Publié le 10 Oct 2022 - 15:48
AMNISTIE, MIMI TOURÉ, 3E MANDAT, AFFAIRE SONKO-ADJI SARR

Ismaïla Madior Fall lance ses “avertissements”

 

Le ministre de la Justice s’est prononcé sur les nombreux dossiers judiciaires auxquels il fait face depuis son retour dans le gouvernement.  

 

Lorsqu’on écrit un bouquin intitulé ‘’Le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique’’ et qu’on est nommé ministre de la Justice par un président de la République qui vient de perdre sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, c’est qu’on a la tête de l’emploi. Aussi, lorsqu’Ismaïla Madior Fall se définit encore comme ‘’un missionnaire de la vie’’, qui ‘’(s)’acquitte des tâches qu’on (lui) confie’’, il réaffirme son importance dans la gouvernance d’un régime qui n’a plus une grande marge de manœuvre.

Hier, sur les ondes d’Iradio, le Garde des sceaux n’a pas évité les dossiers chauds qui, selon beaucoup, sont à l’origine de son retour à la tête de l’administration judiciaire. Le plus actuel est la loi d’amnistie demandée par le président de la République pour le rétablissement des droits faveur des personnes l’ayant perdu.

Deux des possibles importants bénéficiaires de cette loi se sont prononcés sur la question. Si le fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade, Karim Wade, l’a déjà rejetée, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, s’est montré indifférent à cette éventualité. Mais, le ministre de la Justice a surtout répondu au premier nommé. Comme pour l’avertir des conséquences d’une révision de son procès qu’il a demandé, Ismaïla Madior Fall insiste sur le fait qu’une révision du procès peut aussi aggraver la situation.

‘’Je n’ai pas à ma disposition des éléments qui permettent d’envisager une révision’’

‘’On peut aller dans le sens de la révision d’un procès et que la condamnation soit beaucoup plus sévère. Et qu’il y est des éléments nouveaux qui renforcent les incriminations et qui peuvent faire en sorte que la personne soit à nouveau condamnée. Donc, la révision ne garantit rien. C’est un autre procès qui s’ouvre et c’est aléatoire’’.

Le Garde des sceaux va plus loin et rappelle que, sur le fond du procès du fils de l’ancien président de la République, ‘’le délit d’enrichissement illicite a été confirmé par toutes les juridictions. C’est des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée qu’aucun organisme, fut-il international, ne pourrait enlever. Ça, c’est évident et au moment où nous parlons, il n’y a pas d’éléments objectifs qui permettent d’envisager une révision du procès’’.

Et sur cette possibilité, le professeur de Droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar fait savoir qu’il faut des circonstances exceptionnelles qui justifient la révision d’un procès au Sénégal. Il s’agit, selon le ministre de la Justice, ‘’des éléments nouveaux qui montrent qu’il y a eu des erreurs dans le premier procès. Deuxièmement, c’est à l’initiative du Garde des sceaux, de la partie intéressée ou des ayant droits. Objectivement, je n’ai pas à ma disposition des éléments qui permettent d’envisager une révision.’’

‘’L’amnistie permet l’apaisement social’’

Condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), en mars 2015, à une peine de six ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de francs CFA, Karim Wade continue de clamer son innocence et a menacé de démissionner du Parti démocratique sénégalais (PDS), si ces derniers votent la loi d’amnistie proposée par le chef de l’Etat, Macky Sall.

Concernant l’indifférence de l’ancien maire de Dakar, le ministre de la justice souligne qu’avant Khalifa Sall, toutes les personnes qui ont bénéficié d’une loi d’amnistie n’ont pas été demandeurs. Le ‘’missionnaire’’ insiste surtout sur le caractère impersonnel de cette loi : ‘’l’amnistie permet l’apaisement social. Elle a aussi un objectif de réconciliation ou de tourner la page. Dans l’amnistie on oublie, on efface toutes les condamnations ainsi que les infractions. (…) Je n’ai jamais vu dans l’histoire du Sénégal quelqu’un demander une amnistie. Pourtant, il y a plusieurs lois d’amnistie. Mamadou Dia et les autres n’ont jamais été demandeurs.’’

Mises en garde contre Mimi Touré

Le Garde des sceaux a, également, saisi l’occasion pour mettre en garde la tête de liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar, lors de la campagne électorale des élections législatives du 31 juillet 2022. Aminata Touré a démissionné du groupe parlementaire de la mouvance présidentielle, après avoir été écartée de la présidence de l’Assemblée nationale, poste qui lui était promise. Une liberté qui pourrait la sortir de l’hémicycle, selon Ismaïla Madior Fall. Surtout, si l’intéressée se dresse contre son ancien camps politique, le ministre de la Justice assure qu’elle pourrait tout simplement perdre son mandat de député

‘’Si Mme Aminata Touré se considère comme non inscrite et qu’elle décide par son comportement, par son attitude, par son discours et par son vote de se dresser contre la majorité, elle ne fait plus partie de la majorité. Autrement dit, si elle cumule un comportement par le discours, par l’attitude, par le positionnement, par le vote, comme quelqu’un qui ne fait pas partie de la majorité, elle sera démise de son mandat de député. La Constitution est claire. Tout député qui démissionne de son parti sera automatiquement déchu de son mandat. Maintenant, ce n’est pas seulement l’acte formel de démissionner, mais, on peut à partir de son comportement, de son attitude, de son discours montrer qu’on a démissionné. Moi, je considère qu’elle est de bonne foi et qu’elle est toujours de la majorité, même si, elle est non inscrite ».

Celle qui était à la place d’Ismaïla Madior Fall, lorsque Karim Wade a été jugé pour enrichissement illicite a déjà annoncé qu’elle votera contre le projet de loi d’amnistie, s’il atterrit à l’Assemblée nationale. Ce qui ne semble pas réellement inquiéter le Garde des sceaux selon qui, ‘’il y a beaucoup de députés de l’opposition qui approuvent cette loi d’amnistie ou de modification du code électoral pour permettre à des personnes d’obtenir leur droit. Je crois qu’on peut facilement obtenir ce qu’on appelle une majorité d’idées autour de ce projet de loi d’amnistie’’.

‘’Je ne suis pas en mission commandée pour un 3e mandat’’

Rédacteur des modifications sur la Constitution de 2016, le ministre de la Justice a retrouvé son poste, à moins de deux ans d’une élection présidentielle pour laquelle la participation du président sortant fait débat. En effet, après avoir fait deux mandats et modifié la loi fondamentale au cours du premier, sa légitimité pour une troisième candidature divise beaucoup de Sénégalais. Et sur la question, l’éminent constitutionnaliste défend sa position.

En effet, dit-il : ‘’Je ne suis pas venu pour une question de 3e mandat. Parce que la constitution est déjà écrite et on ne va pas la réécrire. Et même si on voulait la réécrire pour faire un 3e mandat, on n’a pas de majorité qualifiée à l’Assemblée nationale pour faire passer le texte. Donc, ça n’a aucun sens qu’on vient dire qu’il est revenu pour la question du 3e mandat. Je ne suis pas non plus une instance habilitée à me prononcer sur le 3e mandat. Je ne suis pas en mission commandée pour un 3e mandat. Non pas du tout.’’

En revanche, Ismaïla Madior Fall reconnaît qu’il est là pour certains points précis. ‘’Aujourd’hui, il y a des questions qui se posent au niveau de la justice et le Président veut qu’on les prenne en charge’’, assure-t-il. Parmi elles, l’affaire Adji Sarr/ Ousmane Sonko qui a provoqué les violentes émeutes de mars 2021. Alors qu’une audition sur le fond de l’opposant, accusé de viol par une jeune masseuse, est évoqué pour les prochains jours, le ministre de la Justice réaffirme que, dans cette affaire, ‘’seuls les juges et les avocats qui sont habilités à se prononcer’’.

En revanche, ajoute-t-il, en tant que ministre de la Justice, ‘’je veille pour une bonne administration de la justice et que les droits des accusés dans ces affaires soient respectés’’.

Lamine Diouf 

 

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