Publié le 25 Sep 2024 - 10:22

LA NOUVELLE COHABITATION NÉE EN 2022 AVEC LA VICTOIRE RELATIVE DE L’OPPOSITION AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

Jusqu'en 2023, le système politique sénégalais a pu fonctionner normalement par ce qu'il y a eu concordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire, dans le cadre d'un régime hyper présidentialiste depuis 1963. Le poste de Premier Ministre y apparaît trop fragile, trop soumis à la merci et à la volonté du prince, sans aucune garantie constitutionnelle. S'y ajoute aussi la facilité avec laquelle on peut supprimer ou restaurer le poste de Premier Ministre sans aucune autre forme de procès. Entre le Président de la République et le Premier Ministre, il existe un lien juridique et politique de subordination. Cela fait de celui-ci une personnalité potiche taillable et corvéable à tout instant. Ce régime hybride est qualifié de régime « Innomé » par le Pr Seydou Madani Sy (ancien Doyen de la faculté de droit et ancien Recteur de l'Université de Dakar devenue UCAD).

La présente Cohabitation est « imparfaite » du reste, en raison d’une majorité parlementaire relative pour le principal parti de l'opposition (BBY), mais qui pourrait devenir une majorité absolue en cas d’alliance avec Wallu/PDS.

Aussi, on se trouve en présence d'une particularité de taille à savoir qu’on a un pouvoir Exécutif dyarchique, bicéphale (Président de la République et Premier Ministre appartenant au même Parti politique), en face d'une opposition politique majoritaire à l'Assemblée  Nationale (bien que relative). Mais la logique politique de la cohabitation aurait voulu que le Premier Ministre soit issu de l’Opposition parlementaire majoritaire. En faisant fi de cette réalité, le pouvoir issu de Mars 2024 pose les germes d'une crise politique dont les premières prémisses commencent à se faire jour. En témoignent les soubresauts de la fin de la session parlementaire unique. Ensuite ce sont toutes les péripéties de la session parlementaire extraordinaire convoquée par le Président de la république in extremis pour contrer les velléités de censure du gouvernement par les députés de l'opposition. Au paravent ces mêmes députés avaient rejeté le projet de loi devant supprimer le HCCT (Haut Conseil des Collectivités Territoriales et du CESE ( Conseil Économique Social et Environnemental).  Ce cocktail implosif motiva le Président de la république à dissoudre l'Assemblée nationale pour éviter à la fois la tenue de la DPG (Déclaration de Politique Générale) du Premier ministre, du reste  obligatoire au regard de l'article 55 de la Constitution quelque soit les anomalies du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (hiérarchie des normes oblige) et la  survenance de la  censure du gouvernement. Le paradoxe noté dans cette épreuve de force est le fait que le pouvoir redoute la censure alors que l'opposition parlementaire s'oppose à la dissolution. Ceci est d'autant plus étonnant que ces deux dispositions sont les mamelles nourricières qui alimentent la démocratie représentative  d'un régime parlementaire ou semi parlementaire. Aussi, c'est  regrettable et inquiétant d'entendre des responsables du pouvoir comme de l'opposition menacer de faire descendre dans la rue leurs jeunes en cas de censure ou de dissolution. Fort heureusement il n'en fut rien, et   cette dissolution de l'Assemblée amènera simplement  la tenue d'élections législatives anticipées, ce qui ne pare pas contre tout risque de cohabitation laquelle  pourrait d'ailleurs être  plus amplifiée et éclatée. En effet, on s'achemine vers les élections législatives les plus ouvertes et les plus disputées de l'histoire politique du Sénégal, et elles sont    hautement risquées pour le pouvoir  quoi qu'on dise. En cas d’absence d'une majorité absolue pour le pouvoir, on rentre dans une ère de vraie cohabitation et de crise institutionnelle pour au moins 2 ans. La situation actuelle de la France, pour les mêmes raisons, qui a mis plus de 50 jours pour avoir un Premier ministre et qui peine depuis 15 jours pour former un gouvernement avec  une Assemblée nationale sans majorité absolue, doit faire réfléchir. Au Sénégal, dans une telle configuration on doit s'interroger sur les prérogatives, les compétences et les armes dont disposent le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement sous l'empire de la Constitution de 2000 et les différentes révisions qu'elle a connu ?

Des événements douloureux, malheureux de 1962, on note le passage d'un couple fusionnel à une cohabitation conflictuelle puis à une rupture violente. Accusé d'avoir fomenté un coup d’état, feu Mamadou Dia sera arrêté, jugé et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité puis gracié, après avoir purgé vingt (20) ans de prison, par feu le Président Senghor, son ancien ami et mentor de près d'un demi-siècle.

De cette crise de régime, feu le Président Mamadou Dia dira que « On fait un coup d'état pour prendre le pouvoir. Mais Moi, j'avais tous les pouvoirs ». (Mémoires d'un militant du tiers monde / p 150).

Quant à feu le Président Senghor, il estimera que « … A dire vrai, les structures de notre État, notre Constitution sont plus responsables de cette douloureuse affaire que le caractère des hommes ... qu'il avait découvert par expérience, que le pouvoir exécutif bicéphale institué par la Constitution de 1960 ne fonctionnait pas de manière satisfaisante ». (Gerti Hesseling / P 237).

La nature hyper-présidentialiste du régime actuel fait du Président de la République « l'Alpha et l'Oméga », « Buur et Bummi », de la vie politique et nationale, soit un véritable « monarque » dans le cadre d'une « République monarchique dualiste ».

En effet, le Président de la République, est aussi chef de l'État, chef du Parti/Etat, chef de la majorité parlementaire, chef de l'Exécutif, chef du gouvernement de fait en réalité, Président du Conseil supérieur de la magistrature, chef de l'Administration (il nomme aux emplois civils et militaires), chef des Forces de défense et de sécurité, monopolise tous les corps de contrôle de l’Etat etc… Mais malgré tous ses pouvoirs, il est irresponsable des faits accomplis dans l'exercice de ses fonctions sauf en cas de haute trahison (notion non définie) (art 101).

 Un parcours des différents articles du pouvoir présidentiel montre que certains sont très déterminants. Il en est de :

  • l'Art 42 qui dispose que « le Président de la République, entre autres, est le garant du fonctionnement régulier des Institutions, de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire. Il détermine la politique de la Nation.
  • L'Art 43 fait de lui le maître du Pouvoir réglementaire, qui  signe les Ordonnances et les Décrets.
  • L'Art 49 dispose que « le Président de la République nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions. (sans qu'il soit nécessaire que celui-ci présente sa démission comme en France).
  • L'Art 52 donne les « pleins pouvoirs » au Président de la République lorsque, entre autres, les Institutions sont gravement menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des Institutions est interrompu.
  • Quant à l'Art 53, en disposant, entre autres, « que le Gouvernement est responsable devant le Président de la République et devant l'Assemblée Nationale », instaure ainsi un régime dualiste de type monarchiste. Cette double responsabilité, au 21ème siècle, est à la fois inique et anachronique.
  • Les Art 72 et 73 lui donnent la possibilité de contrôler le processus législatif, de refuser de promulguer les lois, de signer les Ordonnances ou les décrets d'application.
  • L'Art 87 lui donne le droit de dissoudre l'Assemblée Nationale, sauf lorsqu'elle est nouvellement élue et ce, pendant 2ans.

Voilà autant de « bombes atomiques » dont dispose le Président de la République quel que soit le Gouvernement et le Premier Ministre, issus de la majorité présidentielle ou de la majorité parlementaire. Issu de celle-ci, le Gouvernement voudra appliquer son programme, en opposition avec l'art 42 de la Constitution. Pendant ce temps, l'Assemblée Nationale ne dispose véritablement, que du « droit de censure » s'il existe un Premier Ministre et un Gouvernement (art 86), et une seule fois au cours de la même session parlementaire unique (fin Juin début Octobre).

Quant au Gouvernement il ne dispose que de quelques  « pétards mouillés » en tant chef du gouvernement et coordonnant l'action gouvernementale. (un simple coordonnateur et exécutant docile).

En tout état de cause le dernier mot revient toujours au Président de la République, qui de par sa propre volonté et à sa guise modifie l'équilibre des pouvoirs en sa faveur.

Dans le contexte actuel, le Premier Ministre (Ousmane Sonko) apparaît comme le Premier Ministre le plus puissant, le plus libre et le plus indépendant, depuis feu le Président Mamadou Dia, nonobstant le fait qu'il ne tire cette puissance et cette légitimité ni de la Constitution ni du Parlement, mais de l’unique volonté du Prince.

Pour toutes ces raisons précédentes, nous estimons qu'une Refondation des Institutions est inévitable, pour instaurer un nouveau régime, une nouvelle Constitution et une nouvelle République. Indubitablement, il nous est vital de disposer d'Institutions et d'une Constitution viables, stables, sécurisées, solides.

Pour ce faire les Conclusions des Assises Nationales et les Recommandations de la CNRI sont incontournables.

A ce propos il est regrettable de constater qu’on ait perdu six (6) mois pour la mise en œuvre des Assises Nationales et de la CNRI contrairement aux engagements pris, avec le doute que cette mise en œuvre puisse jamais avoir lieu au regard des actes posés et de l'allure où vont les choses.

En outre, vouloir procéder à des réformes institutionnelles par l'unique voie parlementaire  (cas de l'éventuelle  mise en œuvre des Conclusions des Assises de la justice, du projet de loi pour supprimer le HCCT et le CESE) traduit le fait d'écarter, de façon volontaire ou involontaire, les citoyens du procédé de refondation des Institutions, ce qui est inacceptable et contraire à la lettre et à l’esprit des Assises Nationales et de la CNRI. En effet toute refondation institutionnelle doit être impérativement sanctionnée par le peuple par voie référendaire.

Il va sans dire que le pouvoir actuel ne doit pas échouer, dans l'intérêt du Sénégal. Mais, il importe aussi que la prochaine Assemblée nationale doit refléter toutes les couleurs de la majorité plurielle. A ce titre, avec le pouvoir et l'opposition  stricto-sensu, la Société  Civile doit être présente de façon significative à l’Assemblée nationale.

C'est pourquoi, nous appelons les citoyens à prendre leur responsabilité pour la transformation de l'alternance actuelle en une véritable alternative qualitative grâce à la mise en œuvre effective des Assises Nationales et de la CNRI.  

Ainsi, faudrait-il impérativement la constitution d'une grande et large COALITION CITOYENNE, qui soit forte, expérimentée et vertueuse, seule véritable soupape de sécurité, car tout le monde est inquiet du devenir de notre pays qui semble s'engager dans une période de longue transition.

Dans ces conditions, renoncer à la Refondation des Institutions serait mettre la Démocratie en prison. Et nous convenons avec Marcus Cicéron que « l'Âme, l'Esprit et le sens de l'Etat reposent sur le Droit, la Justice et l'Éthique ».

Enfin, si on n'y prend pas garde « les Institutions seraient le cimetière des pouvoirs Africains ».

Réf: - Mamadou Dia « Mémoire d'un militant du tiers monde ».

  • Bernard Chantebout « Droit constitutionnel et Science politique »
  • Gerti Hesseling  « Histoire politique du Sénégal »
  • Jean-Pierre Azema /Michel Winock « la 3ème République ».

 Dakar le 19/09/2024.

Hamadou Diagne Syr Diallo

(Pool politique TAXAW TEMM)

 

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