Publié le 13 Aug 2016 - 12:55
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Le magistrat et le journaliste

 

L’information sur les dossiers en cours de traitement par la justice est un des domaines où le journaliste butte sur des  ‘’sources fermées’’ ; fermées parce que entourées de ce fameux secret de l’instruction derrière lequel le magistrat se réfugie (à tort ou à raison) pour dénier au journaliste l’accès à l’information que le public doit connaître. C’est là que se trouve le malentendu permanent entre la Justice et les médias. La première travaille dans la durée et le secret ; les seconds veulent ‘’tout savoir tout de suite et tout publier’’. ‘’Les journalistes ont à rendre compte du travail de la justice, de la manière dont elle s’organise jusqu’au traitement du moindre dossier. Le public s’attend à trouver, dans la presse, un bulletin de santé de l’institution judiciaire, son état de forme comme ses défaillances, structurelles’’, écrit Vanessa Samain dans un article intitulé ‘’Média et justice : un couple improbable ? ‘’

Liberté de presse contre secret judiciaire ; ou la première et la seconde ; il y a un conflit latent entre les deux. Par la première, le journaliste chroniqueur judiciaire veut divulguer ce que le magistrat protège à tout crin et conformément à son éthique et sa déontologie professionnelles. Qui va réconcilier l’un et l’autre ; qui pour réguler dans cette opposition ou, disons, cet antagonisme ? Le secrétaire général de l’Association nationale des chroniqueurs judiciaires, Pape Ndiaye de Wal Fadjri, se plaint, au nom de ses confrères, de l’hermétisme dans lequel s’enferme la justice dont pourtant ils attendent des informations sur les affaires que traite le magistrat. ‘’Le développement des affaires judiciaires comme l’état de santé général de la justice font partie du champ naturel d’investigation de la presse. Cette liberté d’enquêter, de s’exprimer et de publier n’est toutefois  pas absolue’’, estime Philippe Gerday, Journaliste au quotidien ‘’Vers l’Avenir ‘’, diplômé d’études approfondies en communication de l’Union Catholique de Louvain (Belgique), dans une contribution intitulée ‘’Liberté de presse et secret judiciaire : pour une régulation partagée’’ et publiée dans Recherches en communication, n° 9, (1998).

Percer voire violer le secret judiciaire pour obtenir une information sensationnelle, un scoop, voilà la préoccupation du journaliste et celui appelé chroniqueur judiciaire ne fait pas exception. Il y a eu ici au Sénégal, le cas de la publication par le journal ‘’Le Quotidien’’ du procès-verbal de l’enquête de gendarmerie dans l’affaire de Thione Seck, arrêté pour faux-monnayage. Et cette initiative valut au directeur de Publication dudit organe de presse une convocation à la gendarmerie qui aurait pu aboutir à des poursuites judiciaires plus poussées. Il y a la question de la publication de ces documents que la justice qualifie de ‘’pénalement protégés’’. Il y a eu aussi, récemment, la publication, par le site Dakaractu.com, du procès-verbal du divorce de l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye. Alors que, nous revient-il de nos cours de droit de la presse, que  les informations sur un contentieux matrimonial soumis à la justice sont interdites de publication dans un organe de presse.

Mais, ces dispositions du droit de la presse devraient être bien connues par le journaliste spécialisé dans les questions judiciaires. Et c’est pour cette raison (et bien d’autres encore) que le journaliste Pape Ndiaye, secrétaire général de l’ANCJ souhaite que la justice organise des espaces de formation à l’intention des chroniqueurs judiciaires avec pour objectif d’aider des journalistes à se familiariser avec la réalité de la justice, ses interdictions, ce qu’elle permet et ce qu’elle interdit.

‘’Farouchement attaché à son indépendance, le pouvoir judiciaire ne souffre (…) aucune immixtion ni de l’exécutif, ni du législatif. Dans ce contexte, le rôle de contre-pouvoir des médias dans la diffusion des informations relatives à l’activité judiciaire n’en est que plus important ‘’, écrit Vanessa Samain dans l’article cité plus haut.

‘’Le développement des affaires judiciaires comme l’état de santé général de la justice font partie du champ naturel d’investigation de la presse, souligne Gerday. Cette liberté d’enquêter, de s’exprimer et de publier n’est toutefois pas absolue. Elle entre en concurrence avec d’autres libertés et droits fondamentaux en vertu desquels elle connaît des restrictions. C’est tout particulièrement vrai dans le domaine judiciaire, où le secret institutionnalisé veille au respect des personnes (présomption d’innocence, honorabilité, vie privée) et à la bonne fin des devoirs de justice’’.

Qui doit assurer l’équilibre entre ce droit de la justice au secret et le droit du public de savoir ? Qui doit sanctionner les débordements ? Cette question de Vanessa Samain insinue l’institution d’un médiateur officiel (ou informel ?), parce que juges et journalistes peuvent, les uns et l’autre, s’en disputer l’arbitrage.

‘’D’un côté, parquets, cours et tribunaux, de l’extérieur des médias revendiquent la régulation finale du droit d’informer. De l’autre, les praticiens de la presse, de l’intérieur cette fois érigent l’autocontrôle comme seule régulation opportune de la liberté d’enquêter et de rendre public. Loin de s’exclure, ces deux régulations (juridique et déontologique)  se complètent. Éditeurs et journalistes ont pour eux l’intelligence du métier mais ils ignorent la sanction dissuasive. Les praticiens de la justice en revanche, s’ils n’ont pour eux que le regard externe sur la presse, disposent des moyens de contrainte faisant défaut à l’autocontrôle médiatique’’, souligne Vanessa Samain.

Peut-être qu’il faut instaurer, voire instituer, ce que Mme Samain appelle la mixité des contrôles qu’elle estime être est  ‘’le dispositif le plus efficace pour réguler liberté d’information et secret judiciaire’’.

Pour réguler la liberté de presse, les praticiens des médias revendiquent un authentique... privilège de juridiction, notamment en ce que la Charte des devoirs des journalistes professionnels de Paris, 1918, recommandent qu’en matière professionnelle, le journaliste ne reconnaît d’autre tribunal que celui de ses pairs.

Comment concilier la légitime attente du citoyen d’une Justice qui fonctionne en toute transparence, le droit du public à l’information et les libertés fondamentales telles que le droit à la vie privée ou le respect de la présomption d’innocence ?

On ne créerait sans doute pas un organe formel pour réguler ces rapports entre ces  deux entités, mais la prise en compte des intérêts et des devoirs de la justice d’une part et des médias de l’autre permettrait d’avoir cette harmonie dans l’antagonisme, une collaboration fructueuse entre les juges et les acteurs de la justice.

Jean Meïssa DIOP

Ce texte est une communication présentée au séminaire  ‘’Médias et Justice’’  organisé les 26 et 27 mai 2016 à Saly à l’initiative du ministère de la Justice.

 

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