi Ngom estime, pour sa part, qu’il est urgent de tisser de nouveaux liens sur des secteurs aussi importants que la culture, la restitution des biens culturels, le climat, l’économie... En quelque sorte, il s’agirait de remettre l’église au centre du village.

A son avis, les solutions cavalières et les initiatives spectaculaires n’ont pas beaucoup d’impact, une fois l’engouement passé. ‘’Il faut, souligne-t-elle, un changement total de paradigme et de conscience collective et individuelle. L’utilisation des mots “humilité”, “co-construction” et “partenariat” est un signal fort, à mon avis. Mais au-delà des signaux, les Africains doivent savoir que la réponse et les solutions qu’ils cherchent se trouvent à l’intérieur d’eux-mêmes. L’Afrique doit prendre ses responsabilités sans rien attendre de quelque entité que ce soit. Il faut sortir des postures de l'attente ou de victimes séculaires devant être, pour “guérir”, dédommagées et réparées par les anciens bourreaux. C'est une dynamique ambiguë pour la jeunesse africaine et la diaspora africaine’’.

Pour le Béninois Régis Hounkpé, il ne faudrait pas se faire trop d’illusion. La France, souligne-t-il, n'a aucun intérêt à accélérer les changements escomptés, en dépit des beaux discours. ‘’Si elle veut continuer à demeurer une puissance stratégique en Afrique et dans le monde, sa politique ne déviera pas. Elle sera même accentuée par une stratégie cosmétique comme pour les bases militaires, tantôt en réarticulation de la présence militaire ou en co-administration avec les armées africaines. Ce sont les pays africains qui doivent s'affirmer et devenir réellement indépendants. C’est aux dirigeants africains de mettre fin à ce statut colonial de fait, et cela ne peut être une profession de foi, mais un véritable travail de fond. Nous en sommes très loin, mais cela n'est pas impossible’’.

Dans sa nouvelle stratégie manifestée depuis le Sommet de Montpellier et même bien avant, Emmanuel Macron a montré qu’il compte moins sur les politiques, bien plus sur les différentes composantes de la société civile, allant des artistes et sportifs aux activistes et autres acteurs de la société civile classique, en passant par les entrepreneurs. Tout en revendiquant un discours plus humble, moins arrogant et condescendant, le président français veut s’appuyer sur ces derniers pour contrecarrer le discours anti-français.

Sur son compte Twitter, Kémi Séba dénonce une ‘’stratégie perfide’’ qui vise à ‘’instrumentaliser les artistes afros’’ pour redorer l’image de la France.

MOR AMAR

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