Les chiffres de la détresse au Sénégal
L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) a effectué une enquête nationale de référence sur les violences faites aux femmes au plan national durant les 12 derniers mois. C’est dans la région de Diourbel que cette prévalence récente est la plus élevée (42,6 %), tandis que celle de Fatick connait la moins élevée (15,1 %).
En 2023-2024, le Sénégal a réalisé, pour la première fois, une enquête nationale de référence uniquement centrée sur les violences faites aux femmes. Car les enquêtes démographiques et de santé (EDS) offraient un aperçu limité à certaines formes de violences envers les femmes et se concentraient sur les violences physiques, psychologiques, culturelles et sexuelles.
Cette nouvelle enquête de référence a donc élargi le spectre pour inclure également les violences économiques et les formes émergentes de violences telles que les violences politiques et numériques. Elle vise aussi à évaluer la perception des femmes vis-à-vis de toutes ces formes de violences et à identifier le profil des auteurs ainsi que la nature de leurs relations avec les victimes.
L’objectif principal de l’enquête, selon le rapport parcouru par ‘’EnQuête’’, était de faire une analyse situationnelle des violences faites aux femmes sur l’ensemble du territoire national. La couverture globale de l’enquête est de 99,7 %, soit 7 503 femmes qui ont effectivement répondu sur 7 525 tirées, incluant 3 675 en milieu urbain et 3 850 en milieu rural.
33,7 % des répondantes sont âgées de 35 à 54 ans. Les 15-24 ans représentent 28,6 %, suivies des 25-34 ans avec 25,7 %. Les femmes de 55-64 ans représentent 7,3 % des répondantes et celles de 65 ans et plus 4,6 %. Parmi elles, 71 % ont déclaré être mariées au moment de l’enquête, dont 50,2 % en union monogame. En ce qui concerne le niveau d'instruction, 56,6 % des femmes n’ont aucun niveau d’instruction, 17,5 % ont le niveau élémentaire, 13,9 % le niveau moyen, 7,7 % le niveau secondaire et 4,2 % le niveau supérieur.
Par ailleurs, 4,9 % des répondantes sont des salariées, 31,1 % des non-salariées et 64,0 % ont un autre statut professionnel. Selon le document, 46,6 % des répondantes se déclarent en bonne santé, 31,3 % ont une santé moyenne et 17,7 % en très bonne santé. De plus, 25,4 % des femmes enquêtées ont déclaré souffrir d’une maladie, parmi lesquelles 49,0 % vivent avec une maladie chronique et 48,3 % ont d’autres types de maladies.
Prévalence des violences faites aux femmes au cours des 12 derniers mois selon la région
Selon l’enquête, au cours des douze derniers mois, plus d’un tiers des femmes âgées de 15 ans ou plus au Sénégal (31,9 %) ont subi un type de violence. C’est dans la région de Diourbel que cette prévalence récente est la plus élevée (42,6 %), tandis que celle de Fatick est la moins élevée (15,1 %).
Concernant les violences faites aux femmes hors du cadre conjugal (hors union), les résultats sur la prévalence des violences faites aux femmes au Sénégal, dans un contexte hors union, révèlent qu’une proportion importante de femmes, soit 87,5 %, ont déclaré avoir subi des violences avant l’âge de 18 ans. De même, la majeure partie des femmes (89,2 %) ont signalé avoir été victimes de violences au cours de leur vie. Enfin, concernant les violences subies au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête, la prévalence baisse, mais reste conséquente, avec 21,7 % des femmes rapportant avoir été victimes de violences durant cette période.
En ce qui concerne les violences conjugales faites aux femmes, 70,2 % des femmes ont déclaré en être victimes depuis le début de leur première union. De plus, sur une période plus récente, soit les 12 derniers mois précédant l’enquête, 22,4 % des femmes ont déclaré avoir subi des violences conjugales.
Prévalence des violences hors union au cours des 12 derniers mois selon la région
On apprend aussi que c’est dans la région de Diourbel qu’on enregistre la plus forte prévalence de violence récente à l’égard de femmes dans le cadre hors union, avec 38,9 %, suivie par la région de Dakar (25,9 % de femmes affectées). La région de Fatick présente la prévalence la plus basse, avec moins d’une femme sur dix (8,1 %) ayant subi un type de violence hors union.
Selon l’analyse régionale, les violences conjugales subies depuis la première union sont les plus fréquentes chez les femmes de Matam, avec un taux de 84,7 %. Elles sont suivies par celles résidant dans les régions de Thiès (79,9 %), Louga (79 %) et Tambacounda (73,8 %). Les prévalences les plus basses de ces violences sont enregistrées dans les régions de Kaffrine (49,4 %), Kaolack (55,5 %) et Fatick (60,6 %). En ce qui concerne la violence récente (durant les 12 mois précédant l’enquête), les prévalences les plus hautes ont été notées chez les femmes de Thiès (32,7 %), Dakar (29,8 %) et Louga (26,3 %). Comme pour les violences subies depuis la première union, Kaffrine reste la région où les femmes ont le moins souffert de violences conjugales au cours des 12 derniers mois, avec seulement 5,5 %, renseigne le rapport.
Prévalence des violences selon les formes
Pour les violences physiques, un peu plus de trois femmes sur quatre (76,7 %) ont subi une violence physique hors union au cours de leur vie. Il est également noté que 74,3 % des femmes ont été victimes de cette forme de violence avant l’âge de 18 ans. Cette situation laisse entendre que la quasi-totalité des victimes de violences physiques l’a déjà été avant l’âge de 18 ans. En considérant les douze derniers mois ayant précédé l’enquête, la prévalence de cette violence s’élève à 4,7 %, dont 3,6 % des violences sont modérées et 1,0 % peuvent être classées comme sévères.
Par ailleurs, près de trois femmes sur dix (30,4 %) ont subi une violence physique conjugale depuis leur première union. La prévalence de cette forme de violence est beaucoup plus faible au cours des 12 derniers mois avant l’enquête, période pendant laquelle le pourcentage de femmes victimes de violences physiques conjugales est de 3,3 %.
La prévalence des violences physiques hors union est plus élevée en milieu rural (72,8 % modérées et 6,1 % sévères) qu’en milieu urbain (65,2 % modérées et 10 % sévères). Cette même tendance est observée si l’on s’intéresse à cette forme de violence avant l’âge de 18 ans.
En se référant aux 12 mois ayant précédé l’enquête, il apparaît que la tendance s’inverse, en ce sens que la prévalence de cette forme de violence devient plus importante en milieu urbain (3,7 % modérées et 1,6 % sévères) en comparaison du milieu rural (3,5 % modérées et 0,2 % sévères).
Les résultats révèlent quelques disparités dans la prévalence des violences conjugales physiques selon le milieu de résidence et la période. En effet, depuis la première union, les femmes vivant en milieu rural affichent une prévalence plus élevée, avec un pourcentage de 35,8 %, comparativement à celles vivant en milieu urbain avec 26,1 %. Cependant, cette tendance s’inverse lorsque l’on se réfère aux 12 derniers mois précédant l’enquête, période durant laquelle cette prévalence est légèrement plus élevée en milieu urbain (3,6 %) qu’en milieu rural (3,1 %).
Violences psychologiques
Les résultats de l’enquête montrent que 77,4 % des femmes déclarent avoir été victimes de violences psychologiques avant leurs 18 ans dans un contexte hors union. Cette proportion est de 80,8 % chez celles déclarant l’avoir été au cours de la vie. Il a été demandé aux femmes si elles ont subi une violence psychologique au cours des 12 derniers mois. Parmi celles-ci, 18,2 % en ont été victimes.
S’agissant des violences psychologiques conjugales, les résultats de l’enquête montrent que près de six femmes sur dix (60,9 %) sont victimes de ce type de violence depuis la première union, et près de deux femmes sur dix (18,7 %) l’ont subi au cours des 12 derniers mois. Plus de huit femmes sur dix sont victimes de violences psychologiques hors union au cours de leur vie, et ce, quel que soit le milieu de résidence. Cette proportion est de 76,9 % en milieu urbain contre 78,2 % en milieu rural pour celles l’ayant vécu avant leurs 18 ans. En considérant les 12 derniers mois précédant l’enquête, les proportions sont respectivement 22,5 % et 12 %.
Les résultats révèlent aussi que les victimes de violences psychologiques conjugales sont plus fréquentes en milieu urbain qu’en milieu rural, quelle que soit la période. Depuis la première union, les pourcentages sont de 62,1 % en milieu urbain et de 59,4 % en milieu rural. Au cours des 12 derniers mois, ils sont respectivement de 22,3 % et de 14,5 %.
Violences sexuelles
Au Sénégal, 17,3 % des femmes âgées de 15 ans ou plus ont subi des violences sexuelles hors union au moins une fois dans leur vie. Parmi ces femmes, 14,7 % étaient victimes de violences sexuelles modérées et 2,6 % de violences sexuelles sévères. Chez les femmes ayant subi les violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, la prévalence s’élève à 15,1 %, dont 13,5 % pour des violences sexuelles modérées et 1,7 % pour des violences sexuelles sévères.
En dépit des campagnes de sensibilisation et de lutte contre les violences conjugales, celles-ci persistent, avec une prévalence de plus de 2 % au cours des 12 derniers mois. De plus, 8,3 % des femmes en union ou ayant été en union ont été victimes de violences sexuelles de la part de leur mari/partenaire depuis la première union. Par ailleurs, cette proportion s’élève à 2,2 % au cours des 12 derniers mois.
Chez les femmes ayant au moins subi une violence sexuelle hors union au cours de leur vie, celles vivant en milieu urbain en sont plus victimes (18,2 % contre 16,1 % pour celles résidant en milieu rural).
Parmi les femmes ayant subi la violence avant l’âge de 18 ans, les différences entre les prévalences selon le milieu de résidence sont minimes. En effet, 15,2 % (dont 1,2 % pour les violences sexuelles sévères et 14,0 % pour les violences sexuelles modérées) des femmes du milieu rural et 15,0 % (dont 2,0 % pour les violences sexuelles sévères et 13,1 % pour les violences sexuelles modérées) de celles du milieu urbain déclarent avoir été victimes de violences sexuelles avant leur 18e anniversaire.
Par ailleurs, au cours des 12 derniers mois, 2,2 % des femmes vivant en milieu urbain ont subi des violences sexuelles contre 1,3 % des femmes du milieu rural.
Quelle que soit la période de référence, les femmes du milieu urbain sont plus victimes des violences sexuelles dans le cadre conjugal. En effet, chez les femmes vivant en milieu urbain, 9,9 % ont été victimes de violence depuis leur première union et 2,9 % au cours des 12 derniers mois. Par contre, chez celles résidant dans le milieu rural, 6,3 % en sont victimes depuis la première union et 1,3 % depuis les 12 derniers mois.
Prévalences des violences économiques faites aux femmes au Sénégal
Pour les violences économiques, si l’on se rapporte au cadre hors union, les femmes qui ont au moins subi un acte de violence économique au cours de la vie présentent une prévalence de 29,1 %, tandis que 25,1 % l’ont subi avant de fêter leur 18e anniversaire.
Au cours des 12 derniers mois, 3,7 % ont été victimes de violences économiques. Cela indique qu’elles ont été au moins privées de travailler, de dépenser librement leur argent, de payer des dettes qui ne sont pas les leurs, entre autres.
Les résultats de l’enquête montrent également que, sur une population de 5 551 099 femmes âgées de 15 ans ou plus, près de deux femmes sur dix (19,9 %) ont déclaré avoir subi au moins une violence économique dans le contexte conjugal depuis leur première union.
Durant les 12 derniers mois précédant l’enquête, la proportion de femmes ayant subi une violence économique conjugale est de 5,4 %.
Par ailleurs, au cours de leur existence, 33,3 % des femmes résidant en milieu urbain déclarent avoir subi un acte de violence économique dans le cadre hors union. Les femmes de la zone rurale restent toujours le groupe le moins touché, avec une prévalence de 23,1 %.
Ces tendances constatées se confirment pour la référence des douze derniers mois qui ont précédé l’enquête. La violence économique touche 5,1 % de femmes résidant en milieu urbain contre 1,8 % pour celles résidant en zone rurale.
Quelle que soit la période considérée, la violence économique conjugale est plus fréquente chez les femmes résidant en milieu urbain. La prévalence depuis la première union dépasse la moyenne nationale dans les zones urbaines (24,6 %), tandis que pour leurs homologues vivant en milieu rural, elle s’élève à 14,2 %.
Cette tendance se confirme pour la période des 12 derniers mois précédant l’enquête. La violence économique conjugale touche 7,2 % des femmes résidant en milieu urbain, contre 3,2 % pour celles vivant en zone rurale.
Violences numériques
Globalement, la prévalence des violences numériques subies avant l’âge de 18 ans est de 20,4 %. Elle reste plus élevée en milieu urbain (23,1 %) qu’en milieu rural (16,4 %).
Par ailleurs, plus de 80 % des femmes ont déclaré avoir subi une violence numérique à un moment ou à un autre de leur vie, quel que soit le milieu de résidence.
Durant les 12 mois précédant l’enquête, 8,1 % des femmes affirment avoir subi une violence numérique. Selon le milieu de résidence, 11,3 % des femmes vivant en milieu urbain ont déclaré avoir subi une violence numérique contre 3,5 % pour celles vivant en milieu rural.
En ce qui concerne les violences numériques subies au cours des 12 derniers mois ayant précédé l’enquête, c’est dans l’ouest du pays (régions de Dakar et Thiès) qu’il est enregistré la plus forte prévalence, soit 10,8 %, dépassant ainsi la moyenne nationale (8,1 %). En revanche, dans l’axe du Sud (Kédougou, Tambacounda, Ziguinchor, Sédhiou et Kolda), le taux de prévalence des violences numériques subies par les femmes est de 3,7 % au cours des 12 mois ayant précédé l’enquête. Par ailleurs, cette proportion est de 6,8 % au Nord (Louga, Matam et Saint-Louis) et 7,8 % au Centre (Fatick, Kaffrine, Kaolack et Diourbel).
Violences politiques
Globalement, plus de 6,5 % des femmes ont affirmé avoir subi une forme de violence politique pendant la dernière période électorale qui a précédé l’enquête (législatives de 2022). En effet, 4,6 % des femmes affirment avoir subi des pressions pour les pousser à s’abstenir de voter et près de 4 % des femmes déclarent avoir été intimidées au bureau de vote.
Les femmes qui résident en milieu urbain semblent être un peu plus touchées par les violences politiques lors des dernières élections qui ont précédé l’enquête. En effet, la prévalence des violences politiques est de 6,8 % en milieu urbain contre 6,1 % en milieu rural. La même situation est observée, quel que soit le type de violence politique, avec 4,7 % des femmes en milieu urbain qui affirment avoir subi des pressions pour les pousser à s’abstenir de voter contre 4,4 % en milieu rural. Pour les intimidations au bureau de vote, les prévalences sont de 4,1 % en milieu urbain et 3,6 % en milieu rural.
Les auteurs de violences hors union
Les hommes sont majoritairement responsables des violences physiques (68,8 %) et sexuelles (99,1 %) envers les femmes. Ces données soulignent la prévalence alarmante des violences faites aux femmes au Sénégal et mettent en lumière la nécessité d'une action concertée pour lutter contre ce fléau.
L'enquête nationale de référence sur les violences faites aux femmes révèle, ainsi, des chiffres préoccupants concernant la prévalence des différentes formes de violence. Les résultats montrent que les violences physiques, psychologiques, sexuelles, économiques, numériques et politiques sont omniprésentes et touchent une grande partie de la population féminine.
Les enquêteurs soulignent qu’il est impératif que des mesures soient mises en place pour sensibiliser la population, protéger les victimes et traduire les auteurs en justice. La collaboration entre le gouvernement, les ONG et la société civile est jugée essentielle pour combattre ces violences et promouvoir l'égalité des sexes au Sénégal.
Ainsi, ils recommandent de mettre en place des campagnes de sensibilisation sur les droits des femmes et les conséquences des violences ; d’adapter et de renforcer les lois existantes pour mieux protéger les victimes et punir les auteurs de violences ; de créer des structures d'accueil et de soutien psychologique pour les femmes victimes de violences ; de former les forces de l'ordre à la gestion des cas de violences faites aux femmes. Ils comptent aussi continuer à mener des enquêtes régulières pour suivre l'évolution de la situation et adapter les politiques en conséquence.
CHEIKH THIAM