Amath Dansokho et Fodé Sylla se prononcent
L'un est ministre d'Etat, communiste qui s'est signalé ces dernières décennies dans la lutte contre l'impérialisme, l'autre est franco-sénégalais, ancien président de Sos-Racisme, qui fut aussi député européen. L'un, c'est Amath Dansokho, l'autre Fodé Sylla. Prenant prétexte de la visite-éclair du chef de l'Etat français, François Hollande, EnQuête est allé à la rencontre de ces deux fortes personnalités. Pour les interroger sur les nouveaux enjeux des relations entre le Sénégal et la France qui viennent tous les deux de connaître des alternances, avec l'arrivée de deux nouvelles figures à la tête de ces pays. Amath Dansokho et Fodé Sylla évoquent aussi les questions de géopolitiques, parlent d'histoire, de la Françafrique, d'Economie et de l'avenir. Sans détours...
L'arrivée de François Hollande à l'Elysée, un socialiste, est une chance pour le Sénégal, l'Afrique ?
Dansokho : Je ne me fais pas spécialement d'illusions. Je sais parfaitement ce que le Parti socialiste a fait pour l'Afrique et à la conférence de la Baule avec Mitterrand. Les gens se battaient aussi dans leurs pays pour plus de liberté. Souvent la voix des socialistes n'était d'ailleurs pas la plus forte. Mais, je pense que Hollande semble prendre le flambeau de la Baule. Sa posture officielle contre la Françafrique est louable. D'ailleurs, il est en difficulté avec tous les tenants de cette Françafrique.
Il vous semble plus rassurant que Nicolas Sarkozy ?
Dansokho : Ce n'est pas la même chose. Nicolas Sarkozy, je considère plutôt que c'est un aventurier qui est parvenu à se mettre à la tête de la droite française avec des idées fortement d'Extrême droite qu'autre chose. Parce que quand il prononçait le discours de Dakar, il fallait être ignorant. Il y a des questions qui ont été tranchées par des historiens du début du siècle. Il dit que nous sommes les seuls au monde à ne pas avoir d'histoire. Je crois que la réplique d'ailleurs des historiens africains a mis les choses à l'endroit. Je suis d'accord avec tout ce qu'il dit sur les droits de l'Homme en RDC. Il ne semble pas faire de concession, il y va, en tenant compte de ses positions de chef d'État et surtout de garant des intérêts français en Afrique.
En tant que communiste, pensez-vous que deux pays qui n'ont pas les mêmes moyens puissent entretenir des relations normales ?
Dansokho : D'abord, c'est un président normal. J'ai des amis parmi ses lieutenants. Son directeur de cabinet adjoint est un ami avec qui j'ai discuté longuement. Je crois que c'est difficile le PS. Les mallettes de perles nous ont révélé des choses extraordinaires. Il ne faut jamais oublier que des dirigeants de premier plan du Ps était dans ces eaux troubles. Ça, c'est l'histoire, mais j'ai bien le sentiment qu'il veut nettoyer tout ce passé...
Quel destin pour la Françafrique ?
Fodé Sylla : D'abord il est important de savoir aujourd'hui que grâce à la gauche française, et pour moi c'est une fierté, parce que c'est une partie du combat que j'ai mené alors que j'étais étudiant, est arrivé Harlem Désir à la tête du Parti socialiste français. La gauche française est elle-même héritière des combats qui ont été menés par les animateurs la FEANF et d'autres. Il faut voir qu'Harlem Désir est arrivé à la tête du Parti socialiste (Ps) avec une dizaine d'euro-députés. Vous savez, moi-même, j'ai été le premier député européen qui vient d'Afrique. Aujourd'hui, j'en vois une dizaine au Parlement français. Je vous aujourd'hui beaucoup de femmes et de jeunes, dont beaucoup sont issus des rangs de Sos racisme qui sont ministres ou députés. Donc, je dis bien que globalement, la Gauche, en étant au pouvoir, fait preuve d'une représentativité de la société, d'une diversité qu'il faut saluer. On n'avait pas vu des enfants dont les parents étaient issus de l'immigration africaine assumer des pouvoirs.
Il y a encore beaucoup d'exclusion et de racisme en France
Fodé Sylla : Je vais rester dans les choses positives et ensuite je parlerai des points faibles. Donc la deuxième chose qui me semble intéressante dans le positionnement de François Hollande, c'est que ce Président de Gauche a dit : ''Je sors de la République des mallettes, je ne suis pas dans la Françafrique.'' Moi je ne demande qu'à voir. La dernière chose qu'il faudra discuter et respecter avec les partenaires, c'est la question de l'immigration. On a vu cela avec la politique des visas.
Justement est-ce qu'il ne faudrait pas exiger la réciprocité ?
Fodé Sylla : Chaque pays a le droit de définir sa politique d'immigration. Je tiens à rappeler moi aux dirigeants européens que la plupart des émigrés se font entre pays africains et qu'il n'est pas normal qu'on en arrive à des aberrations où l'on empêche des professeurs d'université ou de grands artistes d'avoir leur visa... Je pense aussi qu'il n'est pas normal que des gens qui font partie de l'Union européenne qui sont des peuples qui ont été persécutés, qui sont divisés entre plusieurs européens, qu'ils ne parviennent pas à trouver du travail... Un jour, les peuples africains diront : réciprocité. Mieux, je pense qu'un jour, on se rendra compte que la vraie politique d'immigration consistera à s'asseoir avec les gouvernements du sud pour peaufiner des politiques de développement fiables, pour qu'ils se stabilisent. Et je pense que Macky Sall, avec son programme agricole, pourra jouer un rôle dans ce sens avec tout ce qui est énergies renouvelables... Un pays qui n'a pas accès à l'eau et à l'énergie ne peut pas se développer.
Le Premier ministre François Hollande est attendu ce vendredi à Dakar, le Premier ministre canadien va quitter ce matin, que vous inspire ce télescopage ?
Amath Dansokho : C'est clair, le Sénégal, après ce que nous avons fait, a marqué des points. Il a beaucoup de crédibilité sur le plan international. Dakar, c'est aussi la route pour Kinshasa... Mais je veux dire ceci qu'il faut savoir que nos rapports avec la France, ce n'est pas un cordon ombilical, c'est un cordon historique. Ce que l'histoire a tissé depuis le radeau de la Méduse. Ils étaient déjà là au 14e siècle. Mais ils ont des intérêts, ils sont amarrés à l'Europe, à l'Otan, à toutes les institutions qui décident souvent de notre sort. Et cela renvoie à la considération due à nos Etats. Et c'est la question qui est posée à l'Organisation des Nations-Unies. Chaque fois qu'il y a une crise quelque part, on dit que la communauté internationale a décidé. Mais la communauté internationale, ce sont huit Etats qui décident. Et dans ce cadre, il faut que la France socialiste joue son rôle. Je ne crois que ce soit dans les intuitions politiques de Jaurès ni dans celles de Léon Blum. Le Parti socialiste a toujours eu une composante anti-impérialiste. Et beaucoup de ses jeunes, même Hollande, sont issus de mai 68. Mais est-ce qu'on n'est pas en train de noyer tout cela dans l'Europe sous la houlette de grands groupes financiers (…).
Fodé Sylla : Moi je voudrais quand même relever quelque chose qui me tient à cœur. On a beaucoup parlé des printemps arabes, mais il faut savoir que le Sénégal a été, sur plusieurs mois, d'une grande exemplarité citoyenne. Il faut savoir qu'ici, des jeunes de Y'en a marre se sont mobilisés, un mouvement M23 a été mis sur pied, une coalition politique s'est mise en place. Et les gens se sont battus pour le respect de la voix des urnes. Donc, il faut que l'Europe comprenne qu'il y a une nouvelle race de dirigeants ici. Et que cette génération de dirigeants est au fait de tout ce qui se passe dans le monde. Il fut un temps où l'on pouvait s'asseoir dans un cercle fermé avec une élite en disant : ''Voilà, nous allons faire telle ou telle chose''. Aujourd'hui, il y a des observateurs, des journalistes avertis, des moyens de communication de plus en plus complexifiés etc. Aujourd'hui on ne peut plus tromper les gens sur le prix de l'or, le prix du phosphate, le prix du fer, le prix de l'uranium etc. On ne peut plus simplement traiter avec une certaine élite. Il faudra compter avec les peuples du sud.
On nous reproche cependant une certaine culture de l'assistanat, celle de la main tendue...
Fodé Sylla : Vous avez raison qu'il faut rappeler aux gens du sud leurs responsabilités. Il faut arrêter de se plaindre et de quémander. Je pense qu'on gagnerait aujourd'hui à reconquérir des réflexes en matière de protection de notre environnement... Il faut gérer l'eau que nous avons. Il y a aussi beaucoup de dons en Afrique, mais qu'est-ce qu'on en fait. Il y a une première génération de panneaux solaires au Mali, mais les gens sont partis avec. Cela non plus n'est pas supportable. Il faut donc que nous nous appliquions la même rigueur que nous exigeons aux autres. L'Africain ne peut pas se mettre là à quémander. Lorsque nous avons quelque chose, il faut qu'on apprenne à bien le gérer.
PROPOS RECUEILLIS PAR MAMADOU WANE ET GASTON COLY
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