Plaidoyer pour des télécommunications respectueuses de l’environnement en Afrique de l’ouest

Alors que l’Afrique de l’Ouest entame une décennie décisive pour son développement numérique, l’expansion des infrastructures de télécommunications devient l’un des signes les plus visibles – et les plus transformateurs – du progrès dans la région. Les réseaux mobiles atteignent désormais des zones auparavant non connectées. Les dorsales en fibre optique permettent le trafic de données transfrontalier. Les start-ups, les gouvernements et les citoyens adoptent rapidement des services mobiles dans des secteurs allant de la finance à l’éducation.
Cette connectivité est essentielle au développement de la région. Mais elle n’est pas sans conséquences. Le secteur des télécommunications – souvent perçu uniquement comme moteur de croissance – a également une empreinte environnementale croissante. Dans toute la région, les stations de base hors réseau sont encore largement alimentées par des générateurs diesel. Le refroidissement des centres de données consomme d’énormes quantités d’énergie. Et à mesure que les équipements réseau sont mis à niveau, les appareils mis au rebut viennent s’ajouter aux déchets électroniques déjà nombreux dans la région.
Nous devons poser une question essentielle : en connectant l’Afrique de l’Ouest à l’économie numérique, pouvons-nous également protéger l’environnement qui la soutient ?
La réponse réside dans un changement des politiques et des réglementations vers des télécommunications vertes – le développement et l’exploitation des infrastructures numériques de manière à minimiser leur impact environnemental. Pour l’Afrique de l’Ouest, il ne s’agit pas seulement d’une obligation climatique, mais aussi d’une opportunité économique stratégique.
L’expansion des télécoms face au défi climatique
La croissance du secteur des télécoms dans la région est rapide et bienvenue. Selon des estimations récentes, les abonnements mobiles dans les pays de la CEDEAO ont dépassé les 240 millions, avec une pénétration du haut débit en hausse constante. Mais cette expansion n’est pas encore accompagnée d’une attention suffisante à la durabilité environnementale.
Les sites télécoms hors réseau dépendent encore fortement des énergies fossiles. Les déchets électroniques issus des mises à niveau du réseau sont souvent mal gérés. Et les rapports de durabilité des opérateurs restent incohérents selon les marchés. Sans intervention, les émissions et les déchets générés par le secteur pourraient compromettre les objectifs climatiques nationaux et régionaux – notamment ceux de l’Accord de Paris et de l’agenda de transition énergétique de la CEDEAO.
Six priorités pour des réseaux plus verts
À l’Assemblée des Régulateurs des Télécommunications de l’Afrique de l’Ouest (ARTAO), nous pensons que le moment est venu d’agir à l’échelle régionale. Nous avons identifié six axes politiques clés pour guider la transition vers des réseaux de télécommunications plus durables :
- Aligner la politique télécom sur les objectifs climatiques
Les régulateurs doivent intégrer des critères environnementaux dans les cadres de développement numérique. Cela implique d’inscrire les stratégies télécoms nationales et régionales dans les objectifs énergétiques et d’émissions plus larges. - Encourager l’efficacité énergétique des infrastructures
Les opérateurs doivent être incités à adopter des stations de base à faible consommation, des technologies de refroidissement intelligentes et des équipements de nouvelle génération. Les régulateurs peuvent favoriser cette adoption par des préférences en matière de licences ou des procédures d’approbation simplifiées. - Généraliser les énergies renouvelables pour les sites hors réseau
Dans les zones rurales à accès limité au réseau électrique, la dépendance au diesel reste élevée. Les sites télécoms alimentés par l’énergie solaire ou hybride doivent devenir la norme. Les partenariats public-privé et l’accès aux financements verts seront essentiels pour mettre à l’échelle ces solutions. - Établir un cadre régional pour les déchets électroniques
Peu de pays ouest-africains disposent de politiques complètes sur les déchets liés aux télécoms. L’ARTAO œuvre à la promotion d’une approche régionale harmonisée incluant des obligations de collecte, des normes de recyclage sûres et la responsabilité élargie des producteurs. - Harmoniser les normes réglementaires transfrontalières
Pour les opérateurs présents sur plusieurs marchés, l’incohérence des réglementations environnementales complique les opérations et accroît les coûts. Développer des normes communes pour les licences vertes, les rapports de durabilité et les seuils d’émissions favorisera la conformité et la confiance des investisseurs. - Améliorer la transparence et les données environnementales
Des données crédibles sont indispensables. Des évaluations d’impact environnemental devraient être obligatoires pour les projets d’envergure, et les opérateurs tenus de publier chaque année des rapports sur leur consommation énergétique, leurs émissions et l’adoption de technologies vertes. L’ARTAO développe un modèle régional standardisé de rapport pour faciliter cela.
La durabilité est une bonne affaire
La transition vers des télécoms plus durables ne relève pas seulement de la responsabilité sociétale des entreprises – elle est économiquement rationnelle. Les réseaux économes en énergie réduisent les coûts d’exploitation à long terme. Les stations alimentées par des sources propres sont moins exposées à la volatilité des prix du carburant. Et les entreprises ayant de solides références en matière de durabilité attirent davantage les investisseurs axés sur les critères ESG.
De plus, les services rendus possibles par les télécoms contribuent déjà à réduire les émissions dans d’autres secteurs. Par exemple, les solutions logistiques intelligentes, basées sur des plateformes mobiles, permettent aux entreprises ouest-africaines d’optimiser leurs itinéraires de livraison et de réduire leur consommation de carburant. L’enseignement à distance et les services d’e-gouvernement réduisent les besoins de déplacement, atténuant ainsi la pression sur les transports urbains et les émissions associées.
Dans ce contexte, les télécoms ne sont pas seulement un secteur à décarboner – ils sont aussi un moteur de croissance verte au sens large.
Une opportunité continentale
Le développement numérique de l’Afrique de l’Ouest peut permettre de sauter l’étape des systèmes non durables. Nous avons l’opportunité de concevoir et construire des infrastructures résilientes et vertes dès le départ, plutôt que de devoir les adapter plus tard à un coût plus élevé.
L’ARTAO, en tant que plateforme de coordination entre les 16 régulateurs nationaux, joue un rôle clé dans cette transition. Nous œuvrons à l’harmonisation des cadres réglementaires, à la diffusion des connaissances et à la construction d’un consensus autour de normes vertes.
Le moment d’agir
À l’heure où je termine mon mandat de Président de l’ARTAO, je reste optimiste – mais lucide. L’urgence est réelle. Le secteur des télécoms en Afrique de l’Ouest doit rester un moteur de développement – tout en devenant un modèle de planification d’infrastructures consciente du climat.
Nous devons agir dès maintenant pour verdir les réseaux que nous construisons – afin d’aligner notre ambition numérique sur nos responsabilités environnementales. Si nous réussissons, l’Afrique de l’Ouest ne se contentera pas de connecter plus de personnes aux opportunités – elle les connectera aussi à un avenir plus sûr, plus équitable et plus durable.
Par Amara Bremah
Président de l’Assemblée des Régulateurs des Télécommunications de l’Afrique de l’Ouest (ARTAO)
Directeur Général de la Commission Nationale des Télécommunications (NatCA), Sierra Leone