“En 2024, nous avons incinéré 18 000 t de produits impropres à la consommation”
Pendant que la polémique autour d'une hausse des prix fait rage, cette dernière semble reléguer au second plan un aspect non négligeable sur les produits de première consommation : le contrôle qualité. À ce propos, le chef de la Division de la consommation et de la sécurité des consommateurs, une structure de la Direction du commerce intérieur, Bakary Ndiaye, a bien voulu s’entretenir avec ‘’EnQuête’’ pour évoquer en profondeur leur cœur de métier.
En quoi consiste le cœur de métier de votre structure ?
Nous sommes une structure de la Direction du commerce intérieur qui a comme cœur de métier le contrôle des produits alimentaires. Pour ce faire, nous avons principalement, ici au niveau de la division, deux documents à délivrer. Le premier document porte sur l'autorisation de fabrication de produits alimentaires. Cette autorisation est délivrée pour toutes les productions, en tout cas pour tous les produits qui sont transformés au niveau national. Donc, avant que le produit n'entre sur le marché, il faut qu'il passe par la division. Une fois que tout cela est réglé, si le produit est apte à la consommation, c'est à partir de ce moment qu'on lui délivre un document que l'on appelle l'autorisation de fabrication de produits alimentaires, qui équivaut aussi à la mise à la vente du produit concerné. C'est au niveau national, c'est-à-dire la production et la transformation des produits alimentaires au niveau local.
Et si le produit provient hors de nos frontières ?
Quand le produit est importé, c'est-à-dire qu’il n'est pas fabriqué au niveau du Sénégal, il est emballé et importé. Dans ce cas-là, ce n'est plus l'autorisation de fabrication, plus connue sous le nom de FRA que nous délivrons, mais on délivre ce qu'on appelle une déclaration d'importation de produits ou plus connue sous le nom de Dipa, qui est l'abrégé de déclaration d'importation de produits alimentaires. Pour ce faire aussi, nous demandons à l'opérateur, d'abord, de présenter la facture du produit. La facture nous permet de savoir que le produit est de commercialisation légale du pays de provenance. Il est demandé aussi à l'opérateur de présenter au niveau de la division ce qu'on appelle un certificat d'origine. Le certificat d'origine a l'intérêt en matière de qualité. En fonction du pays d'origine, on peut déjà avoir une idée de la qualité du produit.
En d'autres termes, la provenance du produit est déjà une vraie mine d'informations ?
Je ne veux pas prononcer le pays, mais si on dit que ce produit provient d'un tel ou tel autre pays, déjà en termes de qualité, vous avez une idée, c'est-à-dire est-ce que le contrôle qualité dans ce pays est à un niveau acceptable, sinon vous devez déjà, à travers le certificat d'origine, vous faire une idée sur la qualité du produit, même si toujours cela n'est pas vérifié. Il y a aussi le certificat de qualité qu'on demande à l'opérateur avant que le produit n'entre sur le territoire national. Le certificat de qualité, c'est le fournisseur qui le délivre. C'est-à-dire qu'il prend le certificat de qualité dont je parle en premier au niveau de son pays, de son fournisseur extérieur. Donc, le produit est analysé dans le pays d'exportation. C'est-à-dire dans le pays d'origine.
De façon concrète, comment s'effectuer le contrôle sur le terrain, pour un contrôle qualité infaillible ?
On nous demande tout simplement de voir, avant que ce produit ne soit introduit sur le territoire national, pour prendre toutes les garanties pour que le produit soit de bonne qualité. Ainsi, si nous considérons que le fait d'aller consulter l'élevage pour un produit carné est une garantie supplémentaire pour nous, on le fait. Si nous considérons aussi que d'aller consulter la pêche pour des produits à l'aide d'une garantie supplémentaire, nous le faisons. C'est comme ça que ça marche.
Parlez-nous des produits finis, des échantillons soumis à votre appréciation.
En effet, l'élément central, c'est l'échantillon au niveau national et l'importation aussi. Il vous faut un échantillon ; tout tourne autour de l'échantillon. Tout ce que nous avons dit, c'est une description, une documentation. Mais ce qui est important dans tout ça, la finalité, c'est l'échantillon. L'échantillon, quand il est présenté, nous le prenons et on le retourne encore vers le laboratoire. Je vous ai dit tantôt aussi qu'avant le départ du produit dans son pays d'origine… Donc, pour prendre toutes les garanties, on amène le produit au niveau du laboratoire, on fait des analyses pour voir la conformité.
Par quels mécanismes les “hors-la-loi” sont-ils punis ?
Il existe deux types de sanctions. Une pénale et une autre administrative, cette dernière est souvent plus utilisée par les fauteurs, car elle implique le paiement d'une amende. Ce règlement pécuniaire varie selon l'infraction commise et la quantité de produits concernée. Mais il peut arriver que la voie pénale soit parfois la seule qui s'offre à nous. C'est quand, par exemple, il y a mort d'homme due à un produit donné. Et même là, il faut qu'au préalable que cela soit scientifique prouvé.
Au-delà des punitions et du contrôle qualité, votre travail c'est aussi l'épuration du marché. Vous nous en dites plus ?
Les produits impropres sont évidemment, par l'incinération, enlevés du marché. Le plus souvent, c'est un acte volontaire de l'entreprise qui sollicite nos services pour qu'on lui débarrasse des produits périmés. Dans 85 % des cas, c'est comme ça. Mais il arrive aussi qu'avec nos propres investigations et interventions qu'on éradique tout ce qui pourrait être impropre à la consommation. Rien qu'en 2014, nous avons incinéré 18 000 t de produits qui avaient un défaut de qualité. Mais c'est un processus qui nécessite le déploiement de beaucoup de moyens. Maintenant, si on avait à notre disposition un incinérateur, cela pourrait constituer un vrai ouf de soulagement.
Il peut arriver que certains se faufilent à travers vos mailles. Comment vous anticipez ou organisez la riposte dans ce cas ?
C'est de voir ceux qui échappent, qui n'ont pas de départ. C'est-à-dire déclaration d'importation du produit alors que le produit est importé. Si tel est le cas, il y a une brigade de surveillance qui est au niveau de la division et sur l'ensemble du territoire national. Tous les services régionaux et départementaux du commerce font ce travail. Aujourd'hui, vous n'osez pas, même si c'est un produit non transformé, le prendre, par exemple, du Mali pour le faire entrer au Sénégal sans avoir une déclaration d'importation.
“La loi 66 est bonne (...), mais elle est peut-être dépassée dans certains aspects”
Concernant les produits non transformés, voire naturels, quel est le procédé pour le contrôle qualité ?
Il y a beaucoup de produits aussi qui sont sur le marché qui sont des produits locaux non transformés. Pour les produits locaux non transformés, il y a une faille de la réglementation, parce que ce que je vous ai dit tout de suite sur la fabrication, j'ai dit que la fabrication ou la transformation, ces termes-là ont un sens. Cela veut dire que l'autorisation que nous remettons aux producteurs ne concerne pas les produits non transformés, les produits du prix. C'est-à-dire un paysan qui quitte son centre et qui vend, qui amène ses sacs d'arachides au niveau du marché ou bien le paysan qui quitte son champ et amènent son mil.
D'un point de vue légal, quelles sont les attentes, y aurait-il des réformes susceptibles de vous aider dans vos tâches quotidiennes ?
La base de travail, la loi sur laquelle nous travaillons, c'est la loi de 66. C’est une loi qui est en cours de révision, parce qu'elle a vécu dans le temps et elle a fait aussi ses preuves, mais elle peut être dépassée dans certains aspects.
Peut-être que la révision qui est en cours peut prendre en charge cette question des produits qui ne sont pas transformés avant leur entrée sur le marché. Parce que ces produits-là, il faut le reconnaître, il y a des questions de récidive, de pesticides, il peut y avoir des problèmes de métaux lourds, des problèmes d'aflatoxine en ce qui concerne l’arachide. Il y a tous ces aspects qui, à mon avis, devraient pouvoir être étudiés avant que ces produits ne soient mis sur le marché.
Est-ce que nous avons, au Sénégal, des laboratoires capables de suivre ce rythme de transformation des produits alimentaires ?
Vous savez, les produits alimentaires, c'est comme le voleur et le propriétaire. Le voleur, il est en train de penser ce qu'il va vous prendre. Alors que vous, vous ne pouvez pas anticiper tout ce qu'il pense. Il n'y a pas de risque zéro dans la vie. C'est vrai, il y a des difficultés, il faut le reconnaître. Malgré tout, les services sont en train de faire avec le peu de moyens qu'ils ont à leur disposition. Maintenant, ces moyens-là, on a besoin que ce soit augmenté constamment, au niveau des laboratoires avec l'aspect technique de la formation du personnel. Il faut aussi que le matériel high-tech soit à niveau pour analyser certains paramètres.
L'autre souci, qui n'est pas propre à notre structure, c'est la centralisation. Le Laboratoire national d’analyses et de contrôle (Lanac), s'il pouvait bénéficier d'antennes un peu partout, selon la zone géographique, pas mal de problèmes pourraient être réglés. Car en même temps pour pallier la forte demande de tests sur les produits, on est obligé de recourir à des laboratoires privés. La solution est peut-être dans la déconcentration.
MAMADOU DIOP