Publié le 30 Jan 2021 - 10:21
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Les choix kafkaïens de Macky Sall

 

Jamais, encore, épidémie n’aura été problématique pour les dirigeants du monde. Par son génome d’abord : complexe et mutant ; par les peurs qu’elle jette sur le monde et que viennent renforcer les inconnues qu’elle fait poindre pour l’avenir de l’humanité.

Alors que l’on avait pu croire, à la fin octobre, que le virus, bon an, mal an,  avait été maitrisé (eu égard à une courbe fortement descendante du taux de positivité) et qu’en novembre, élèves et enseignants avaient pu reprendre le chemin de l’école ; que partout dans le pays, l’activité économique semblait reprendre son cours normal, une tendance haussière de la positivité s’est manifestée, contre toute attente : 13 % actuellement, jetant la panique dans le monde hospitalier et celui des autorités sanitaires, contraignant l’autorité publique à prendre, tout à la trac, de nouvelles mesures coercitives pour contrer cette recrudescence.

Sur la pertinence de ces mesures, l’on a déjà commenté : le couvre-feu pèche par son inefficacité et entraine, par l’afflux et les bousculades dans les transports en commun et dans les commerces qu’il suscite aux heures de pointe, l’effet inverse de celui qu’il eût voulu atteindre. Les autres mesures sont appréciables à l’aune de leur applicabilité : la non-adhésion d’un certain nombre aux contraintes de la distanciation, compromet l’effort des gouvernants et anéantit, dans l’ignorance publique, les chances de maitrise du fléau.

Une deuxième vague est donc là ; à l’évidence bien plus mortifère que la première, faisant prendre conscience à l’essentiel de la communauté nationale que la Covid-19 est un tueur planétaire dont on ne maitrise ni le modus operandi ni la puissance létale.

On imagine aisément que le président de la République, garant de la sécurité des Sénégalais, ne saurait se satisfaire d’une cohabitation aussi mortelle avec un ennemi autant invisible. En dépit des dernières mesures prises, la contamination poursuit son ascension inexorable… Dakar et Thiès, pour ne citer que ces régions-là, continuent de servir leurs lots angoissants de malades et ceux, plus terribles encore, de morts, parfois brutales, dans le mystère clinique de quelque embolie pulmonaire suffocante ou d’un arrêt cardiaque foudroyant.

Alors, oui, Macky Sall est bien tenté par un durcissement des mesures, dans la tentation d’un confinement général que l’on présente comme la panacée la plus réaliste à la propagation de la sinistre pandémie et d’un laisser-courir, déresponsabilisant in facto, le pouvoir politique.

La première option a été présentée, par maints Cassandre de l’émotion sociale, comme la source la plus sûre de toutes les catastrophes économiques et donc sociales, qui non seulement plomberait toutes les chances de relance économique, mais générerait presque instantanément une conflagration sociale dont il serait difficile de prévoir les manifestations et les conséquences. Mais elle aurait le mérite de rappeler que l’Etat est là et qu’il entend assumer sa charge au prix de sa propre impopularité et de la colère publique.

La deuxième est l’archétype de l’impéritie politique, cette espèce de non-choix dont la vocation est de plaire au plus grand nombre et qui justement finit par engendrer des conséquences sans nombre et pour le pouvoir et pour la collectivité.

Le choix d’une action politique affrontant l’impopularité, est aujourd’hui la plus plausible. Mais à la seule condition de se munir de l’efficience : un confinement région après région qui s’accompagnerait d’une campagne massive de vaccination sur une durée relativement courte.

Ainsi éviterait-on, à l’échelle nationale, des risques d’enlisement économique et ceux plus destructifs d’une colère sociétale et sociale qui gronde déjà en sourdine.

Mais pour l’heure, le choix est kafkaïen, pour le pouvoir, d’une action politique d’envergure qui tienne compte de la dangerosité d’un taux de contamination et de décès allant crescendo et de l’attentisme confortable qui se nourrit du non-choix et qui attendrait que passe la pandémie avec son cortège de morts au gré des variants d’un génome devenu fou et qui défie tout savoir.

C’est, enlisé dans ce dilemme, que le pouvoir donne l’impression de naviguer à vue ; de ne plus agir autrement qu’en contraignant. Difficile posture dans une situation qui inflige, au quotidien, drames et incompréhensions.

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