Ces plaintes qui éclaboussent le géant allemand de l'entrepreneuriat social

Sous le prétexte de développer en Afrique, notamment au Sénégal, des projets à fort impact social et environnemental, le groupe Africa GreenTec a réussi à lever des millions d'euros à travers des plateformes de fundraising. Mais, généralement, ces montants colossaux sont investis soit dans des éléphants blancs soit dans des dépenses de prestige au profit du fondateur, l'Allemand Torsten Schreiber, présenté comme une sorte de “Père Noël” pour les Africains. Dans deux plaintes déposées devant le Pool judiciaire financier et le tribunal de grande instance de Mbour, la directrice générale de la filiale sénégalaise du groupe dénonce des magouilles de son co-associé.
C'est un homme d'affaires qui continue de défrayer la chronique entre Dakar et Berlin. Après le dossier “Solar Bakery” dans lequel il est cité (voir notre édition du 21 mai dernier), le chantre de l'entrepreneuriat social en Allemagne, Torsten Schreiber, devra aussi répondre devant la justice sénégalaise pour l'affaire Africa GreenTec ; société dans laquelle il est présenté comme actionnaire majoritaire à travers sa maison-mère allemande Africa GreenTec AG.
Directrice générale et associée minoritaire d'AGT Sénégal, Ndèye Anna Ndiaye a déposé deux plaintes contre lui : l'une devant le Pool judiciaire financier pour “abus de biens sociaux”, l'autre devant le tribunal de grande instance de Mbour pour “abus de confiance”, en sus de l'abus de biens sociaux.
Créée en 2020 par Torsten et Anna Ndiaye, Africa GreenTec Sénégal appartient à 95 % à la société allemande Africa GreenTec AG -dont Torsten et son épouse sont les principaux bénéficiaires - et 5 % à la directrice générale Anna Ndiaye. L'entreprise avait pour vocation de mobiliser des fonds importants pour des investissements à forts impacts sociaux et environnementaux au bénéfice des communautés africaines, en particulier au Sénégal. Elle était ainsi dans l'électrification rurale ; l'installation de chambres froides solaires dans les villages ; l'autonomisation des populations rurales, en particulier des femmes...
La société, qui travaille avec des entités publiques dont l'Aser et des ONG, met ainsi en œuvre des solutions innovantes durables aussi bien au Sénégal que dans d'autres pays de la sous-région (notamment la Gambie et la Mauritanie).
Mais, à en croire certaines accusations, elle a surtout servi de vache laitière pour Torsten et son épouse plutôt qu'à contribuer au développement des communautés.
Maitre dans l'art de mobiliser des fonds privés allemands pour des investissements sociaux en Afrique, M. Schreiber, souvent présenté dans les médias comme un “Père Noël” pour les Africains, a pu amasser des millions d'euros, notamment pour AGT, mais souvent pour des éléphants blancs ou pour son compte personnel. Son associée et non moins directrice générale de la filiale sénégalaise du groupe accuse, dans sa plainte, dont nous détenons copie : “Je tiens à dire à tout le monde que les actions qu'il prend n'engagent en rien la société AGT Sénégal dont je suis encore la seule gérante. Et j'ai saisi la justice pour faire la lumière sur un certain nombre d'initiatives qu'il a eu à prendre de manière frauduleuse.”
Selon la plainte, Schreiber aurait profité du contrôle qu'il avait sur la société mère (AGT AG) qu'il a lui-même fondée et dont il était gérant, pour engager “de manière unilatérale et frauduleuse” d'importantes sommes issues de comptes de la filiale sénégalaise “pour des acquisitions immobilières et des projets personnels, en violation des intérêts de la société”. Des actes qui auraient été accomplis “sans autorisation de la directrice générale et sous couvert de faux accords avec la société mère allemande”, indique la source qui précise que l'argent a servi à acheter, entre autres, des voitures et des terrains notamment à Nianing.
“Au vu des factures produites, le total des sommes utilisées et dont l'usage est injustifié s'élève à 375 506 980 F CFA”, souligne la partie civile dans la plainte déposée auprès du Pool judiciaire financier.
D'ailleurs, renseignent des sources proches du dossier, la directrice générale a fait une lettre pour informer les investisseurs allemands des dérives dans la gestion de leurs fonds. “Une partie de ces montants provient, en effet, de fonds levés sur des plateformes de fundraising et destinés à des projets de pompes et boulangeries solaires. C'était en réalité des projets à fort impact social, mais l'argent a été détourné à d'autres fins”, précisent les sources proches d'AGT Sénégal. Qui ajoutent : “Ces actions ont été entreprises sans consultation préalable avec la DG Ndèye Anna Ndiaye et, dans certains cas, en utilisant de faux messages prétendant provenir de la maison-mère pour agir et recueillir des fonds de la société AGT Sénégal, fonds qu'il a ensuite détournés à des fins personnelles.”
‘’EnQuête’’ a essayé de joindre M. Schreiber pour avoir sa version des faits, mais il n'a pas souhaité réagir à nos sollicitations.
Par Mor Amar