Le tribunal lève un de ses interdits à la presse
De la salle d’audience de la chambre criminelle de Dakar, où se tient le procès de l’imam Alioune Badara Ndao et compagnie, le journaliste chroniqueur judiciaire, Aliou Diouf, du journal dakarois ‘’Libération’’, ordinateur relié à son téléphone portable connecté à l’internet, envoie des instantanés des dialogues entre le juge, le procureur et les accusés. Toute la journée, il en est ainsi, jusqu’à la suspension de l’audience. Il en sera de même jusqu’au verdict final d’un maître coranique et ses disciples accusés de projets djihadistes, notamment l’instauration dans le feu et le sang de khalifats islamiques au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
De la sorte (l’astuce du journaliste), les facebookers amis de Diouf peuvent suivre, minute par minute, ce procès en chambre criminelle. Des messages très courts, d’à peine dix lignes, restituant des dialogues et décrivant une ambiance tantôt hilare, tantôt de désapprobation, tantôt d’improbation des partisans de l’imam mêlés au public, s’ils ne sont pas tout bonnement ce public. Et il y a une sorte de signal fait aux chroniqueurs judiciaires et qui l’interprètent désormais.
Ainsi, selon que le procès se déroule en salles 3 ou 4, l’usage d’ordinateurs est interdit ici, autorisé là !
Ainsi, au prétoire, il y a du nouveau (un grand nouveau) pour la presse qu’il n’est plus interdit d’user, dans une salle d’audience, d’ordinateurs pour couvrir un procès, même si les enregistrements restent prohibés (quelle que soit la juridiction devant laquelle se tient le procès). En effet, la loi et la justice sénégalaises n’ont jamais voulu céder un pouce sur cette disposition. Et, jusque-là, les journalistes ont dû se mettre à la prise de notes, ratant ou escamotant des passages importants.
Mais voilà que depuis les procès en Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) de Tahibou Ndiaye, Aïda Ndiongue et Karim Wade, la presse peut couvrir avec plus de confort ces audiences judiciaires en chambre criminelle, en audience spéciale de chambre correctionnelle. La prohibition concerne les procès en flagrants délits et les procès en correctionnelle.
La justice a donc assoupli sa rigueur en matière de couverture des audiences. Et cet assouplissement a permis une meilleure couverture des procès de l’affaire Khalifa Sall, du nom du maire de Dakar comparaissant en audience spéciale pour divers délits dont celui de détournement de deniers, faux en écriture...
Il est vraisemblable que cet assouplissement est un examen favorable de la doléance exprimée par l’Association des chroniqueurs judiciaires du Sénégal, lors du séminaire ‘’Médias et justice’’ tenu les 27 et 28 mai 2018 à Saly Portudal. La concession est bonne à prendre, en attendant d’autres novations (peu probables cependant) comme le fut la couverture, par la chaîne de télévision nationale Rts1, du procès devant les Chambres africaines extraordinaires siégeant à Dakar, de l’ancien président de la République du Tchad, Hissène Habré. Oui, il y a ailleurs, à travers le monde, des avancées et des audaces en matière de couverture, par la presse, de procès judiciaires. Par exemple, cette chaîne de télévision expressément créée en Afrique du Sud pour couvrir le procès Oscar Pistorius (du nom de l’athlète meurtrier de sa copine) filmé en intégralité. En Angleterre, ce n’est qu’en 2014 qu’a été autorisée l’introduction de caméras dans les tribunaux.
Quelle que soit la consistance ou la minceur de la novation introduite au Sénégal pour faciliter aux journalistes la couverture d’un procès devant les tribunaux, elle est à prendre. En contrepartie, la presse a le devoir d’en user avec responsabilité et professionnalisme. Cette concession ne doit pas être une brèche dans laquelle s’engouffreraient les tricheurs et autres acteurs de mauvaise foi qui risqueraient alors de faire perdre un acquis, pour ainsi dire, historique.