Publié le 13 Nov 2024 - 22:26
FIN DES ACCORDS DE PÊCHE AVEC LE SÉNÉGAL

L’Union européenne largue les amarres

 

Le 17 novembre 2024 marquera une date charnière pour le secteur de la pêche sénégalais. En effet, le protocole de pêche signé en 2019 entre le Sénégal et l'Union européenne (UE) arrive à échéance et l'UE a décidé de ne pas renouveler cet accord, invoquant des ‘’défaillances’’ dans la lutte contre la pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN). Le non-renouvellement de cet accord suscite de vifs débats, révélant des enjeux cruciaux pour la souveraineté économique, la gestion des ressources marines et la subsistance de centaines de milliers de Sénégalais.

 

Le protocole de pêche, qui aura duré cinq ans, comprenait 14 accords touchant l'économie et l'environnement, et représentait une contribution de 8,5 millions d'euros (environ 5,5 milliards de francs CFA) versée par l'UE. À ce financement s'ajoutaient les redevances des armateurs européens, majoritairement espagnols et français. L'ambassadeur de l'UE au Sénégal, Jean-Marc Pisani, a déclaré que les captures des navires européens représentaient moins de 1 % des prises totales déclarées au Sénégal.

Cependant, ce faible pourcentage de captures n'a pas suffi à dissiper les critiques.

En effet, pour de nombreux observateurs et acteurs locaux, cet accord a eu des conséquences néfastes sur les ressources halieutiques et sur la pêche artisanale. Guy Marius Sagna, député sénégalais, a exprimé un avis tranché : ‘’Bon débarras et sans regret aux bateaux de l’Union européenne !’’

Selon lui, les termes de l'accord ont été défavorables au Sénégal, transformant les pêcheurs locaux en passeurs désespérés cherchant à rejoindre l'Europe par des voies dangereuses.

Le représentant de l'UE, Jean-Marc Pisani, a été clair : tant que des progrès significatifs ne seront pas réalisés dans la lutte contre la pêche INN, l'UE ne renouvellera pas l'accord. L'Union, qui prône une ‘’tolérance zéro’’ envers la pêche illicite, a identifié le Sénégal comme un ‘’pays non-coopérant’’ en mai dernier, pointant du doigt des faiblesses structurelles dans le contrôle et la traçabilité des produits de la pêche.

Cependant, cette décision de l'UE ne s'inscrit pas uniquement dans une logique de conservation des ressources marines. Elle répond également à des impératifs de cohérence politique au sein de l'Union, qui a choisi de conditionner ses partenariats à des résultats concrets en matière de gouvernance environnementale. Ce choix de l'UE place le Sénégal dans une position délicate, car Dakar devra maintenant assumer seul la gestion d’un secteur vital, sans les fonds européens qui contribuaient au développement de la pêche.

Un impact socioéconomique considérable

La pêche, au Sénégal, est bien plus qu'une simple activité économique ; c’est une question de survie. Près de 600 000 personnes en dépendent directement ou indirectement, selon les Nations Unies. Le retrait des navires européens pourrait donc constituer une opportunité pour les pêcheurs locaux de récupérer l'accès aux ressources halieutiques. Toutefois, le manque de moyens et d'infrastructures pour exploiter durablement ces ressources reste un défi majeur.

L'UE a pourtant contribué à la modernisation du secteur, en finançant des projets tels que la construction des quais de pêche de Ndangane Sambou et de Hann ou encore le nettoyage des fonds marins le long du littoral. Le Sénégal a bénéficié de plus de 590 millions de francs CFA pour ces initiatives, mais beaucoup estiment que cela ne compense pas l'épuisement progressif des ressources halieutiques.

La réponse du gouvernement sénégalais : entre audit et renégociation

La docteure Fatou Diouf, ministre des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires, a prévu de détailler prochainement les nouvelles orientations stratégiques du gouvernement pour une gestion durable des ressources halieutiques. Son discours est attendu avec impatience, car il pourrait marquer un tournant dans la manière dont le Sénégal gère l'un de ses secteurs les plus prometteurs.

Dans un contexte de tensions autour de la gestion des ressources halieutiques, elle s’apprête à prendre la parole publiquement pour donner les nouvelles orientations stratégiques du gouvernement sénégalais. Cette conférence de presse annoncée, que des sources proches du ministère ont confirmée, s’inscrit dans un moment décisif où le secteur de la pêche traverse une phase critique marquée par la fin imminente de l'accord de pêche avec l'Union européenne (UE), prévu pour expirer le 17 novembre 2024.

Le timing de cette intervention est particulièrement significatif. Depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, une volonté affirmée de rupture et de réorientation stratégique dans la gestion des ressources naturelles, dont celles halieutiques, a émergé. Le président sénégalais a récemment insisté sur l'importance de la souveraineté nationale et la nécessité de réviser en profondeur les accords qui, selon lui, auraient légué des avantages disproportionnés aux partenaires étrangers au détriment des acteurs locaux.

Selon des informations rapportées par plusieurs sources, la docteure Fatou Diouf s’apprête à dévoiler un plan détaillé qui mettra en avant une gestion plus durable et responsable des ressources marines. Ce plan, qui répond aux attentes de nombreux acteurs de la filière, devrait souligner la priorité du gouvernement à préserver les intérêts nationaux tout en adressant les défis de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) qui ont contribué à la décision de l’UE de ne pas renouveler l'accord.

Parmi les mesures attendues, il est question de renforcer les dispositifs de surveillance et de contrôle des eaux sénégalaises, de promouvoir des pratiques de pêche plus durables et d'accompagner les pêcheurs artisanaux afin de leur garantir un accès plus équitable aux ressources halieutiques. Le gouvernement pourrait également présenter des réformes visant à encourager les investissements locaux dans le secteur, tout en réduisant la dépendance envers les accords internationaux.

Cette déclaration intervient alors que le secteur de la pêche, qui fait vivre directement ou indirectement près de 600 000 Sénégalais, se trouve au cœur de débats vifs sur la préservation des ressources marines et la survie des communautés côtières. À cet égard, les choix stratégiques du gouvernement sont scrutés avec attention, tant par les pêcheurs artisanaux que par les organisations de la société civile et les partenaires internationaux.

Il reste à voir si les nouvelles orientations annoncées par la ministre parviendront à apaiser les inquiétudes des acteurs locaux tout en redéfinissant un modèle de gestion qui combine développement durable et intérêts nationaux.

Les espoirs d’une gestion autonome des ressources maritimes

Si certains acteurs, comme Guy Marius Sagna, voient dans la fin de l'accord une occasion de reprendre le contrôle des ressources marines, d'autres craignent que le Sénégal ne soit pas prêt à gérer seul les défis de la pêche. Le pays manque de moyens pour contrôler efficacement ses eaux territoriales où la pêche illicite reste un problème majeur.

Pour relever ce défi, des solutions innovantes et une coopération régionale pourraient être nécessaires. Le Sénégal pourrait renforcer ses partenariats avec d'autres États africains ou solliciter de l'aide auprès d'organisations internationales pour développer des technologies de surveillance maritime. L'objectif serait de protéger les ressources halieutiques tout en garantissant une pêche durable pour les générations futures.

L’expiration du protocole de pêche avec l’UE soulève des questions fondamentales sur l’avenir du secteur au Sénégal. Dans un contexte où le gouvernement s'efforce de mettre en place des réformes structurelles, le pays doit également envisager de nouvelles sources de financement pour soutenir le développement de la pêche, recommandent plusieurs observateurs.

Le débat sur la souveraineté économique, relancé par cette crise, montre à quel point la gestion des ressources naturelles reste un enjeu capital pour le Sénégal.

En attendant, les pêcheurs locaux, les spécialistes de l’environnement et les autorités devront s'unir pour affronter les défis à venir. Une chose est sûre : l’avenir de la pêche au Sénégal dépendra de la capacité du pays à conjuguer souveraineté et développement durable.

AMADOU CAMARA GUEYE

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