‘’Nous avons financé 354 millions de dollars au Sénégal’’
Sérgio Pimenta est le vice-président régional de la Société financière internationale (IFC) pour l’Afrique. Il dirige l’ensemble des opérations de conseil et d’investissement dans la région, avec un portefeuille d’engagements de 13,3 milliards de dollars. IFC a pour objectif de mobiliser le secteur privé pour relever les défis urgents du développement dans les domaines de la finance, des industries manufacturières, de l’agroalimentaire, des services et des infrastructures. En visite au Sénégal, M. Pimenta a rencontré le ministre des Finances et du Budget sénégalais. Dans cet entretien, il nous parle notamment de cette visite au cours de laquelle il a présenté la stratégie de l’IFC au Sénégal.
Vous avez rencontré le ministre des Finances et du Budget sénégalais, au cours de votre visite. Quels échanges avez-vous eus avec lui ?
D’abord, la Société financière internationale (IFC) pour l’Afrique, membre du groupe de la Banque mondiale, se focalise sur le développement du secteur privé dans les pays émergents. Je couvre nos opérations sur l’Afrique. Nous travaillons avec les gouvernements (plus de 100 pays) y compris celui du Sénégal. Le ministre est notre ‘’gouverneur’’, notre actionnaire. Et à ce titre-là, je suis allé le saluer, pour faire le point de nos activités au Sénégal, lui parler de nos réalisations et de nos projets.
Le ministre l'a reconnu, nous avons fortement augmenté nos opérations au Sénégal au cours des dernières années. Nous avons également innové. Il y a un certain nombre de projets que nous avons voulu tester au Sénégal avec l’idée de les répliquer à travers le continent africain. Le Sénégal se prête bien à ce genre d’initiative, étant donné sa taille et étant donné la qualité de son secteur privé.
Donc, nous pouvons faire des choses intéressantes. L’année dernière, nous avons fortement augmenté nos engagements. Notre année fiscale qui s’est terminée en juin 2023, nous avons financé, mobilisé 354 millions de dollars au Sénégal. Ce sont des montants historiques. Nous n’avons jamais fait des montants de cette taille-là. Pour l’année fiscale qui se terminera en juin 2024, je suis très confiant que nous allons dépasser la barre des 500 millions de dollars d’investissement et de mobilisation au Sénégal. Avec un portefeuille très intéressant en termes de couverture (agriculture, agroalimentaire, services, l’accès au financement, la santé, etc.).
Est-ce que les PME pourront profiter de cette manne financière ?
Les PME sont au cœur du développement d’un pays. Ce sont elles qui créent le plus d'emplois. Elles sont résilientes en termes de création d'opportunités dans des périodes difficiles. Donc, nous avons un nombre de programmes pour les PME y compris au Sénégal. Nous avons, par exemple, des lignes de partage de risque avec des institutions financières. Ce qui permet de soutenir ces PME. Nous faisons aussi quelques investissements directs dans les entreprises, notamment dans les secteurs numériques.
Nous avons financé, l’année dernière, une entreprise qui fait de la télémédecine à travers les nouvelles technologies. C’est ce genre de projets que nous voulons soutenir fortement. Nous avons également des programmes d’assistance technique, notamment quand on fait des investissements dans une grande entreprise pour aider sa chaîne de valeur (ses fournisseurs, clients) à bénéficier indirectement de nos opérations. Par exemple, nous avons financé une entreprise, ici au Sénégal, qui fait de la transformation de l'oignon dans le Nord. Cette entreprise peut évidemment travailler avec un bon nombre d'agricultrices qui vont produire de l’oignon. Je suis allé visiter l’union de ces agricultrices qui réunit 1 021 femmes. Et nous avons discuté de comment, à travers notre soutien, elles peuvent aller acheter des intrants, planter l’oignon, ensuite le vendre à la Saf. Une opération tripartite. C’est ce genre d'opérations que nous voulons déployer de plus en plus. Elles ont beaucoup d'impacts.
Justement, avez-vous des initiatives consistant à aider les femmes chefs d’entreprise ?
Nous réalisons tous qu’il est extrêmement important, en Afrique, au Sénégal, comme à travers le monde, de soutenir l'entrepreneuriat féminin. Les femmes constituent 50 % de la population mondiale. Lorsqu'on examine l'accès au financement, les femmes ont moins accès que les hommes.
En ce qui concerne les postes de direction au sein des entreprises, elles occupent moins de rôles que les hommes. En ce qui concerne la propriété d'entreprise, elles en détiennent moins.
Il faut les aider à combler ce déficit, à faire en sorte qu'il y ait de la parité au niveau économique. De notre côté, cela fait partie de notre valeur, de notre ADN. Nous travaillons à aider les femmes sénégalaises à jouer leur rôle dans l’économie du pays. Ce mois-ci, c’est le mois de la femme, mais nous faisons cela 12 mois par an. Nous le faisons dans plusieurs axes. Par exemple, nous avons parlé tout à l’heure de ligne de partage de crédit avec les institutions financières. Nous demandons toujours aux banques d’avoir un minimum d’activités avec les entreprises détenues ou générées par les femmes. Typiquement, c’est 25 %. J’aimerais bien que ça soit 50 %, mais il n’y a pas 50 % du tissu économique qui soient détenus par des femmes. Mais déjà 25 %, c’est bien.
Nous avons aussi un programme de soutien direct aux femmes, en termes de formation, de mentoring, de création de réseaux, d’accès à la connaissance, au système financier, etc. Nous avons lancé, l’année dernière, une initiative qui s’appelle She Wins Africa où l’on a sélectionné un nombre de femmes entrepreneures à travers toute l’Afrique. Et créer un réseau que nous soutenons. J’étais très heureux de rencontrer, ici à Dakar, une des bénéficiaires du programme. Il y avait cinq Sénégalaises.
Vous intervenez aussi dans le domaine de la santé. Aujourd'hui, quelles sont les priorités ?
La santé est un secteur extrêmement important. Et quand la pandémie a éclaté, depuis le début de l'année 2020, ça a été un coup de semonce pour tout le monde, en termes de réalisation que l'Afrique a un problème de dépendance par rapport au reste du monde, quand il s’agit de problèmes de santé.
Au moment de la pandémie, seul 1 % des vaccins (pas de vaccin Covid) consommés en Afrique était produit sur le continent, 90 % étaient importés. On s’est bien rendu compte qu’il fallait de façon urgente renforcer la résilience du secteur de la santé en Afrique. Avec l’IFC, nous avons travaillé avec nos partenaires, que ce soit la Banque mondiale, l’OMS et d’autres à apporter le rôle du secteur privé dans cette résilience. Donc, nous avons fait un certain nombre d’initiatives. En 2020, nous avons déployé un milliard de dollars en Afrique y compris une bonne partie au Sénégal pour soutenir le secteur de la santé. Nous avons identifié qu'elles étaient les grandes entreprises qui pouvaient développer la production de vaccins de Covid-19. On a identifié quelques pays où ça pouvait être fait : le Rwanda, l’Afrique du Sud et le Sénégal.
Donc, nous avons soutenu l’Institut Pasteur de Dakar pour une première phase de lancement d’un projet. Maintenant, nous sommes en train de passer à la phase suivante de financement de l’usine complète pour fabriquer les vaccins nécessaires au Sénégal. Nous avons également fait des efforts en finançant des hôpitaux, des cliniques, l'industrie pharmaceutique. Nous avons soutenu, ici au Sénégal, une entreprise qui s’appelle Biopharm à fabriquer des médicaments.
Dans le domaine de l’agroalimentaire, le Sénégal fait face à des défis tels que la faible productivité agricole et le changement climatique. Que faut-il faire pour relever ces défis ?
Dans la première partie de ma visite, je suis allé dans le Nord visiter les entreprises du secteur agricole. Le potentiel est là. Vous avez raison, la productivité doit être améliorée, renforcée. L’impact climatique, on l’a vu l’année dernière, ici au Sénégal, avec le décalage de la saison des pluies par rapport à la productivité dans le secteur de l'industrie numérique qui en a souffert. Il faut renforcer la résilience du secteur. Il y a plusieurs façons de le faire. Il faut rechercher le développement technologique, introduire des variétés qui sont plus résilientes et encourager les entreprises à être plus résilientes, à améliorer la productivité…
Au Sénégal, nous avons une initiative importante de regarder les céréales africaines et non pas produire les céréales internationales qui ne sont pas forcément les plus résilientes par rapport au climat africain. Il y a, par exemple, une initiative pour soutenir le développement du fonio. Le fonio est une céréale millénaire en Afrique, qui a non seulement des vertus alimentaires extrêmement fortes, mais qui a une meilleure qualité ou d'autres produits de ce type. Il est aussi beaucoup plus résilient au plan climat. Donc, si l’on peut renforcer ce genre d'effort, je pense que ce sera un impact au niveau de la sécurité alimentaire, mais également au niveau de la création d’activités économiques.
Comment se porte l'économie sénégalaise, selon vous ?
Je vois une économie en train de se diversifier, pleine d'opportunités, évoluant dans un environnement peu isolé. Elle subit l'impact de plusieurs crises mondiales recensées ici. Cependant, je constate la présence d'un tissu industriel et d'entrepreneurs extrêmement forts et résilients, mais qui ont encore besoin de croître davantage. En tant qu'institution de développement axée sur le secteur privé, nous sommes là pour apporter notre soutien.
BABACAR SY SEYE