Les ICS se mettent à nu
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Objet de toutes les critiques pour ses impacts environnementaux négatifs sur les populations de Mboro et environ, titillées par le gouvernement qui ne cesse de brandir des menaces de renégociation de certains de ses avantages, les Industries chimiques du Sénégal (ICS) jouent la transparence et publient leurs états financiers.
Le fait est rare pour être souligné. Dans un rapport présenté hier à la presse, les ICS sont largement revenues sur leurs activités depuis la reprise de l'entreprise par le géant indonésien Indorama, en 2014. Cette dernière a largement contribué à tirer la société du gouffre dans lequel elle se trouvait depuis plusieurs années.
Selon le rapport, les investissements réalisés par le groupe Indorama dans la maintenance des équipements et des installations sont chiffrés à 427 milliards F CFA (Capex et Opex), entre 2014 et 2024. “Ces investissements ont permis aux ICS de faire des progrès significatifs en termes de ventes annuelles avec une augmentation de 28 % en moyenne entre 2015 et 2023, atteignant un niveau record en 2022, avec 566,6 milliards F CFA de ventes, une valeur ajoutée (VA) de 271,1 milliards et un bénéfice de 230,1 milliards F CFA”, indique la source, qui note toutefois que c'était une année exceptionnelle marquée par la flambée des prix mondiaux.
Il n'empêche, depuis sa reprise par Indorama, la situation de l'entreprise s'est nettement améliorée, avec des chiffres d'affaires constants au cours des dernières années. L'entreprise a réalisé, en 2021 et en 2023, des chiffres d'affaires respectifs de 344,5 et 347,5 milliards F CFA.
Ces dix dernières années, la compagnie a considérablement renforcé ses capacités de production, pour notamment soutenir des secteurs clés de l'économie comme l'agriculture. “Entre 2015 et 2023, les ICS ont augmenté progressivement l’approvisionnement en engrais au gouvernement. En 2023, 45 % de la production annuelle des ICS (154 102 t d’engrais) était destinée au gouvernement du Sénégal”, informe le rapport, qui cite parmi les autres clients de l'entreprise d'autres pays de la sous-région comme le Mali et la Gambie, entre autres. À ce titre, elle joue un rôle crucial dans le secteur agricole sénégalais avec une production d'engrais “qui permet désormais de répondre aux besoins du marché local, tout en contribuant à l'équilibre de la balance commerciale du pays avec une augmentation considérable des exportations”.
Dans le même temps, la production est passée d’une moyenne annuelle de 267 092 t entre 2006 et 2014 à une moyenne annuelle d’environ 500 000 t, entre 2015 et 2023. “La stratégie adoptée a ainsi permis de mettre fin à plusieurs années de déclin et de relancer les ICS qui ont retrouvé leur capacité de production d’acide phosphorique permettant de répondre aux besoins du marché local et de la sous-région”, souligne le document. Grâce aux investissements qui ont été réalisés, l'entreprise, qui était au bord du gouffre en 2014, a été ressuscitée et est devenue une des sociétés les plus importantes de la sous-région.
À en croire son directeur général, l'entreprise “est désormais le plus grand producteur d’engrais NPK et d’acide phosphorique en Afrique de l’Ouest. Elle dispose d’installations logistiques intégrées, nécessaires à l’activité, notamment l’accès à une ligne de chemin de fer, une flotte de locomotives et de wagons ainsi qu’un terminal au Port autonome de Dakar”, soutient le DG, non sans préciser que “la Société d’exploitation ferroviaire des Industries chimiques du Sénégal (SEFICS) est la composante ferroviaire des ICS qui assure le transport des ressources nécessaires à la production et des produits transformés”.
Tout en contribuant à l'approvisionnement du marché intérieur, il a aussi été noté un impact très positif sur les exportations. Les exportations des ICS, dominées par l'acide phosphorique, s'élevaient à 537,2 milliards F CFA, correspondant à 39,3 % des exportations totales du secteur minier sénégalais en 2022. “Le marché indien est le principal destinataire (99,4 % de la production) à l’export de l’acide phosphorique produit par les ICS, en raison des accords entre les deux pays et les caractéristiques techniques du produit”, indique le rapport.
Il a été rappelé, à ce propos, que l'Inde a, pendant longtemps, été un des partenaires stratégiques, en sus d'avoir été actionnaire avant de se retirer à la suite de la première recapitalisation de 2008.
Actuellement, c'est l'entreprise indonésienne Indorama qui détient 78 % de l'actionnariat contre 15 % pour l'État du Sénégal. Cela s'explique par le fait que lors de la recapitalisation de 2008, aucun parmi les États actionnaires n'a voulu mettre de l'argent. IFFCO, le partenaire indien qui était là, avait alors racheté la part de certains actionnaires, avant de les céder à l'entreprise indonésienne en 2014. IFFCO et le gouvernement indien avec respectivement 6,78 % et 0,22 % des actions. Il convient aussi de noter que la bonne santé financière a largement contribué à éponger la dette. “Ce qui permet aujourd'hui de bénéficier de la confiance des investisseurs avec un niveau de dette de 51,9 milliards F CFA en 2022 (contre environ 271 milliards F CFA au moment du rachat par Indorama en 2014)”.
La valeur nette qui traduit la santé financière s'est aussi beaucoup améliorée, grâce aux efforts déployés. “Comparées aux principales entreprises sénégalaises, les ICS se classent au deuxième rang en termes de patrimoine net, avec 528,5 milliards F CFA, derrière la Senelec (699,5 milliards F CFA)”, indique la source.
Retraçant le patrimoine de l'entreprise, le rapport indique le site de Taïba, où se fait l'exploitation de phosphates, avec une capacité de production de deux millions de tonnes par an. Il y a ensuite le site industriel de Darou où s'opère la production d'acide phosphorique. “Dans ce processus, de la roche phosphatée est mélangée à de l'acide sulfurique pour produire une boue qui est filtrée pour obtenir un acide faible à 28 % de P2O5. Cet acide est ensuite concentré pour produire de l'acide phosphorique de qualité marchande à 52 % de P2O5. Une partie de l'acide phosphorique est exportée, tandis que l'autre partie est utilisée au Sénégal pour fabriquer des engrais comme le DAP (di-ammoniaque phosphate), le NPK (N pour azote, P pour phosphore et K pour potasse) et le MAP (mono ammoniaque phosphate)”, explique le DG qui relève que la capacité de production de cette unité est de 600 000 t par an. Enfin, il y a le site industriel de Mbao où l’on produit l'engrais pour une capacité de près de 200 000 t.
Vers la renégociation des nombreux cadeaux fiscaux
Malgré sa belle performance et ses indicateurs reluisants, il convient de noter que la contribution aux recettes de l'État reste assez modeste, pour ne pas dire faible, à cause des nombreuses exonérations dont bénéficie la société.
Il ressort des données de l'ITIE pour l'année 2022 que la contribution des ICS aux recettes budgétaires de l'État s’élève à 6,4 milliards F CFA, sur un total de 236,4 milliards F CFA versés par l’ensemble des sociétés minières. “Cette contribution de 6,4 milliards F CFA est constituée essentiellement d’impôts et taxes pour un montant total de 4,1 milliards F CFA en 2022, d’une redevance minière de 1,3 milliard F CFA et de 967 millions F CFA de cotisations sociales”.
Pour donner une idée des nombreuses exonérations dont bénéficient les ICS, il faut retenir que sur les 59 lignes de paiement recensées dans les données ITIE, les ICS ne sont ‘’concernées’’ que par cinq lignes, à savoir : redevances minières, taxe sur la valeur ajoutée reversée, retenue à la source sur les salaires (IR, TRIMF et CFCE), retenue à la source sur les sommes versées à des tiers et cotisations sociales (pénalités comprises).
D'ailleurs, dans son intervention, l'administrateur représentant de l'État au niveau du Conseil d'administration n'a pas manqué de relever les efforts fournis par l'État pendant toutes ces années pour permettre à l'entreprise de réaliser ces performances. “Si les ICS ont pu réaliser ces performances, nous le devons à l'engagement des partenaires que je tiens vraiment à féliciter. Mais c'est aussi parce que l'État a fait beaucoup d'efforts. Je voudrais d'ailleurs titiller un peu le président.... (représentant du l'actionnaire majoritaire Indorama) qu'il est possible que l'État envisage de renégocier certains termes. Ce sera sans compromettre les performances de l'entreprise”, a-t-il rapporté non sans plaider la cause des communautés.
Présentes à la cérémonie de restitution, les populations ont surtout salué les actions des ICS, mais ont réclamé l'érection d'un lycée technique à Darou Khoudoss.
MOR AMAR