Le ruissellement de la catastrophe
Les populations riveraines du Dandé Mayo ont subi les terribles affres des inondations causées par le débordement du fleuve Sénégal. De Dembancané aux hameaux du Walo du Bosséa, les eaux ont envahi tous les espaces, des maisons aux champs, en passant par les écoles. La situation invivable pour les centaines de familles sinistrées est décrite dans ce reportage réalisé il y a quelques semaines.
''C'est une catastrophe !'', lâche Arona Siby, père de famille vivant à Dembancané. Sa maison, une terrasse assez bien bâtie, est totalement inondée. On a dû patauger dans des eaux qui nous arrivent jusqu’au-dessus des genoux, pour constater de visu l’ampleur des dégâts. Des chambres vides, des matelas et autres matériels superposés sur des barils d'huile, des toilettes inaccessibles. C'est dans ce triste décor où les eaux fluviales se mêlent à celles des fosses septiques qu'il faut patauger pour accéder à la demeure des Siby.
Stoïque, le père de famille est dévasté par l’ampleur des dégâts. ''C’est une situation que nous n'avons jamais connue. Je n'ai jamais vu une telle situation à Dembancané et pourtant, on a été confronté à des inondations'', déclare-t-il. Les dégâts que ces eaux ont causés, selon lui, sont inestimables. ''J’ai perdu des sacs de riz et de mil, des sacs de sucre et autres vivres, sans compter le matériel électronique détérioré. La nuit, mes garçons et moi dormons à la belle étoile. Les femmes sont hébergées dans d'autres maisons non encore touchées par les inondations. Vraiment, la situation est catastrophique. Le pire est que les autorités gouvernementales semblent minorer le calvaire que nous vivons'', se désole l'émigré.
Des écoles assaillies par des sinistrés
À l’école élémentaire de Dembancané, les enseignants sont contraints de retarder le démarrage des cours, car les salles de classe sont encore occupées par des sinistrés. Ces familles ont déserté leurs maisons totalement inondées. Elles doivent surseoir à une certaine intimité à l’intérieur d'un édifice public. Une dame totalement voilée se détourne, notre présence semble l'importuner, mais elle finit par se résoudre à nous parler. ''Seul Dieu sait ce que nous endurons depuis plusieurs jours. Vous savez très bien qu'aucune personne ne souhaite quitter sa maison pour venir loger dans des salles de classe infestées de moustiques et d'insectes. De plus, vous devez partager la salle avec d'autres familles et ce n’est pas évident'', confesse-t-elle, visiblement embarrassée d’être trouvée dans une situation incommodante.
À une centaine de kilomètres de Dembancané, dans le département de Kanel, et à 3 km de la capitale régionale de Matam, le directeur de l’école élémentaire du village, Seydou Sow, subit aussi les conséquences des inondations. Son établissement est occupé par les sinistrés, une situation qui perturbe clairement les cours à Bélli Diallo. ''On ne pourra pas faire cours dans cette situation. Des bagages sont gardés dans les salles de classe. En plus de cela, le toit d’une des salles de classe est parti avec la pluie”, fait-il savoir.
Plus de 20 maisons effondrées à Bélli Diallo
La situation est encore désolante dans le village de Bélli Diallo, dans la commune de Ogo. Ici, les habitations en banco ont été détruites. Vingt-deux maisons se sont effondrées sous les forces dévastatrices des eaux. Depuis lors, leurs habitants dorment à la belle étoile. Ils ont été relogés dans des abris provisoires construits à l’aide de bâches à quelques centaines de mètres. ''Nous sommes fatigués et nous avons tout perdu dans ces inondations. Nous sommes en insécurité dans ces abris. L’État doit nous venir en aide. C’est vraiment difficile”, déclare une dame sinistrée.
Pour venir en aide à ces populations, la commune de Ogo a dépêché une délégation dirigée par l’adjoint au maire Abdoul Ndiaye. Des tentes ont été remises à des sinistrés installés dans des zones non encore inondées, mais ''certaines personnes refusent de quitter leurs habitations malgré l’inondation'', a fait remarquer le proche collaborateur du maire Abou Diallo Balel. Pour le président régional de l’Association des chefs de village de Matam, l’État doit être au chevet des populations malheureuses. ''C'est une catastrophe pour ces populations. Elles sont fatiguées et rien que la présence d’autorités serait réconfortante'', déclare Abdoul Aziz Ndao.
Les pirogues, seuls moyens de déplacement
Dans l’arrondissement des Agnams, les eaux ont englouti toutes les routes et le seul pont reliant le Dandé Mayo de la route nationale n°2, depuis plus d'une semaine. Les populations se déplacent à bord de pirogues, sans gilets avec tous les risques que ça comporte. Cheikh Ahmet, un jeune instituteur en service à l’école élémentaire de Diorbivor, est terrifié par ce moyen de déplacement. ''Aujourd’hui, se déplacer pour se rendre à Oréfondé est un gros risque. Je suis terrifié à chaque fois que je monte à bord d’une pirogue. Il n’y a aucune mesure de sécurité, sachant que la pirogue vogue sur des eaux profondes. Il n'y a pas de gilets. Si un malheur arrive, personne ne sera à l'abri. L’État doit prendre les devants au lieu d’attendre que l’irréparable se produise pour jouer au médecin après la mort'', soutient le natif de la banlieue dakaroise.
Dans ce village historique de Diorbivor, un des deux cimetières est déjà sous les eaux, les populations sont en train d'user de tous les moyens pour endiguer l’avancée des eaux. Des sacs de sable sont jalonnés un peu partout à l’entrée du village, mais les habitants ne se font pas trop d'illusions ; un prochain lâcher du barrage leur sera fatal. ''Le danger est à quelques centimètres. On croise les doigts pour qu’il n'y ait plus une goutte d’eau qui tombe du ciel. Mais si les techniciens du barrage effectuent un nouveau lâcher, les eaux feront des dégâts inestimables”, prévient un jeune habitant du village.
Plus de 700 ha déjà engloutis
Les lâchers du barrage ont amplifié les dégâts causés par le débordement du fleuve. Ce n’est pas seulement les habitations qui ont subi la dure loi des eaux, les champs de riz n'ont pas été épargnés. Selon le chef de la Division appui à la production et à l’entrepreneuriat rural à la SAED de Matam, 700 ha de riz ont été inondés. ''La situation est devenue plus ou moins critique du fait de l’évolution des périmètres inondés, estime Moussa Mbodj. Durant la première vague (d’inondations), nous avons une hauteur de 8,62 m et plus de 400 ha de riz inondés. Avec la recrudescence de la crue ces derniers jours, on est à des hauteurs de 8,74 m avec plus de 700 ha inondés et malheureusement, ce sont des chiffres qui vont augmenter et cette situation a déjà impacté plus de mille producteurs de la région de Matam'', renseigne le technicien.
Spectre de l’insécurité alimentaire et des épidémies
Agent communautaire, dans la commune de Dabia, Mamoudou Soh était bien pessimiste par rapport à l'évolution de la situation. Il déclare : ''Vous n'imaginez même pas les dégâts de ces inondations pour les populations du Dandé Mayo. C’est une catastrophe ! Ces personnes n'avaient aucune ressource, hormis l’agriculture. De nombreuses personnes risquent de mourir de faim si l’État ne prend pas de mesures fortes. Mais une épidémie peut se déclencher dans les jours à venir. Les toilettes sont inondées et les gens pataugent dans les eaux, les enfants sont constamment dans ces eaux. Vous imaginez le danger. Aujourd’hui, il n'est même pas sûr de boire l'eau du robinet dans tout le Dandé Mayo’’, prévient ce polygame et père de sept enfants.
Le Dandé Mayo va porter plainte contre l’État pour non-assistance
Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a effectué une visite à Bakel pour s’enquérir de la situation des sinistrés des débordements du fleuve Sénégal. Si une enveloppe de huit milliards a été promise à tous les sinistrés des régions touchées, les populations du Dandé Mayo continuent de réclamer une assistance. Autour du mouvement Dandé Mayo émergent (DME), elles ont annoncé, au cours d'un rassemblement tenu dans le village de Bélli Diallo, porter plainte contre l’État du Sénégal pour non-assistance à des personnes en danger. ''C’est plus de 200 000 personnes qui sont impactées, des milliers de bêtes et plus de 1 000 ha de production de riz ont été engloutis par les eaux’’, a déclaré la présidente du mouvement, Yaya Ndiaye. ‘’C’est une véritable catastrophe jamais connue dans cette zone'', tonne-t-elle.
Au sujet du ballet des ministres dans la région, le DME se montre déçu : ''Le fait de dépêcher des ministres pour venir constater les dégâts ne suffit pas. Les populations sont laissées à elles-mêmes, sans électricité et sans eau. Honte à celui qui chante, qui jubile au moment où le Dandé Mayo se noie, succombe et agonise. D’ailleurs, nous comptons porter plainte contre l’État pour non-assistance à une population en danger'', annonce le leader du DME.
La cellule de crise convoquée par le gouverneur
La peur est devenue palpable chez les populations des autres localités, après que le gouverneur a invité les populations à une vigilance maximale, à la sortie d'une réunion avec la cellule de crise. Les techniciens présents ont averti que ''l’ampleur des dégâts dépendra non seulement de l’intensité de la crue, mais également du niveau de vulnérabilité des populations, des infrastructures et des systèmes de production, comme les périmètres agricoles situés à proximité du fleuve''.
En prévision des inondations supplémentaires qui pourraient survenir si des pluies locales fortes venaient à s’abattre sur la région, le gouverneur de Matam a lancé un appel à la vigilance maximale.
Djibril Bâ