La CJRS honore les doyens
À travers le Sargal national de la presse qui en est à sa troisième édition, la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS) honore les doyens et revisite leurs parcours exceptionnels au service de la presse et de la démocratie. Au total, ils étaient une vingtaine de doyennes et doyens dont les parcours ont été magnifiés par leurs cadets.
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ÉLISABETH NDIAYE
La reine du JT de 20 h
Présentatrice vedette du 20 h dans les années 1980, Élisabeth Ndiaye a marqué plusieurs générations de journalistes. Malgré son retrait très discret des plateaux, son œuvre reste vivace dans les mémoires.
Les témoignages sont unanimes. Maman Élisabeth était et demeure ‘’la reine du JT’’. Son élégance, son éloquence, sa prestance et sa pertinence avaient fini de conquérir tout le royaume de la télévision. Aujourd’hui encore, les anciens de sa génération ne tarissent pas d’éloges à son égard. Il suffit de poster sa photo sur les réseaux pour provoquer une salve de réactions de la génération des années 80-90.
‘’Je ne peux jamais oublier cette ancienne journaliste. Tout petit, je me précipitais à l’approche de 20 h pour être devant l’écran, juste pour la voir’’, réagit cet internaute sur la Page Entreprendre autrement.
Avec les Yves Jack Sow, Sada Kane et Daouda Ndiaye, Élisabeth a marqué à jamais le petit écran, suscité pas mal de vocations. Il n’est pas rare de voir des jeunes filles et garçons déclarer qu’ils ont voulu devenir journalistes grâce à des icônes comme Maman Elisabeth.
Présentatrice charismatique, elle séduit surtout par son écriture d’une simplicité exquise. Sorti du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) en 1979, l’excellentissime Martin Faye racontait dans ‘’La Valée Info’’ comment il a appris ses premières leçons avec Élisabeth. ‘’C’est elle qui m’a appris à écrire simple. Elle me disait tout le temps : sujet-verbe-complément ; sujet-verbe-complément… Dès que tu mets un subjonctif : qui, que, quoi, dont, où, lequel et ses composés, cela va rendre la phrase longue. Et plus la phrase est longue plus la compréhension est difficile’’, répétait-il à Hadiya Talla, très reconnaissant.
Plus jeune que Martin, Jacqueline Fatima Bocoum ne tarit pas non plus d’éloges pour celle qui est décrite comme la reine du 20 h. Dans un post sur son compte Twitter, elle lui rendait un vibrant hommage. ‘’Je démarre la série d’hommages aux femmes avec cette icône unique de la RTS, la présentatrice Élisabeth Ndiaye, qui s’est retirée du métier avec une discrétion rare. Elle m’a accueillie à l’époque quand je débutais. Merci pour tout’’, lançait-elle, suscitant pas mal de belles réactions. Certains avaient d’ailleurs trouvé très classe sa façon de se faire discrète depuis la retraite. ‘’La classe, disait l’un d’eux, c’est de comprendre que vous n’êtes pas indispensable et de l’accepter. C’est lorsque vous vous faites oublier, après avoir apporté votre pierre à l’édifice, que les gens se rappellent votre passage. Et sans le chercher, vous aurez alors marqué votre temps’’.
Selon son fils Malick Ndiaye (ancien présentateur de ‘’Citizen Match’’ à la RTS), c’est en octobre 1970 que sa mère a intégré l’ORTS. D’abord comme animatrice des programmes radio, puis téléspeakerine, animatrice des programmes TV, avant de présenter le JT jusqu’à son départ pour convenance personnelle en 2001. Elle a subi des formations à radio Nederland Hilversum en Hollande, à l’INA à Paris, au CFPJ de la rue du Louvre à Paris et des voyages d’études aux USA. Ordre national du mérite, elle vit aujourd’hui une vie paisible consacrée à sa famille, loin des caméras et des projecteurs, un choix personnel après plus de 30 ans sous les feux de la rampe.
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OUMAR SECK
L’histoire du fameux nœud papillon
Sa voix imposante, son professionnalisme, mais surtout… ses nœuds papillon ont longtemps bercé auditeurs et téléspectateurs de la Radiotélévision sénégalaise (RTS). Oumar Seck, de son vrai nom Cheikhou Oumar Seck, est à la fois homme de radio et vedette à la télé. Professionnel hors pair, disponible et très généreux, il a toujours œuvré pour la satisfaction du public.
Après avoir arrêté ses études suite à l’obtention du Diplôme de fin d’études moyennes (DFEM), Cheikhou Oumar Seck intègre la Radiotélévision sénégalaise (RTS) en 1974. Il est affecté pour son tout premier poste à Ziguinchor comme animateur à la Chaine 4. Un an plus tard, il revient à Dakar et bénéficie d’une formation au Centre de formation professionnelle audiovisuelle (CFPA) de la RTS pour consolider ses connaissances. Fort de cette expérience, il rejoint la rédaction du ‘’Journal parlé’’ de Radio Sénégal, où il fait valoir tout son talent ainsi que son abnégation.
En 1981, Oumar se rend en Belgique pour se perfectionner dans ce qui représente pour lui une véritable passion. À son retour, il gravit tous les échelons, de la base jusqu’au sommet. Reporter, présentateur, rédacteur en chef, il a aussi été nommé au poste de directeur de la Radio nationale. Selon ses collègues, en plus de sa compétence et de sa rigueur, Oumar est surtout un homme très disponible et généreux.
‘’Un rassembleur qui a toujours travaillé pour le développement de la maison mère et l’épanouissement des travailleurs’’.
Homme de radio, Oumar a également fait les beaux jours de la télévision nationale où il a été présentateur vedette du 20 h et de plusieurs émissions. Il a aussi été nommé à deux reprises directeur de la Télévision. C’est d’ailleurs là que les Sénégalais découvriront l’homme à la voix d’or, aux nœuds papillon qui constituent sa marque de fabrique. Entre lui et le nœud papillon, c’est une très longue histoire qui remonte au début des années 1980.
Aux jeunes reporters, il fait l’honneur de raconter la petite histoire. ‘’J’ai fait ma formation de journalisme à Bruxelles, en Belgique, de 1981 à 1983. Je me forgeais alors sur tous les plans : professionnel, social, personnel. Je voyais toujours le Premier ministre de l’époque (Eliot Di Rupo) en nœud papillon ; je ne l’ai jamais vu sans nœud papillon. J’ai décrypté cet attachement comme une fidélité et ai donc décidé de m’y mettre’’.
Fidèle et loyal à sa profession, Cheikhou Oumar n’a jamais quitté définitivement le métier. Nommé par décret présidentiel, en 2014, directeur du Comité permanent de l’Organisation de coopération islamique pour l’information et les affaires culturelles (Comiac), il continue de se mettre au service de la presse et de ses jeunes confrères.
Dans l’ombre à l’Organisation pour la Conférence islamique (OCI), Oumar Seck, toujours avec le nœud papillon, se charge également de la bonne circulation de l’information au sein des 56 États membres de l’organisation. Une mission qui l’a certes éloigné du petit écran, mais qui ne l’a jamais empêché d’œuvrer pour le rayonnement du journalisme, qu’il continue de servir d’une autre manière et toujours avec le même plaisir.
MAME LIKA SIDIBE L’audace et la persévérance en bandoulière Diplômée de la 29e promotion du Cesti, Lika Sidibé a été présentatrice vedette à la radio Sud FM, avant de rejoindre plus tard la radio sous-régionale West Africa Democraty Radio (Wadr), après un bref passage au groupe Avenir Communication. Titulaire d’un Master en défense et sécurité, elle est aujourd’hui la responsable de la communication de l’Agence de régulation de la commande publique (Ex-ARMP). ‘’Milady’’. C’est le sobriquet qu’on lui collait au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), puisqu’elle avait eu la chance ou la malchance d’être presque tout le temps avec ceux que l’on appelait ‘’Les trois mousquetaires’’ : Samba Dialimpa Badji, Mohamed Rahmed Ndiaye et Ousseynou Diakhaté. Passionnée, engagée et très turbulente, la jeune fille n’attendra pas la deuxième année comme il est de coutume pour démarrer sa carrière professionnelle. Un jour, celle qui aspirait à embrasser une carrière de journaliste en presse écrite se rend au siège du groupe Sud Communication pour demander un stage. Heureusement ou malheureusement pour elle, elle tombe sur Chérif El Walid Sèye. Après l’avoir écouté décliner la raison de sa visite, ce dernier lui dit gentiment : ‘’Le groupe ne prend pas de stagiaire de première année, mais viens à la radio, on va voir ce que l’on peut faire.’’ Déterminée, Lika se rend dès le lendemain au siège de la première radio privée du Sénégal et convainc l’administration de la boîte à la prendre comme stagiaire. Plus jeune, seule femme, sortie du Cesti, très travailleuse, elle devient la chouchoute des doyens qui la couvaient comme un bébé. Très vite, la petite sœur de Gnagna Sidibé gravit les échelons et devient présentatrice vedette aux éditions phares. Elle se remémore, nostalgique : ‘’J’avoue que j’ai eu beaucoup de chance. Je suis tombée sur des aînés formidables qui m’ont couvée, accompagnée, encadrée. Cet encadrement au niveau de la rédaction m’a beaucoup marquée. Avec les Birama Fall, Mamadou Ndiaye, Mouhamed Pascal Faye, Racky Noëlle Wane, toutes ces icônes. Chérif El Walid Sèye m’a aussi énormément marquée. Lui, il ne fallait surtout pas le déranger aux heures du journal. Rien ne lui échappait ; et après il était très dur lors des réunions. Un homme profondément humain ; que Dieu ait pitié de son âme’’. La rédaction, c’était ainsi pour elle une deuxième école, avec un esprit d’équipe extraordinaire qui régnait dans le groupe. Parmi les moments forts qui l’ont marquée, il y a l’exclusivité du limogeage de Moustapha Niasse en 2001, à l’époque Premier ministre de Wade. Encore étudiante, Lika avait passé la veille tout l’après-midi au siège de l’Alliance des forces de progrès (AFP) pour couvrir leur Bureau politique. En bon journaliste, elle sentait qu’il y avait quelque chose qui se tramait ; que l’ambiance était inhabituelle. Elle est alors restée jusqu’à minuit, avant de rentrer bredouille. Le lendemain, un jour de week-end, alors qu’elle était seule à la rédaction avec Nafissatou Diouf qui l’avait rejointe à la radio, en pleine préparation de l’édition de 17 h, elle demande à Nafi d’appeler Maitre Babou pour voir ce qui est ressorti du BP. Il ne faut jamais rien lâcher Alors qu’elle était en train d’écrire ses chapôs, Nafi l’appelle pour lui dire : ‘’Viens répondre à Me Babou. Il dit qu’il a une information plus importante pour toi’’. Lika rapplique dare-dare et prend le combiné. Au bout du fil, Maitre lui dit : ‘’Lika, on quitte le gouvernement. Abdoulaye Wade nous a limogés.’’ Pour la première fois, renchérit-elle, fière : sans encadreur, sans ordre, ni rien du tout, je suis allée directement au studio de diffusion, j’ai demandé à Thiongane qui animait l’émission ‘Musigou demb’ de couper la musique, de mettre le chariot et j’ai mis Maitre Babou en direct’’. Toujours parmi les épisodes qui ont marqué sa riche carrière, il y a le chavirement du bateau ‘’Le Joola’’ qu’elle avait couvert de bout en bout, non seulement en tant que présentatrice de l’édition spéciale, mais aussi reporter sur le terrain, insiste-t-elle comme pour dire qu’un jeune journaliste ne doit jamais abandonner le terrain. Témoin de la marche des familles vers le palais et de la sortie de Wade pour les accueillir, elle rapporte : ‘’Au moment où les gendarmes commençaient à balancer des grenades lacrymogènes, Abdoulaye Wade est sorti du palais. Il a reçu les familles devant les grilles ; il leur a dit : ‘La responsabilité de l’État est largement engagée…’ Je pense que cela avait énormément contribué à faire baisser la tension. Il leur avait demandé de mettre en place un collectif des familles et avait donné des ordres pour des conférences de presse tous les après-midi pour rendre compte de l’évolution du dossier’’. Le jour où elle a été cueillie par la police après avoir diffusé une interview de Salif Sadio avec Ibrahima Gassama Journaliste très teigneuse, la native de Thiès a une fois été cueillie dans les locaux de Sud avec son acolyte Pape Alé Niang et plusieurs membres de la rédaction. Elle avait eu l’outrecuidance de passer une interview d’Ibrahima Gassama (correspondant de Sud à Ziguinchor) avec le chef rebelle Salif Sadio annoncé comme mort. Des moments forts et inoubliables pour Mme Sidibé qui s’en souvient comme au premier jour. ‘’Tout le week-end, j’étais stressée. Parce qu’Ibrahima m’avait informée le vendredi qu’il va faire l’interview avec Salif Sadio. Le directeur était réticent, parce qu’il se souciait de la sécurité de Gassama. J’ai alors appelé Pape Alé en renfort et ensemble on a fini par le convaincre’’. L’interview a été faite. La veille, tout a été coordonné avec Cellou Ba, un As du montage, Pascal Faye avec sa très belle plume. ‘’Pascal m’a dit : ne fais rien du tout ; pas de rappel des titres, rien. Viens, dis : mesdames et messieurs bonjour ; exclusivité, Salif Sadio, Sud FM… Et on balance l’élément.’’ Dans les minutes qui ont suivi, la radio était remplie de flics avec un commissaire qui lui demande de tout arrêter. La jeune journaliste refuse et dit s’en remettre aux ordres de ses patrons. Babacar Touré est tiré de son sommeil et rapplique sur le champ dans les studios. Suivront quelques empoignades entre journalistes et flics et l’embarcation de tout ce beau monde au commissariat. Après un long interrogatoire, Milady se voit notifiée le motif de son interpellation : ‘’Complicité d’atteinte à la sureté de l’État.’’ Finalement, elle est libérée dans la nuit et en est sortie plus que jamais radicalisée. ‘’Après cet épisode, je ne passais plus dans mon journal les éléments favorables au régime ; je balançais tout ce qui leur était défavorable’’, rapporte la diplômée de l’Ebad (École des bibliothécaires, archivistes et documentalistes). |