Un audit des organisations internationales de financement s’impose plus que jamais
Les Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International se tiennent à Marrakech du 09 au 15 octobre. À ces occasions, de nombreux décideurs politiques et financiers échangent sur la situation actuelle et les perspectives de l'économie mondiale. Il convient de rappeler que le FMI et la Banque Mondiale ont vu le jour en juillet 1944 à Bretton Woods, dans le New Hampshire aux États-Unis.
Près de quatre-vingt ans après, il est nécessaire de s'interroger sur la pertinence de telles organisations.
Échec dans les missions
Leurs missions de départ étaient nobles à savoir mettre fin à l'extrême pauvreté, promouvoir une prospérité partagée, améliorer le niveau de vie de leurs pays membres. Les statistiques officielles mondiales provenant notamment des organismes de Bretton Wood soutiennent que notre société est globalement plus riche que jamais, mais que près de la moitié de l’humanité peut être considérée comme pauvre.
La réalité est que le monde est encore loin d’atteindre l’objectif de développement durable visant à éradiquer la pauvreté dans le monde (ODD n°1). Il y' aurait encore près de 700 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté sur la planète, c’est-à-dire vivant avec moins de 2,15 dollars par jour.
En outre, plus de 60% des pauvres vivent en Afrique sub-saharienne où le nombre de personnes extrêmement indigentes augmente. Il suffit d'observer les signes tangibles de pauvreté autour de nous. La recrudescence des phénomènes migratoires constitue aussi un indice sérieux de mesure de l'extrême précarité.
En ce qui concerne les inégalités, un rapport de World Wealth and Income Database (WID, base de données sur le patrimoine et le revenu), indique que depuis les années 1980, les 1 % les plus riches ont profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50 % les plus pauvres. Et pour les classes moyennes, les revenus ont soit stagné, soit baissé.
Les difficultés notées
J'ai eu l'avantage de travailler pendant près d'une vingtaine d'années dans des organisations multilatérales de financement du développement et de participer à ces assemblées annuelles.
Les difficultés que rencontrent ces institutions sont nombreuses.
Problèmes de gouvernance
Il ressort des résultats d’une étude commanditée par la Banque Mondiale qu’en moyenne 7,5% des décaissements de l’Institution au profit des pays en voie de développement sont détournés vers des paradis fiscaux. Ce constat de transferts illégaux de capitaux n’est pas nouveau dans la mesure où l’Union Africaine avait déjà sonné l’alerte suite aux conclusions d’un Groupe de travail conduit par l’ancien Président sud-Africain, Thabo Mbeki, qui avait estimé dans un rapport publié en 2015 à au moins 50 milliards de dollars les pertes annuelles subies par le Continent du fait des transactions illégales.
De son côté, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique évaluait les pertes annuelles subies par le continent à environ 148 milliards, soit une moins-value en termes de croissance de l’ordre de 25 % du PIB.
S'agissant du FMI, il convient de rappeler le cadeau de 200 000 Euro en liquide remis en 2009 à un de ses fonctionnaires en fin de mission dans un pays d’Afrique. L’affaire avait défrayé la chronique à l’époque.
Autre élément de préoccupation: le rapport doing business de la Banque mondiale a été définitivement suspendu le 16 septembre 2021 pour cause d'irrégularités et de conflit d’intérêt.
A ces raisons objectives s'ajoute maintenant une autre: les rapports de ces institutions qui présentent la situation macroéconomique et sociale des pays africains sont de plus en plus contestés pour leur manque d'objectivité.
Enfin, je m’insurge contre le maintien d’une règle non écrite au sommet du système financier mondial, qui voudrait que la Banque mondiale soit dirigée par un Américain et le FMI par un Européen. Cela ne correspond plus aux rapports de force dans le monde
Un système de financement qui fait la part belle au modèle occidental et capitalist
Les concours financiers des organismes de Bretton Woods sont insuffisants par rapport aux énormes besoins exprimés et tournent parfois autour de la défense des valeurs occidentales.
Les conditions suspensives applicables aux prêts visent souvent à modifier des lois conformes au vécu sociétal des nations concernées.
Qui ne se souvient pas de la suspension par la Banque mondiale en 2014 d'un prêt en faveur de la santé infantile en Ouganda motivée par le durcissement par ce pays de ses lois anti LGBT.
Elle a récemment récidivé en décidant de ne plus financer de nouveaux projets à la suite de la promulgation en mai de la "loi anti-homosexualité 2023".
Quant au taux de décaissement des concours, ils sont particulièrement faibles notamment en Afrique (21% en 2018 seulement!) liés à des conditions préalables au premier décaissement trop rigides qui n'ont parfois rien à voir avec le prêt consenti intrinsèquement.
En ce qui concerne les projets financés, leur mauvaise qualité (beaucoup de projets "politiques", et d'infrastructures non justifiés économiquement) justifie des taux d'endettement élevés. Ces institutions multilatérales auraient pu faire jouer leur droit de regard.
En ce qui concerne le FMI, il évite toujours soigneusement dans ses rapports d'évaluation périodiques concernant les pays de la zone CFA toute critique explicite contre cette monnaie reconnue par de nombreux économistes comme un des freins au développement des pays concernés.
Une incapacité inquiétante à anticiper les crises
L’incapacité du FMI à identifier les risques liés aux innovations financières dans le monde et à alerter est préoccupante.
Ni la crise financière de 2008 encore moins celle hypothécaire n'ont été anticipés.
Des actions urgentes à engager
On commence à y voir plus clair sur les raisons qui expliquent qu'après plus de 60 ans d’indépendance pour de nombreux pays africains, la contribution de la Banque Mondiale et du FMI reste encore marginale au regard des nombreux défis à relever en matière de lutte contre la pauvreté, d’endettement publique et de croissance soutenue.
La question est de savoir pourquoi la Banque mondiale a attendu tout ce temps avant de constater qu’une partie de ses propres concours alimentait les paradis fiscaux.
Cet aveu de détournement illégal de 7,5% interpelle à plusieurs niveaux. Soit ce type de conclusions a toujours été caché par l’Institution, soit les cabinets extérieurs commis pour le suivi des opérations de la Banque n’étaient pas bien outillés ou bien, enfin, la Banque Mondiale n’est pas à la hauteur concernant le suivi ex-post de ses opérations. Il y’a eu sans doute des défaillances dans ses procédures de contrôle et de suivi des opérations et dans celles de passation des marchés.
Le rapport devait normalement aller jusqu’ à situer les responsabilités internes à la Banque pour s’assurer de l’existence de connivences potentielles entre ses équipes techniques et les bénéficiaires illégaux de ces détournements. L'institution devrait au regard de ce constat alarmant, engageant probablement sa responsabilité, à très court terme récupérer ces deniers perdus, les restituer aux pays concernés voire les déduire de l’encours restant dû par ces derniers. Elle doit aussi accepter qu’un audit indépendant (sous la supervision de l’Assemblée Générale et non du Conseil d’Administration) soit diligenté afin de cerner l’étendue des dégâts et situer la responsabilité de ses propres agents. Le même audit devrait aussi être diligenté dans toutes les institutions internationales de financement du développement comme le FMI, la BAD etc.
Elle doit aussi engager le chantier important de la révision de ses procédures notamment celles de passation de marchés et de décaissement pour mieux encadrer à l’avenir les marchés de gré à gré (ou ententes directes) et les offres spontanées. Elle devrait aussi pour lutter contre les surfacturations, instituer des prix de références actualisées périodiquement, dans ses procédures d’appels d’offre restreints et ouverts. Sans oublier de limiter les décaissements sous formes de caisse d’avance
Les institutions de Bretton Wood devraient aussi bien redéfinir leurs cibles en matière de financement de projet en mettant l'accent sur des priorités comme la PME., l'industrialisation, l'appui au secteur informel et l'aménagement du territoire.
La Banque Mondiale gagnerait enfin à renforcer ses actions de supervision de ses projets en cours d’exécution afin de s’’assurer de la bonne performance de ceux-ci conformément aux cahiers des charges.
Elle devrait renforcer ses missions en direction des catastrophes naturelles et pandémies.
En ce qui concerne le FMI, il est attendu de lui une participation plus accrue à la recherche de solutions sur les fuites illégales de capitaux vers les paradis fiscaux.
En relation avec les banques centrales du monde, il est urgent qu'il engage des réflexions sur des méthodes alternatives de contrôle de l'inflation autres que les leviers classiques tels que les taux directeurs. Il est temps que les objectifs de plein emplois soient pris en compte.
Devant les chances relativement minces de reformer ces Institutions, les grands pays émergents des Brics, devraient constituer une alternative au travers d'un Fonds monétaire et d'une banque de développement renforcés.
Enfin, un chantier important s'impose aujourd'hui. Celui de la définition de nouveaux concepts de mesure des performances socio- économiques des pays autres que le PIB et le PNB et d'un consensus minimum autour de la notion de développement économique.
Ces deux Institutions sont-elles vraiment prêtes à contribuer au développement des pays Africains ?
Magane GAYE
Économiste international
Professeur à l'Institut Supérieur de Gestion de Paris