‘’Des biens publics sont concédés sans appels d'offres’’
Le président du Conseil national du patronat (CNP) se prononce sur l’actualité économique. Une occasion pour Baïdy Agne de rappeler certaines vérités sur ses relations avec l’ancien pouvoir de Wade, avec Macky Sall. Mais aussi de faire des révélations comme ‘’les marchés du MCA (qui) vont être exécutés totalement par les entreprises étrangères’’. Ou les autres ‘’biens publics qui sont concédés sans appels d'offres’’ alors qu’on se focalise sur le King Fahd qui ‘’n’est pas une grosse affaire’’. Non sans rappeler que le secteur privé doit s’appliquer les ‘’principes de gouvernance’’ demandés aux politiques.
M. Agne, économiquement où va le Sénégal ?
J’espère qu’il va vers la bonne direction. Il y' a des enjeux majeurs, des problématiques majeures, non seulement au Sénégal mais dans le monde. Nous entendons tous les jours des problèmes presque de récession en Europe, de croissance très faible, presque nulle. Au Sénégal, nous avons encore eu de la croissance ces dernières années. 2012, nous n'avons pas encore les chiffres, mais nous savons tous que c’était une année électorale, où l'économie n'a pas été tout à fait au devant des choses. Mais nous avons espoir.
Dans ce contexte, il est beaucoup plus question de l'application des conclusions des Assises nationales comme axe de gouvernance. Vous qui n'aviez pas participé à ces Assises, comment voyez-vous ces discussions ?
Vous l'avez dit, nous n'avions pas participé à ces Assises, pas par le fait que nous avons reçu les gens des Assises. Nous avons en fait même contribué à travers un document que nous avons fait pour les élections de 2007, c'est-à-dire le ‘’Pacte de bonne gouvernance générateur d’emplois’’. En effet, à l’époque, le bureau du CNP s'était réuni bien avant, c'est-à-dire 6 mois avant l’installation des Assises, pour dire que sans la participation de l'Etat, par le fait de notre existence comme organisation patronale, nous estimons ne pas devoir participer à ces Assises.
‘’Notre légitimité nous la tenons des entreprises’’
Mais en termes de contribution, nous avions contribué même s'il y a des amalgames pas possibles qui sont entretenus par le fait d'une injonction quelconque, d'une autorité quelconque sur le CNP pour notre la participation du CNP. Ceci est archifaux. La décision du CNP est préalable à tout ceci et notre position a été connue. Ça, c’est parce que notre organisation s’est toujours définie comme une organisation apolitique.
Pourquoi ?
L’essence même d'une organisation patronale, le premier interlocuteur du monde de l'organisation patronale, c'est en fait l’Etat. C'est avec l’Etat qu'on met en œuvre tout : les réformes ; on discute avec l’Etat du Code général des impôts, de la fiscalité. Donc naturellement nous sommes soucieux de la mise en œuvre de toutes les discussions dans lesquelles nous sommes engagés. Donc c'était ça la position du CNP. Et ce n’est pas une position nouvelle. Je rappelais l'autre fois que le premier président du CNP, Amadou Makhtar Sow, c’était le premier président du CNES. A l'époque, il y avait eu un débat qui s'était posé pour le secteur privé pour l'organisation d'un dîner de soutien au président Abdou Diouf. Et Makhtar Sow, de la même façon, avait posé le débat au sein du bureau du CNP et naturellement le bureau du CNP de l'époque avait indiqué que ce n'était pas notre rôle à nous de participer à cela, notre position est d’être équidistant des politiques. Ceci, en réalité, avait valu à Makhtar Sow tous les problèmes du monde et à partir de ce jour-là ; parce qu’il y avait l’autre partie du patronat qui était très présente et qui avait tout fait pour montrer que Makhtar Sow et le CNP n'étaient pas au dîner de soutien. Ce qui valu à Makhtar Sow tous les déboires jusqu’à la perte de son entreprise la Société Industrielle des Produits Laitiers (SIPL).
Malgré tout, on vous a toujours collé une étiquette d'organisation patronale proche du pouvoir sortant…
Nous sommes l'organisation patronale la plus représentative. C'est une réalité. Même quand le régime d’avant était très proche d'une organisation comme le CNES. Même à cette époque, des enquêtes avaient été faites par le ministère de l’époque, et le CNP, pour 70%, était considérée comme l'organisation la plus représentative. Donc, cela ne veut rien dire, de dire que nous sommes proches du pouvoir passé. Ce sont des débats qu'on entend qu’ici.
‘’Les marchés du MCA vont être exécutés totalement par les entreprises étrangères’’
Tu n'entendras pas les gens dire le MDEF (en France) est proche de tel ou tel. Et de plus, il y a une tromperie majeure qui est de dire que le CNP est proche du régime précédent. Bien sûr, nous avons une proximité avec l’Etat ! Et nous comptons avoir plus de proximité avec ceux qui incarnent aujourd’hui l’Etat. C’est la nature du secteur privé, de l'entreprise, ce n'est pas anodin. Comme je dis, il y a une grosse tromperie au tour de cette notion de proximité. Je ne sais pas ce que cela signifie quand on dit que le CNP est proche du pouvoir. Mais ce que je sais, c'est que jamais le CNP n'a été convié soit à une rencontre, soit à un voyage, jamais et que le CNES n'y était pas. Je n'ai pas souvenance d'un seul voyage où le secteur privé a été invité sans la présence de la CNES, je n'ai pas souvenance d'aucune rencontre qu'on a organisée sans que la CNES n’y participe aux côtés du CNP.
Ceux qui disent ça mettent en avant le fait que sur beaucoup de dossiers, de marchés, ce sont des entreprises du CNP qui les gagnaient avec le pouvoir sortant…
Non ! Non ! Ce ne sont pas les organisations patronales qui gagnent les marchés. Les organisations patronales ne sont pas les entreprises. Que la Compagnie sénégalaise d'entreprise (CSE) soit affiliée au CNP et qu'elle soit en même temps la première entreprise sénégalaise, c'est normal qu'elle gagne les marchés dans son secteur des BTP. Et c’est depuis les années 70 ; ce n’est pas seulement lié à Diouf ou Wade ; c'est une entreprise qui marche. Ceux qui sont dans les BTP ne sont pas beaucoup, c'est globalement dans les marchés des infrastructures. Et pour ça, toutes les entreprises qui étaient fortes étaient du CNP. Même Jean Lefebvre de Bara Tall était au CNP quand il a eu ses difficultés. Donc ce n'est pas logique, cela n'a aucune logique ce que les gens disent. Si je défends très souvent l'idée de ce patriotisme économique, c’est parce qu'à chaque fois qu'un Sénégalais est impliqué dans une chose, il faut l'abattre et ce sont des Sénégalais qui décident de l'abattre.
En fait, je reviens sur deux cas, il y a eu une vente de terre entre l’IPRES et Mbackiou Faye. Ce fut une transaction entre deux membres du CNP. Et on peut dire la même chose pour la Caisse de sécurité sociale…
Non ! Ce ne sont pas des décisions du patronat, elles sont liées à l'Etat. Ce sont des entités autonomes où il y a des organisations syndicales, le patronat et l’Etat. Ce n’est pas le patronat qui décide, ce sont des conseils d’administration. Ils peuvent parler pour eux. Maintenant, qu'il y ait des divergences ou des positions, ce n'est pas une personne qui décide, c'est un conseil d'administration qui décide volontairement de leur besoin d'investissement. Et ça, ce n’est ni le CNP, ni le patronat exclusivement. Je ne comprends pas quand les gens disent qu’ils sont proches de ceci ou de cela. Même quand on était supposé ne pas être proche, on était fort. Notre légitimité, nous ne la tenons pas d'un Etat ou d'un tel autre, nous la tenons des entreprises.
On parle de patriotisme économique depuis l'arrivée du nouveau pouvoir. Est-ce le même que vous prônez ?
Non, le patriotisme économique est le patriotisme, la notion est la même. Elle n'a pas, pour nous, vu le jour avec l'arrivée du nouveau pouvoir. Nous l'avons tout le temps dit. De façon répétitive, nous l'avons toujours indiqué, dans les différents documents que nous avons faits bien avant, depuis même nos assises de l’entreprise, et probablement avant moi. J’ai porté ce débat. Mais il dit quoi ? Il ne dit pas qu'il faut faire n'importe quoi. Bien sûr j'en profite pour parler du King Fahd. Nous avions émis une position par un communiqué en disant que nous estimons bien sûr, en rappelant cette notion de patriotisme, que l'Etat et le privé concerné doivent discuter. J'ai dit aussi que dans le sens de ces questions de gouvernance, chacun de nous doit balayer devant sa porte (il se répète). Après avoir dit cela, je considère aujourd’hui qu'il y a des questions majeures auxquelles nous devons répondre.
La suite à 10h15
Bachir Fofana