Publié le 20 Jan 2025 - 15:46
LUTTE CONTRE L’INSÉCURITÉ ET LE TERRORISME (SÉNÉGAL, TOGO, CÔTE D’IVOIRE ET NIGER)

Les limites de la coopération sécuritaire classique

 

‘’Les coopérations sécuritaires et de développement à l’épreuve des perceptions locales en Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal et Togo’’. C’est le thème d’une étude effectuée par le Timbuktu Institute de Dr Bakary Sambe. ‘’EnQuête’’ revient sur les points saillants de cette étude pour le Sénégal.

 

Le rapport intitulé ‘’Les coopérations sécuritaires et de développement à l’épreuve des perceptions locales en Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal et Togo’’, élaboré par le Timbuktu Institute de Dr Bakary Sambe, a été réalisé à partir de données quantitatives et qualitatives collectées entre le 23 mai et le 24 juin 2023. Après l’épisode de Barkhane au Mali et l’exigence du départ précipité des forces françaises puis américaines du Niger, à la suite du coup d’État du 26 juillet 2023, le débat sur les coopérations sécuritaires a été remis à l’ordre du jour. Car, au-delà des aléas de la géopolitique et des accords entre États, les perceptions de ces coopérations par les populations locales ont influencé leur évolution dans un contexte sahélien où les sociétés civiles se sont approprié le débat sécuritaire, qui n’est plus l’apanage des élites politiques, encore moins des gouvernants.

La question du démantèlement des bases militaires françaises dans des pays comme le Tchad, la Côte d’Ivoire et le Sénégal n’est que l’aboutissement d’un long processus enclenché depuis quelques décennies, bien qu’il faille lier cette situation à un contexte de montée globale et inédite des souverainismes qui n’a pas épargné l’Afrique.

Considérée comme une relique de la colonisation, la présence militaire française a, depuis plus de trente ans, fait l’objet de débats et de controverses nourris, en grande partie, par les incohérences de la politique africaine de la France, finalement schématisée par l’expression ‘’Françafrique’’.

Le tournant de la lutte contre le terrorisme au Sahel

Cependant, ce processus a connu différents tournants pendant la dernière décennie, particulièrement marquée par la lutte contre le terrorisme au Sahel. ‘’La recrudescence du phénomène terroriste a poussé les États de la région à développer la coopération militaire avec la France et d’autres puissances comme réponse immédiate face au péril sécuritaire. Après l’opération Serval, qui avait symbolisé un certain succès temporaire de ce type de coopération, la mise en place de l’opération Barkhane a inauguré une nouvelle ère de pérennisation d’une présence contenant en elle-même les germes de sa propre contestation’’, souligne rapport.

La coopération militaire, selon Timbuktu Institute, a été l’une des premières solutions conçues et développées pour repousser l’assaut des groupes terroristes, que ce soit en Afghanistan ou au Sahel. Dans cette dernière région, l’opération Serval, au début de la crise malienne, s’inscrit dans le contexte d’une coopération militaire en situation d’urgence qui a finalement été inscrite dans la durée. Cependant, au rythme des attaques et de la propagation des zones de conflit, ce qui semblait être une solution temporaire s’est inscrit dans la durée sans qu’une communication adéquate accompagne les actions et les initiatives. Il s’est alors installé un sentiment d’incompréhension pouvant aller jusqu’au rejet par les populations locales, tout en posant d’importants problèmes politiques internes aux États censés être soutenus et renforcés.

Ainsi, la lutte contre le terrorisme, qui avait créé une convergence de vues entre États sahéliens et partenaires internationaux, a finalement contribué à diviser et à faire ressurgir de vieux démons tels que la suspicion d’un ‘’impérialisme’’ occidental et une vision encore plus négative des interventions militaires extérieures, renseigne le Timbuktu Institute.

Ce phénomène d’une appréciation négative des coopérations sécuritaires s’est amplifié avec l’effet des réseaux sociaux et, pour certains, des campagnes de désinformation, alimentant l’incompréhension et parfois le rejet de l’action des puissances occidentales, notamment de la France dans la région sahélienne.

‘’À partir de 2015, note le rapport, un véritable débat a commencé à se poser au sein de la classe politique, de l’intelligentsia et des sociétés civiles africaines, nourri par les contradictions et incohérences de tous bords. D’un côté, jusqu’aux derniers ajustements paradigmatiques vers un nexus sécurité-développement avec la mise en place d’initiatives comme l’Alliance Sahel, les puissances occidentales étaient perçues comme principalement focalisées sur l’option du tout militaire. De l’autre, cette stratégie peine encore aujourd’hui à venir à bout du terrorisme alors que la menace sécuritaire persiste’’.

Ainsi, dans le cadre des stratégies de mitigation à dominante sécuritaire, l’idée d’agir aussi sur le développement et d’accentuer la coopération pour une approche holistique de l’insécurité, due également à des problèmes de développement, a été de plus en plus défendue.

Quel type de coopération pour le Sénégal ?

Dans le document, les exemples de coopération les plus cités se résument à la ‘’dotation en matériels militaires’’, ‘’accords de défense’’, ‘’appui à la lutte contre le terrorisme’’, ‘’coopération maritime’’, ‘’formation maritime’’, ‘’appui logistique’’, ‘’renseignement’’, etc.

À titre d’illustration, le Sénégal a inauguré, le 3 août 2023, le navire ‘’Le Walo’’ qu’il a acquis à son partenaire traditionnel qu’est la France, acquisition qui peut être classée dans le sillage de la coopération sécuritaire.

Toujours au Sénégal, les acteurs de la société civile invitent principalement à une collaboration dans différents domaines afin de mieux sécuriser les frontières.

Toutefois, malgré l’expression des besoins d’extension des domaines de la coopération sécuritaire, celle-ci ne semble visiblement pas très présente dans le débat public. Dans le pays, les acteurs sont quasi unanimes à ce sujet. Que ce soit à Dakar ou dans les régions, les avis restent les mêmes.

Plusieurs raisons expliqueraient l’absence de la question dans les forums publics. ‘’Tout d’abord, la sensibilité de la question sécuritaire peut expliquer le caractère confidentiel de certaines questions, et donc le peu de communication qui existe à ce sujet. Ensuite, la technicité de la question peut expliquer le peu de crédit qu’on lui accorde dans les débats. De ce fait, les discussions sur la sécurité peuvent être perçues comme relevant plus de la sphère des experts et des spécialistes. En revanche, les débats publics sont souvent dominés par des questions politiques, économiques et sociales, etc. Enfin, le fait d’être dans un pays relativement sécurisé est de nature à corroborer cette absence’’, soulignent les rédacteurs.

Toujours au Sénégal, les entretiens réalisés montrent deux tendances qui se dégagent quant à l’appréciation même de la présence militaire. Pour certains, cette présence militaire s’inscrit dans le cadre de la coopération internationale entre les pays. Conscients qu’aucun pays au monde ne peut vivre, stricto sensu, en autarcie, il semble naturel, selon certains, de nouer des coopérations, même du point de vue militaire. Cette coopération, selon eux, peut ainsi être bénéfique dans le sens de la prévention de certaines crises.

D’autres voient dans la présence militaire une sorte d’ingérence dans les affaires internes d’un État souverain, surtout lorsqu’elle tend à être permanente. Une présence permanente générerait une immixtion dans les affaires internes de l’État et remettrait en cause le principe de souveraineté des États.

Concernant la présence des militaires de partenaires étrangers, pour le cas du Sénégal, même si les acteurs soulignent majoritairement des avantages, il est toutefois relevé le manque de communication sur les questions militaires et sécuritaires, ce qui rend difficile la compréhension de la question. D’autres ajoutent qu’il s’agit d’un simple prétexte permettant d’exploiter les ressources naturelles ou de tirer des avantages économiques.

Les personnes sondées au Sénégal et au Togo s’opposent principalement à la présence militaire française, tout en restant fidèles à leurs partenaires traditionnels que sont les États-Unis (32 %) et la France (14 %).

Gare à la montée de la désinformation !

‘’Il ressort, donc, de l’analyse des perceptions locales de la coopération sur le plan sécuritaire qu’il souffle depuis plus d’une décennie un vent de contestation de la coopération sécuritaire classique, se manifestant par des présences militaires de moins en moins acceptées. Le rejet marqué de la politique des partenaires occidentaux et la fascination pour le leadership de puissances comme la Russie, qui se positionnent de plus en plus au Sahel et en Afrique de manière générale, doivent pousser les partenaires ‘’classiques’’ à revoir leurs stratégies de communication’’, souligne le Timbuktu Institute.

Dans le même temps, ajoute-t-il, on assiste à une montée de la désinformation parasitant des réseaux sociaux devenus le principal canal par lequel les enquêtés disent s’informer.

Ainsi, la désinformation se présente comme un facteur aggravant du déficit de communication, entérinant la thèse d’une présence militaire aux relents d’une ‘’surveillance’’ et d’un retour ‘’impérialiste’’ par la fenêtre du sécuritaire afin de mieux ‘’piller les ressources’’ ou encore ‘’espionner les pays africains sous tutelle occidentale’’.

‘’Tous ces facteurs, combinés aux frustrations socioéconomiques et aux inégalités persistantes, ne sont pas de nature à améliorer la nature des rapports entre pays ‘’bénéficiaires’’ et partenaires extérieurs.

Toutefois, un certain nombre de doléances émanant des acteurs de la société civile – qui se sont approprié le débat sécuritaire – sont formulées, notamment une communication sur les contours de la coopération sécuritaire, mais aussi l’affirmation d’un besoin de souveraineté et de rupture paradigmatique, surtout dans les rapports avec l’Europe et les anciennes puissances coloniales’’, indique l’institut.

Difficultés dans la collecte de l’information

Toutefois, prévient le Timbuktu Institute, ‘’la présente étude est une initiative pilote qui n’a pu couvrir ni tous les pays ni toutes les catégories d’acteurs pertinents. Cette limite s’explique par la difficulté de mobiliser toutes les capacités et ressources nécessaires, en plus du contexte politico-sécuritaire qui a fait que, par exemple, les chercheurs au Burkina Faso n’ont pas pu dérouler le questionnaire et effectuer les entretiens qualitatifs. Pour l’analyse des perceptions sur les coopérations au développement, il subsiste également la difficulté matérielle de cibler des personnes disposant de capacités suffisantes pour s’exprimer sur leur pertinence’’.

Ainsi, pour les cibles, note-t-on, une catégorie bien spécifique de personnes a été interrogée afin de créer un maillage des acteurs pertinents capables de contribuer activement à la collecte d’informations : acteurs politiques (pouvoir et opposition), société civile (ONG spécialisées, associations de jeunes, mouvements de femmes), médias (journalistes, animateurs radio communautaires), activistes, leaders religieux et coutumiers (imams, guides religieux, chefs coutumiers, influenceurs et autres catégories d’acteurs).

‘’Plusieurs interprétations seraient possibles. Soit les populations des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal et Togo) pensent être relativement épargnées par l’insécurité, ce qui expliquerait le peu de crédit accordé à la coopération sécuritaire et à ses dispositifs moins visibles dans leur pays, soit les populations nigériennes, qui subissent de plein fouet l’extrémisme violent depuis longtemps, sont plus disposées à prendre conscience de l’importance de la coopération sur le plan sécuritaire’’, avancent les rédacteurs.

CHEIKH THIAM

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