Publié le 4 Mar 2015 - 14:53
AMSATOU SOW SIDIBE, CONSEILLERE DU PRESIDENT MACKY SALL

‘’Ce n’est pas en passant des journées entières à s’invectiver qu’on va réaliser l’émergence’’

 

Conseillère du président de la République, présidente du mouvement politique Caar Leneen et surtout enseignante à la faculté de droit de l’UCAD, Amsatou Sow Sidibé a sorti un ouvrage sur le droit. Un prétexte pour recueillir son avis sur la situation politique du pays. La présidente du réseau Dialogue, sécurité et paix en Afrique avait proposé ses services pour le dialogue entre Wade et Macky, mais apparemment, elle n’est entendue par aucun camp. A propos de la situation universitaire, elle demande au gouvernement de trouver une loi avec un minimum de consensus, donc applicable.

 

Il y a de cela une semaine, vous aviez offert votre médiation pour réconcilier l’ancien Président Abdoulaye Wade et son successeur Macky Sall. Où en êtes-vous ?

C’est vrai qu’il y a de cela deux semaines, le DSP/Afrique, c’est-à-dire le réseau Dialogue, sécurité et paix en Afrique avait fait une déclaration pour le dialogue politique. Je suis la présidente et c’est à ce titre que j’avais fait la déclaration. C’était pour inviter le Président Macky Sall en tant que Président de tous les Sénégalais et de toutes les Sénégalaises, ayant entre les mains les clés du dialogue politique, de la stabilité, d’appeler Abdoulaye Wade pour que le dialogue soit instauré. J’avais lancé un appel au président Abdoulaye Wade pour que lui aussi, en tant qu’ancien chef d’Etat ayant œuvré pour la démocratie sénégalaise, qu’il accepte le dialogue politique et qu’ensemble, ils voient comment faire pour que le Sénégal reste un havre de paix. Un pays où les cœurs et les esprits, de manière sereine, abordent l’émergence.

Apparemment, vous n’avez pas été entendue ?

Alors si je ne suis pas entendue, je dirai que c’est très dommage, parce que nous sommes en présence de personnes en principe intelligentes, en principe respectueuses des droits des Sénégalais, en principe responsables, en principe amoureuses de leur peuple et de leur pays. Si nous les appelons à un dialogue politique, nous ne pouvons que croire que ce dialogue aura bien lieu. Même si ça traîne un peu, ce dialogue politique doit avoir lieu.  Vous avez vu ce qui s’est passé après, l’escalade que nous avons observée ? Et que nous regrettons tous et toutes, que le peuple regrette dans sa chair. Il faut systématiquement mettre fin à cette escalade-là de la manière la plus urgente, dans l’intérêt supérieur du Sénégal.

Que nous ayons cette sérénité qui nous permet d’aborder et de résoudre les priorités du peuple sénégalais. Tout le monde est d’accord sur l’émergence. Nous voulons un pays émergent. On nous miroite l’émergence depuis l’indépendance. Il n’est que temps pour que ça se réalise. Vous croyez que l’émergence peut se réaliser quand on passe des journées entières, des nuits à s’invectiver, à se jeter des cailloux ? Ce n’est pas possible. Et il n’est de l’intérêt de personne de suivre dans cette logique. Aucun des camps qui se font face n’a intérêt à ce que cette situation délétère que nous vivons demeure. Le peuple est désespéré, exaspéré. Il faut que ça cesse. Il faut qu’on évolue. Il faut qu’on s’occupe des questions essentielles. Le Sénégal n’a pas le droit de vivre ce que d’autres pays qui ont connu des situations catastrophiques ont vécu. Il faut qu’on mette fin à cette situation de crise, d’insultes, de critiques acerbes. Il faut qu’on avance et qu’on travaille.

Avez-vous été surprise par les propos de Wade ?

Je suis surprise et je ne suis pas surprise. Je demande aux différents camps de rester calmes, de respecter l’autre. Ce n’est que dans le respect mutuel que l’on peut vivre sereinement. Je demande que chacun sache que s’invectiver, c’est d’abord porter atteinte à sa propre dignité. Vous savez pourquoi ? C’est un déni de valeur. Que personne n’accepte ça. Nous sommes dans un pays qui est connu pour sa Teranga, pour le sens de civilité de ses membres.  Si on commence à faire comme ça, comme d’autres ont fait et ont poussé leur peuple à des actes ignobles, ça surprend le monde extérieur. Ça ne nous ressemble pas. Arrêtons et faisons le dialogue. C’est impérieux, c’est urgent.  

Justement parlant du dialogue, est-ce que vous êtes prête à saisir Me Wade et Macky Sall pour renouer le fils du dialogue ?

J’ai essayé, j’ai tenté de toutes parts des deux côtés. Ça n’a encore rien donné. Je dis : le peuple a besoin de ça ; un point, un trait. Le peuple veut des résultats tangibles, il ne veut pas entendre parler d’agressions, d’insultes, d’injures.

En tant que conseillère du président, l’appel devrait être entendu par ce dernier, n’est-ce pas ?

J’attends ! Le président était en Casamance pour le conseil ministériel décentralisé. Il vient de rentrer. Je suis persuadée qu’il acceptera notre main tendue, parce que je connais l’homme. Je sais que cette situation délétère ne l’arrange pas. Je suis convaincue qu’il réagira. Il y gagne, le peuple y gagne. Au total, nous y gagnons. Pourquoi il ne le ferait pas ? Je suis persuadée que c’est le voyage en Casamance et pour lequel je le félicite qui a entravé le dialogue.

Vous le félicitez, il y a pourtant d’autres qui parlent de campagne électorale déguisée.

Moi, j’apprécie en termes d’actes posés. Il y a du positif dans ce qui a été fait. Et c’est en cela que je félicite le président de la République. Depuis la deuxième alternance, nous nous battons pour que la paix revienne en Casamance. Tout acte qui est posé pour que cette paix revienne en Casamance, en bien, nous le magnifions, le DSP/Afrique le magnifie. Parce que c‘est notre préoccupation essentielle.

Justement, vous êtes du groupe de facilitateurs, quels actes concrets avez-vous posés allant dans le sens de faire revenir la paix en Casamance ?

Ils sont nombreux les actes que nous avons posés. Quand on parle de désenclavement, on participe de manière très efficace à la résolution du conflit. Quand on parle de réconciliation et de pardon, on travaille positivement dans le sens de la paix. Or, c’est tout cela qui en train d’être vécu par les Casamançais en particulier, et les Sénégalais en général. Chaque pas fait dans ce sens est un pas important. Nous souhaitons, qu’avec une adduction des actes, nous poussions arriver à une paix. Il ne faut pas qu’on se croise les doigts. Il faut poursuivre les actes jusqu’à ce que la situation devienne une situation de paix durable.

Vous pensez donc être sur la bonne voie ou y a-t-il encore des choses à rectifier ?

Dans quelle mesure ?

C’est juste une question.

Vous savez, la perfection n’est pas de ce monde. En tout, nous tendons vers le positif, l’important est de tendre vers le positif et donc de s’améliorer. On s’améliore en permanence. C’est la nature humaine.

La situation politique actuelle s’explique au moins en partie par le procès Karim Wade. En tant que juriste, pensez vous que les droits du prévenu ont été respectés ?

Votre question est intéressante, mais au temps T où nous nous trouvons, il m’est particulièrement difficile de juger le procès. Vous savez pourquoi ? Parce que le procès est en cours. Et en tant que juriste justement, il me sera difficile de le commenter. Après, je commenterai en tant que doctrinaire et je dirai tout ce que j’en pense.

Vous êtes aussi enseignante, les universités publiques sont bloquées. L’on assiste  à un dialogue de sourds entre le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) et le ministre de tutelle Mary Teuw Niane. Quelle est votre compréhension de la loi-cadre ?

Ce que je peux dire, c’est qu’il ne doit pas y avoir de blocage entre différents acteurs de l’enseignement supérieur, c‘est-à-dire le ministère et les autres enseignants. Ce que je pense, c’est qu’il y a un blocage par rapport à cette loi-cadre. Il n’est pas tard pour bien faire. Il faut que les acteurs s’asseyent autour d’une table pour discuter et prendre une position consensuelle. Sinon, ce qui risque d’arriver, c’est encore une année perturbée. Les étudiants sont fatigués des années perturbées. Il y en a beaucoup qui sont déprimés, même en dépression parce qu’ils n’ont eu qu’une session et au bout d’une session, on leur dit que vous avez ‘’cartouché’’ (jargon qui signifie être exclu de l’université : NDLR). Ça, c’est injuste.

Donc, il faut que le gouvernement, le ministre de l’Enseignement supérieur spécialement, notre collègue Mary Teuw Niane, s’asseye autour d’une table avec tous les syndicats d’enseignants du supérieur pour rediscuter de cette loi. Afin  d’arriver à une loi consensuelle que chacun va accepter. Il ne sert à rien de faire des lois qui posent problème. Ubis societas ubisus. Les lois sont faites pour les groupes sociaux, les sociétés. Il faut le rappeler. Cela veut dire que les lois doivent avoir un minimum d’acceptation par les personnes à qui elles s’adressent. Je souhaite que les acteurs discutent pour que cette loi d’orientation soit une loi applicable.

C’est quoi votre appréciation personnelle sur cette loi ?

Je préfère que les acteurs s’asseyent autour d’une table. Pour le moment, c’est à ça que je peux m’en tenir.

Parlons de votre ouvrage dont la séance de dédicace aura lieu demain (hier 3 mars), quels sont les aspects que vous avez abordés dans le livre ?

Quel est ce nouveau bébé ? C’est l’ouvrage de droit civil sénégalais : Introduction à l’étude du Droit, état des personnes et de la famille. Ce livre est le premier du genre au Sénégal. On avait des livres sur le droit administratif sur le droit patrimonial de la famille, succession libéralité, etc. mais on n’a jamais eu un ouvrage d’ensemble qui permet au lecteur, à celui qui veut connaître le droit, d’avoir une idée générale sur le droit sénégalais. Cet ouvrage permet donc de savoir ce que c’est la règle de droit avec ses caractères, les différencier des règles religieuses et coutumières. Il permet également de savoir quel est l’autre sens du mot droit, c'est-à-dire le droit subjectif, les prérogatives. Par exemple, en tant que titulaire du droit, d’ester en justice, je peux faire une demande au tribunal et dire que mes droits ont été violés, je veux que la justice se saisisse de l’affaire.

Il aide également à connaître la source du système juridique sénégalais qui existe parmi tant d’autres. Quelles étaient par exemple les sources de droit avant la période coloniale. Ce n’est pas à négliger, parce que ces sources anciennes continuent à être des sources. Tout ce qu’il y a eu avec le code civil français, le droit musulman, les coutumes, etc., savoir ce qu’est la loi, comment on l’élabore et comment on l’applique, quelles sont les différentes phases d’application depuis la rédaction, le vote, la publication au journal officiel, la promulgation. Mais aussi la jurisprudence, parce qu’il y a des décisions de justice et il faut pouvoir les analyser. Il est également nécessaire que celui qui accuse apporte des preuves. Il y a beaucoup à faire à ce niveau. Celui qui dit qu’on lui a porté tort doit présenter des preuves. On ne peut pas aller au tribunal et croiser les bras. Ce sont les preuves qui permettent de gagner un procès.

Vous pensez donc qu’il y a une méconnaissance du droit par les Sénégalais ?

Il y a une méconnaissance totale du droit. Les Sénégalais aiment le droit mais ils ne le connaissent pas. C’est pourquoi il y a beaucoup de développement sur les personnes, le mariage, les filiations, le divorce, la séparation de corps, l’état-civil, les questions de polygamie et de monogamie, le droit sur la personnalité comme le droit à l’image, etc.. Les Sénégalais raffolent de la vie privée des gens sans savoir ce que cela induit comme conséquence.

Quels sont les cibles du livre ?

C’est un livre qui est destiné aux étudiants d’abord, mais aussi aux praticiens du droit. Les magistrats, les avocats ; vous les journalistes, vous devez connaître le contenu de cet ouvrage. Ça va beaucoup vous aider. Les députés aussi, il faut qu’ils connaissent le  droit. Ceux qui n’ont pas fait droit ont une belle occasion pour connaître le droit.

L’ouvrage vous a pris combien de temps ?

J’ai enseigné les grandes lignes de cet ouvrage pendant plus de 30 ans. Mais rédiger un livre, le peaufiner, en faire un ouvrage de recherche scientifique m’a pris énormément de temps. Faire un livre de ce genre n’a pas été aisé, du tout.

BABACAR WILLANE

 

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