Une économie au bord du précipice ?
Les violences qui ont eu lieu le 1er et 2 juin 2023 ont déjà des répercussions sur l’économie générale sénégalaise. Ces manifestations meurtrières risquent d'impacter négativement beaucoup de secteurs d’activité comme l’informel, le tourisme et le commerce qui peinent à se relever de la Covid-19 et de la crise russo-ukrainienne.
Les violences politiques du 1er et du 2 juin 2023, au-delà de leur caractère barbare, ont aussi constitué un sérieux coup d’arrêt pour l’économie sénégalaise. Le secteur informel, qui constitue près de 80 % de l’économie nationale, a beaucoup souffert des pillages, des saccages de magasins, de boutiques, de la baisse de fréquentation et de la perte d’activités dans les marchés, entre autres.
Selon l’Unacois (Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal), les principales victimes de ces tensions sont les travailleurs du secteur informel. Pour la vendeuse du marché ou le chauffeur de taxi, le préjudice est considérable, car ils vivent au jour le jour. Un jour sans travail, ce sont des familles entières fragilisées, selon le syndicat des commerçants et industriels sénégalais. Cette explosion est consécutive d’une situation de paralysie qui plombe l’économie de la capitale, depuis deux ans. À chaque comparution de l’opposant Ousmane Sonko dans l’affaire de viol, un important dispositif policier est déployé à Dakar, poussant certains commerçants à baisser leurs rideaux pour plusieurs heures et éviter les pillages et les dégradations.
En outre, les pillages, les incendies d’entrepôts de stockage de nourriture risquent d'entraîner une hausse de l’inflation des produits de consommation. Les perturbations des chaînes de distribution de marchandises et la suspension des réseaux sociaux et des données mobiles ont fortement fragilisé la nouvelle économie basée sur l’usage des Tic. Les violences et autres échauffourées, les 1er et 2 juin 2023, ont aussi fortement impacté le tourisme.
‘’Les clients français et belges, pour la plupart, ont été effrayés par les vidéos de chaos à Dakar et à Ziguinchor. C’est déplorable, car c’était des réservations sur plusieurs jours. Le manque à gagner devrait tourner autour d’une dizaine de millions de francs CFA’’, a expliqué un gérant de deux établissements hôteliers dans le delta du Sine-Saloum.
Selon lui, 90 % des réservations ont été reportées. Ces incidents constituent un nouveau coup dur pour le secteur qui se remet à peine de la crise sanitaire de la Covid-19, pour le tourisme qui pèse 6,7 % du PIB. ‘’Si la crise politique s’installe et perdure jusqu’à la Présidentielle, la saison touristique 2024 pourrait être compromise’’, s’inquiète-t-il.
Les violents affrontements ont aussi porté un coup rude à Dakar comme principale destination des voyages d’affaires et autres séminaires en Afrique de l’Ouest. Le symposium de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, prévu du 9 au 12 juillet prochain à Dakar, a été délocalisé à Abidjan. Le grand rendez-vous Africa Mith a quant à lui été écourté, par crainte de troubles à Diamniadio. NetBlocks, la mesure du gouvernement de Macky Sall coûte près de 5 milliards de francs CFA (7,5 millions d’euros) par jour au Sénégal. D’autant plus qu’une pénurie de carburant se profile à l’horizon dans la capitale. Le saccage et la destruction de nombreuses stations-service ont profondément chamboulé le circuit de distribution et de vente de carburant à Dakar.
‘’Ces violences constituent un danger pour notre jeune économie extrêmement fragile’’
Pour Meissa Babou, enseignant-chercheur en économie à l’Ucad, ces violentes manifestations peuvent impacter négativement notre économie à long terme. ‘’Ces violences ont porté un rude coup à la production nationale et constituent un danger pour notre jeune économie extrêmement fragile. À l’occasion de ces incidents, le secteur des transports urbains et interurbains a été fortement touché. Des compagnies de transport comme Dakar Dem Dikk ont subi des pertes considérables de chiffres d’affaires (50 millions) et le TER (60 millions) sans oublier les pertes subies par les taxis et les transports en commun. La fermeture des banques ainsi que celle des marchés Zinc, HLM et Sandaga a aussi impacté négativement l'économie sénégalaise, sans compter les pertes en matière d’emplois’’, a-t-il déclaré.
Poursuivant, il ajoute : ‘’Notre économie, qui a subi les contrecoups de la Covid et de la guerre en Ukraine, subit une inflation de presque dix points, ce qui rétrécit la demande et donc forcément la production. Ces manifestations vont aussi nuire à la croissance économique. La croissance estimée à 8 % devrait atteindre difficilement les 5 %, cette année’’, fait-il savoir.
Ainsi, l’économiste semble pessimiste sur les perspectives d’une bonne santé économique au Sénégal, à l’orée de la Présidentielle de 2024. ‘’A la veille et tout juste après une élection, beaucoup d’investisseurs décident de se montrer prudents. Notre économie risque de souffrir d'une perception négative des investisseurs. Ce qui pourrait gravement impacter le tourisme, sans compter les fuites de capitaux et l’absence d’investissements consécutifs aux troubles politiques’’, soutient-il.
Amadou Fall