Ousmane Sonko, les non-dits d’une relation amour-haine avec la presse
Les relations entre la presse et le Pastef du Premier ministre Ousmane Sonko semblent porter encore les stigmates d’une certaine méfiance, fruit des années de lutte entre Pastef et l’ancien régime de Macky Sall. Ousmane Sonko parait réticent à faire confiance à une certaine presse qu’il accuse d’avoir un agenda caché et de servir d’instrument de lutte politique. Une posture dénoncée par les journalistes qui parlent d’une volonté de museler la presse.
La réaction est révélatrice. À la fin de la conférence sur ‘’Droit et politique’’ de Me Juan Branco et de Me Bamba Cissé, notre volonté d’approcher un responsable de Pastef se traduit tout de suite par un rejet poli teinté de sourire. ‘’Je n’ai pas beaucoup d’interactions avec la presse’’, nous oppose-t-il avant de nous donner son numéro de téléphone. Cette réaction semble être le symptôme d’une sorte de méfiance du Pastef envers la presse. Les stigmates du combat contre Macky Sall semblent avoir marqué les esprits chez les patriotes qui avaient le pressentiment d’une cabale médiatique à leur égard. La présence des éléments de langage sur ‘’forces occultes’’, ‘’forces spéciales’’, ‘’cocktails Molotov’’, ‘’terrorisme’’ n’a pas radicalisé les militants du Pastef qui voyaient dans cette presse un instrument du pouvoir pour leur part. La défiance envers la presse et l’accentuation de la répression policière ont réussi à renforcer ce narratif de victimisation et de martyr d’un système dans lequel, selon les patriotes, la presse aurait un rôle de canal de communication du pouvoir. De ce fait, les patriotes ont fini par se réfugier sur les réseaux sociaux pour mener à bien leur combat.
Cette bulle médiatique susceptible de ‘’fabriquer du consentement’’ théorisée par Noam Chomsky empêche toute critique et remise en cause de la doxa du parti. Ce dialogue direct avec les masses s’accommode peu de la présence de corps intermédiaires : syndicats, presse, associations, ONG, chefs religieux qui, à terme, peuvent être perçus comme des menaces au ’’Projet du Pastef. Cette tendance risque de se poursuivre en raison de la volonté du nouveau gouvernement d'enjamber ces corps intermédiaires. Une méthode à la Donald Trump qui considérait les médias comme sources peu fiables et incapables de distiller le bon message à sa base.
Ainsi, la dernière sortie de Sonko apparaît comme le reflet de cette défiance envers la presse à qui on veut lui refuser son rôle de contrôle et de veille de la démocratie. ‘Désormais, il ne sera plus toléré pour aucun journaliste ou maison de presse de donner de fausses informations sur qui que ce soit’’, a déclaré Ousmane Sonko, président du Pastef/Les patriotes avant-hier lors de la conférence politique des jeunes du parti.
Très en verve, l’ancien maire de Ziguinchor indique : ‘’Ce qui avait existé n’aura plus. Avoir un organe de presse et menacer des gens et faire du chantage sur les gens ne passera plus.’’ Avant de mettre en garde les patrons de presse qui ne paieront pas leurs impôts.
Cette attaque en règle semble vouloir mettre au pas la presse sénégalaise.
Les deux mamelles de la démocratie sénégalaise : presse indépendante et élections libres et transparentes
En effet, les deux mamelles de la démocratie sénégalaise depuis le multipartisme intégral en 1981 sont une presse indépendante et des élections libres et transparentes. Ce consensus républicain et électoral a permis à notre démocratie de surmonter les principales crises politiques : 1988, 1993, 2012, 2021 et 2023. Ce risque de guerre froide entre la presse et le nouveau pouvoir pourrait s’envenimer si le nouveau régime ne trouve pas un terrain d’entente et de cohabitation sereine avec l’univers de la ‘’bien-pensance’’. Les patrons qui ne veulent pas d’amnistie fiscale attendent de l’État des mesures d’accompagnement et de soutien pour le développement des entreprises de presse. ‘’On peut remettre à plat toutes les ardoises et se fixer une échéance d’une année pour voir les entreprises de presse faire leur mue eu égard à la fiscalité, aux cotisations sociales et au respect du Code de la presse’’, avait déclaré Ibrahima Lissa Faye, le président de l'Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel) et membre de la Coordination des associations de presse (Cap). Le gouvernement qui a besoin de communiquer sur sa politique et la presse qui a besoin d’assurer sa survie économique peuvent trouver un terrain d’entente cordiale.
Dans cette optique, ‘’nous n’avons pas besoin d’un État qui se mette à faire des arrestations tous azimuts et la presse doit se garder de faire dans la délation, dans la calomnie et diffuser des informations sensibles. C’est un équilibre qu’il faut mettre en place dans le but d’éviter une guéguerre entre la presse et le nouveau pouvoir qui dessert les intérêts de notre démocratie’’, a soutenu de son côté Moundiaye Cissé, président de l’ONG 3D. Mame Diarra Guèye, conseillère municipale à Gueule Tapée-Fass-Colobane et membre du Pastef, parle de réticence plutôt que de méfiance entre son parti et une certaine presse. ‘’Je pense qu’il ne faut pas généraliser. Tous les responsables du Pastef ne sont pas méfiants envers la presse, mais il faut dire que le parti a été victime d'un lynchage médiatique de la part d’une certaine presse. Cette situation a occasionné cette volonté de plus se rabattre sur les réseaux sociaux pour avoir un dialogue direct avec les militants. Ousmane Sonko n’est pas contre la presse, mais il veut entretenir ce rapport particulier qu'il a avec les jeunes à travers ses lives et vidéos’’, soutient-elle.
Quant aux réactions à la suite du discours d’Ousmane Sonko lors de la conférence politique, la sociologue de formation se veut plus rassurante : ‘’Je ne considère pas ces propos comme des menaces. Les journalistes qui font bien leur travail ne peuvent pas se sentir touchés par ses propos. Ousmane Sonko, qui parlait dans sa casquette de chef du Pastef, voulait juste mettre un holà à une certaine campagne nauséabonde soutenue par une certaine presse visant à discréditer le gouvernement’’, affirme-t-elle.
Pour Mamadou Sy Albert, analyste politique, cette relation tumultueuse entre le Pastef et une certaine presse porte toujours les stigmates de la lutte contre le régime de Macky Sall. ‘’Il faut reconnaître qu’une certaine presse a participé à diaboliser Ousmane Sonko. Cette situation qui a laissé des séquelles influe encore sur le comportement de tout un chacun. Car il semble qu’une certaine presse ne semble pas avoir digéré la victoire des patriotes. Mais Pastef qui gère maintenant la communication du gouvernement ne peut pas se permettre d’avoir une relation conflictuelle avec la presse. Donc, il est nécessaire qu’Ousmane Sonko rencontre les patrons de presse et les organismes de la presse comme le Cored et le Synpics pour aplanir les différends et essayer de travailler ensemble’’, affirme le politologue avant d’indiquer la nécessité de trouver des consensus autour des règles de concertation pour apaiser de probables conflits entre l’État et la presse. ‘’La question des impôts impayés par les patrons de presse a été mal gérée par le nouveau gouvernement. Macky Sall avait déjà trouvé une solution, il fallait juste renforcer cet accord en proposant un rééchelonnement des impôts impayés ainsi que d’autres mesures pour éviter toute guéguerre entre la presse et Pastef’’, conclut-il.
Mamadou Makhfouse NGOM