Leçons de la couverture médiatique de la crise gambienne
Des informations à profusion et à vous en donner le tournis sur la crise en Gambie ! Ce sujet d’une brûlante actualité aura administré la preuve que l’abondance des moyens d’information, leur pluralité (et même leur pluralisme) n’est pas gage d’une information exacte. On en a beaucoup appris surtout à travers les réseaux sociaux, mais aussi par la presse que le journalisme citoyen qualifie, avec un brin de sarcasme et de goguenardise, de ‘’classique’’, classique par ses outils, ses procédures, ses supports et même ses personnels.
Que ne nous a-t-on pas annoncé ? Que Yahya Jammeh l’autocrate de Banjul, qui a peur de lui-même et de ce que l’avenir lui réserve, est dans un vol à destination de Conakry sa ville d’exil, tantôt il serait dans l’avion pour la Mauritanie pendant que tel autre site d’informations relayé sur le réseau social Facebook annonce que les négociations sont en cours à Banjul même. Ne parlons pas de la situation militaire sur le terrain dont on ne savait plus si c’était en Gambie ou au Sénégal. Les troupes de la Cedeao ont-elles franchi la frontière ? Sont-elles en Gambie ? Y a-t-il eu échanges de tirs entre les Jambaar et les Atikas du Mfdc soutiens ethnicistes, imprudents et à tout crin de Jammeh ?
L’information qui se définit par une ‘’nouvelle exacte et intéressante’’ aura rarement été souffreteuse. On s’est plus préoccupé du sensationnalisme, de l’intéressant que du vrai et vérifié. Certainement que cette crise aura inspiré ou laissé aux journalistes des leçons sur lesquelles il faudra méditer. La Gambie, c’est notre voisine, ‘’la République sœur’’, comme on disait il y a quelques années. Compréhensible que les journalistes (classiques les uns, citoyens les autres) aient mis en œuvre les quatre fameuses ‘’lois de la proximité’’ dans le traitement de l’information : loi psycho-affective, loi géographique, loi chronologique et loi sociale. C’est si vrai, là aussi, que la RTS 1 a cru devoir traiter en direct le tout deadline fixé à l'ex-président gambien pour quitter le pouvoir au profit de son vainqueur de la présidentielle du 1er décembre 2016. On n’attendait pas moins de la RTS qu'elle retransmît tout cela en direct, elle qui montra en live et en page spéciale, en plein jour, le déclenchement de la Première Guerre du Golfe Tempête du désert (Desert Storm) le 17 janvier 1991.
Dans ce climat de tension, des médias, notamment étrangers, y sont allés d'amalgames de nature à entretenir un ressentiment voire une haine de certains Gambiens contre le Sénégal : l'intervention militaire pour contraindre Jammeh à lâcher le pouvoir n'est pas une initiative sénégalaise (même si le Sénégal en assure le commandement) mais celle de la Cedeao qui a obtenu de surcroît l'onction du Conseil de sécurité de l'Onu. Voilà entre autres exemples, pourquoi on dit que la presse joue un rôle dans la paix, la concorde entre les peuples, les pays... D'où son devoir de responsabilité dans la diffusion de l'information qui ne doit pas obéir à des préoccupations sensationnalistes, à la recherche de l'exclusivité, du buzz... Il faudra à la presse retenir les leçons de sa couverture et de son traitement de la crise en Gambie.
Cette passion, cette fébrilité ont été et sont encore telles que dans les médias sénégalais, la Gambie a fortement bousculé les prestations de l’équipe nationale sénégalaise en Coupe d’Afrique des nations de football. Tant et si bien que certaines radios très férues de sport ont semblé être dans l'embarras entre continuer à donner en direct "les événements de Banjul" (ainsi qu'on dénommait l'opération Fodé Kaba II en juillet-août 1981) et un match disputé par les Lions du foot. Appelez cela loi psycho-affective qui s’impose aux journalistes…
Dans cette fébrilité, sur les réseaux sociaux, tout le monde était et est devenu journaliste ; l'ère de l'internet est celui de la démocratisation de la diffusion de l'information et ça vient concurrencer les journalistes sur leur propre terrain et sur leur profession qui n'est plus leur chasse gardée. Certes, mais le journaliste traite l'information selon des techniques et en se conformant à une éthique et à une déontologie qui ne semblent pas préoccuper les nouveaux journalistes. Je crois qu'on les dénomme web journalistes ou journalistes 2.0. Beaucoup n'ont diffusé leurs informations qu'en ayant l'œil et l'oreille sur les informations déjà diffusées par cette presse qu'ils considèrent comme classique. Souvent en n'en citant pas le travail, une attitude que la déontologie des journalistes considère comme du plagiat : Une utilisation déshonorante d'informations d'autres journalistes sans les citer comme étant l'origine première des nouvelles reprises.
Nous ne devrions pas oublier les débats quelquefois très polémiques entre internautes sur cette même crise gambienne. Les débatteurs les plus agaçants (c’est mon point de vue personnel) ont été les avocats du vide, défenseur d’un Jammeh au panafricanisme fumeux et qui ne sont pas loin de considérer l’autocrate comme une incarnation de Sankara. Tout simplement parce qu’il évoque dans son blues quelque chose comme un acharnement contre lui de l’Occident et de ses séides africains et d’autres arguties de la même eau. Mais, la vérité est que Jammeh tout comme tous ceux qui s’accrochent au pouvoir ont peur d’eux-mêmes, de leurs mauvaises actions dont ils devraient rendre compte. Pensez au procès Habré et à ceux des autres accusés devant la Cour pénale internationale, deux tribunaux dont pourtant je doute de la légitimité.