Les impactés réclament leurs indemnités, le spectre de Fanaye rode
Les populations de la commune de Ndendory ont cédé leurs terres à la Société minière de la vallée du fleuve (Somiva) depuis plus de quatre mois. Mais jusqu’ici, elles n’ont pas vu la couleur de leur argent. Indemnisées à hauteur d’un million 500 mille francs l’hectare, ces familles, au nombre de 210, soutiennent que c’est au niveau de la préfecture de Kanel que les fonds sont bloqués. Le préfet et la société civile indexent plutôt la société minière. Les populations, exaspérées, menacent de passer à la vitesse supérieure.
Les phosphates de Ndendory, dans le département de Kanel, sont présentés par des experts comme un produit minier de très haute qualité et prisé partout dans le monde. Une richesse qui ne profite pas pleinement aux populations, notamment celles qui sont riveraines de la mine exploitée par la Société minière de la vallée du fleuve (Somiva).
En effet, en train de subir de plein fouet les conséquences néfastes de l’exploitation de la mine, elles ont été invitées à céder une partie des terres qu’elles occupaient au profit de l’entreprise minière. Chose qu’elles ont acceptée après qu’il a été convenu de dédommager chaque hectare à hauteur d’un million 500 mille. C’était au mois de février. Aujourd’hui, quatre mois plus tard, les impactés courent toujours derrière leur argent.
C’est au beau milieu du site de la Somiva que les 210 personnes officiellement recensées s’étaient retrouvées, ce mardi, pour faire face à la presse. ‘’Nous sommes présentement sur le site de la Société minière de la vallée du fleuve (Somiva). Site où se trouvent nos champs, des champs que nous cultivons depuis plusieurs années. Mais il y a de cela quatre mois, la Somiva est venue elle-même nous trouver ici, dans nos champs, pour nous faire savoir que nos terres feront l’objet d’une exploitation. Sur ce, ils nous ont dit qu’ils vont procéder à des indemnisations’’, rappelle le porte-parole du jour.
La Somiva aurait déjà versé l’argent… C’est le préfet de Kanel qui refuse de procéder à la distribution
Le rassemblement qui s’est tenu sur le site de l’entreprise dénote clairement du bon rapport qui existe entre les populations et la Somiva. Les deux parties semblent être sur la même longueur d’onde. C’est parce que la société aurait déjà décaissé l’argent qui devait revenir aux impactés, si l’on se fie aux manifestants. Une enveloppe de 99 millions F CFA destinés à 210 personnes, à raison de 1 500 000 F CFA par individu. ‘’Nous avons trouvé un accord avec la Somiva pour le dédommagement de nos terres à hauteur d’un million 500 mille F CFA l’hectare. Quand nous avons quitté nos terres, le préfet (NDLR : de Kanel) nous a appelés pour nous dire que la Somiva a versé l’argent des indemnisations et que même la copie du chèque est avec lui. Par la suite, nous avons rappelé le préfet pour lui demander pourquoi l’argent n'est toujours pas distribué aux personnes. Mais les explications qu’il nous sert ne sont pas plausibles, elles sont changeantes avec à chaque fois, une nouvelle version’’, fustige l’homme qui a parlé au nom du groupe.
Selon les manifestants, l’enveloppe de 99 millions F CFA dégagée par la société minière ne concerne que les populations impactées de Ndendory et de Ouali Diala. ‘’Ils (les administrateurs de la Somiva) ont précisé depuis longtemps que les revenus reviendraient aux populations de Ndendory et de Ouali Diala : 88 % pour Ndendory et 12 % pour Ouali Diala. Le cadastre et la Saed ont déjà travaillé sur les modalités d’indemnisation. Donc, ce que nous pouvons dire au préfet, c’est de faire en sorte que l’argent soit à notre disposition. Sinon, nous allons passer à la vitesse supérieure’’, menace-t-il.
… Des familles plongées dans la précarité
Pour la grande majorité des populations de Ndendory et de Ouali Diali, l’agriculture constitue la principale source de revenus. Aujourd’hui privées de leurs terres et toujours dans l’attente de leurs indemnités, elles éprouvent d’énormes difficultés à assurer les trois repas quotidiens. À l’image d’Aminata Demba Diallo, habitante du hameau de Nasroulah à Ndendory, veuve depuis plusieurs années, elle ne comptait que sur ses terres pour survivre.
‘’Moi, j’ai perdu mon mari depuis longtemps. Je vis avec mes filles divorcées et leurs enfants. Mes fils ne travaillent pas. Je faisais nourrir ma famille grâce à mes modestes récoltes. Depuis quatre mois, je n’ai plus de terres à cultiver et je n’ai pas reçu l’argent qu’on nous doit. La situation est très difficile pour moi et ma famille, ces temps-ci. Voyez ma maison, une partie a été détruite par les intempéries, mais je n’ai toujours pas les moyens de refaire la toiture. Je comptais sur cet argent pour le faire, mais je n’ai rien reçu. Je crois que je vais devoir me rendre chez le préfet pour qu’il me donne mon argent ou qu’il me donne de l’argent pour que je nourrisse ma famille’’, confesse la dame, la soixantaine.
‘’Ce n’est pas au préfet qu’on verse de l’argent’’
Les populations qui ont cédé leurs terres sont, ainsi, remontées contre le chef de l’exécutif départemental de Kanel. Mais ce dernier a réfuté toutes les accusations à son encontre, des accusations qui relèveraient de l’incompréhension des personnes impactées par l’exploitation de la mine de la Somiva. ‘’Je n’ai reçu aucun franc, puisque ce n’est pas au préfet qu’on verse l’argent. Ensuite, la Somiva n’a pas respecté la procédure normale. L’espace exploité par la société minière est de 193 ha au total appartenant à 1 804 personnes. La Somiva veut indemniser uniquement 66 ha pour 210 personnes. Donc, en dehors des 210 personnes qui manifestent, il reste 1 594 autres personnes qui doivent être indemnisées. Donc, ce n’est pas juste de donner à une partie et de laisser l’autre’’, explique le préfet de Kanel.
La société civile réclame la venue du directeur de la Somiva pour apaiser la tension
Ces propos de l’autorité administrative sont corroborés en filigrane par le point focal de l’ONG 3D à Matam, Ousmane Ba. ‘’La Somiva n’a pas donné une version très claire, parce qu’il y avait une réunion qui s’était tenue à la préfecture de Kanel avec les acteurs concernés. Au sujet des impactés, la Somiva a donné une liste des impactés et le montant à payer en guise de dédommagement. Mais les communautés impactées ont clairement dit que le nombre dépassait celui retenu par la Somiva. Elle voulait dédommager 210 personnes pour les 66 ha et non les 193 ha avancés par les communautés. Donc, ils n'étaient pas tombés d’accord sur le nombre d’impactés et le nombre d’hectares à indemniser. Maintenant, il y a un montant que la Somiva a dégagé qui ne peut pas couvrir ce que les communautés ont avancé comme nombre d’impactés et d’hectares. Et le préfet joue les bons offices pour régler le problème’’, témoigne Ousmane Ba.
Il ajoute que la présence du directeur général de la Somiva est une nécessité pour régler le problème. ‘’Il vaut mieux payer avant de commencer les exploitations, pour éviter que les populations ne se révoltent. La solution que nous, la société civile, proposons est que le directeur général de la Somiva, Ibrahima Sarr en personne, vienne à Matam pour rencontrer les autorités, les communautés impactées, les maires et les organisations locales pour qu’on puisse discuter et trouver une solution’’, suggère-t-il.
‘’La Somiva veut diviser les populations pour mieux régner’’, Djibril Diawara
Pour le Forum civil, ce n’est pas le préfet qui devrait cristalliser la colère des populations, mais plutôt la Somiva. Selon Djibril Diawara, la société nourrit le dessein de diviser les populations des communes de Orkadiéré, Hamady Ounaré et Ndendory pour arriver à ses fins. ‘’Le préfet de Kanel n’est pour rien dans cette affaire. Il est juste arbitre. C’est la Somiva qui veut venir exploiter nos terres et imposer son prix. Elle veut juste indemniser les exploitants des terres cultivables en oubliant les propriétaires terriens. Nous lui demandons d’indemniser la totalité des personnes qui ont cédé leurs terres’’, dixit-il.
Djibril Ba