Des marins prêts à abandonner le navire ?
A un an de l’élection présidentielle au Sénégal, la coalition au pouvoir navigue en eaux troubles. Face aux incertitudes qui se posent sur une candidature de leur leader, le président Macky Sall, les partis les plus représentatifs se posent des questions sur l’avenir de cette entente politique.
Abandonner le navire ou rester fidèle au capitaine ? Le dilemme est entier pour les partis politiques engagés au sein de la coalition Benno Bokk Yaakaar. La Présidentielle-2024 approche et personne ne connaît, officiellement, les intentions du leader Macky Sall. Le chef de file de l’APR entretient le suspense sur sa volonté de se présenter pour un troisième mandat à la tête du Sénégal, après ses victoires en 2012 et en 2019. Dans le même temps, l’opposition politique n’a jamais été aussi forte, face au président de la République. Pour peser le pour et le contre, les principales formations politiques soutiens de Macky Sall ont lancé une série de concertations internes. Malgré tout, très peu osent dévoiler leurs intentions de soutenir ou non l’éventuelle nouvelle candidature du président de la République en 2024. La réaction des Sénégalais, une fois que cette annonce sera faite, semble tenir en respect tout positionnement sur ce choix épineux.
Le weekend dernier, c’est le Parti socialiste (PS), allié fidèle au président de la République depuis son accession au pouvoir, qui s’est prêté à l’exercice. Le samedi 11 et le dimanche 12 février, les socialistes ont organisé un séminaire entre ‘’exclusivement les membres du Bureau politique élargi aux secrétaires généraux de coordination qui n’en sont pas membres’’, sur le thème général ‘’Le Parti socialiste à la croisée des chemins : enjeux et défis’’. L’idée principale annoncée dans une lettre circulaire signée par la secrétaire générale Aminata Mbengue Ndiaye, est d’engager un ‘’débat introspectif’’ dans le but de ‘’repositionner le parti, tant au sein de la coalition BBY que dans l’espace politique national’’.
Le PS engage le débat
Ceci, comme l’a défini la secrétaire générale lors de son discours d’ouverture, en revisitant ‘’(leur) parcours politique récent, à la lumière des mutations et transformations en cours, d’apprécier (leur) organisation et (leurs) modes de fonctionnement, d’évaluer (leurs) alliances stratégiques et d’envisager les perspectives à court et moyen terme’’.
Depuis 2012, le PS a participé aux sept élections organisées au Sénégal, dans le cadre de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) : la Présidentielle en 2019, les Législatives en 2017 et en 2022 et les Territoriales de 2014 et de 2022. A cela, s’ajoutent les élections des hauts conseillers des collectivités territoriales en 2014 et en 2022.
Si la trajectoire de la coalition au pouvoir a toujours été ascendante jusqu’en 2019, la tendance s’est nettement inversée lors des Locales de janvier 2022 et les élections municipales et départementales de juillet 2022.
Globalement, cette situation influe et crée des tensions internes au sein d’un parti qui a déjà goûté au pouvoir et que certains de ses cadres ne souhaitent pas revoir sans candidat pour une élection présidentielle. Une situation similaire est à l’origine de la scission du PS, avant la Présidentielle 2019, avec l’exclusion de ceux qui incarnaient l’avenir du parti : Khalifa Sall, alors maire de Dakar, et Barthélemy Dias, actuel édile de la capitale sénégalaise.
Une nouvelle scission à l’image du départ de Khalifa Sall et Barthélemy Dias ?
Depuis cet épisode, la formation des anciens présidents de la République Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf a perdu de sa superbe, se terrant dans les entrailles de la coalition au pouvoir sans réel poids dans le paysage politique.
Si ces questions ont été discutées au cours de leur séminaire du weekend, les différentes parties s’opposent encore sur l’option de continuer le compagnonnage avec BBY (et soutenir un éventuel troisième mandat) et la nécessité de présenter un candidat socialiste en 2024.
L’émergence du Pastef/Les patriotes d’Ousmane Sonko a donné un grand coup aux formations politiques ‘’traditionnelles’’. Si le Parti démocratique sénégalais (PDS) résiste tant bien que mal à la révolution politique marquée par la recrudescence des jeunes qui s’identifient généralement au maire de Ziguinchor, c’est beaucoup plus difficile pour les autres formations incarnées par les ‘’vieux’’ politiciens. À tel point que les chances de diriger le Sénégal en 2024 se résument à un duel entre Macky Sall et Ousmane Sonko. Même si les candidatures des deux hommes sont encore incertaines.
La LD se pose aussi des questions
Un autre parti politique, qui est en train de peser le pour et le contre de son compagnonnage avec la coalition au pouvoir, est la Ligue démocratique (LD) qui milite aux côtés du président de la République depuis 2012. Eux aussi ont tenu une assemblée générale, 1er février dernier, pour ‘’procéder à l’évaluation du compagnonnage avec leurs alliés de Benno Bokk Yaakaar’’.
Dans la déclaration finale, à l’issue de cette rencontre, le nouveau coordonnateur, Pape Doudou Tounkara, a soutenu qu’au regard du contexte politique actuel et des perspectives de la LD, ‘’nous insistons sur la nécessité de dresser un bilan extrêmement objectif du compagnonnage au sein de Benno Bokk Yaakaar. Est-ce que notre ancrage dans Benno a contribué au développement de notre parti, durant les 10 dernières années ?’’.
Rappelant que la formule lancée dès la création de la coalition, à savoir ‘’gagner ensemble, puis gouverner ensemble’’ aurait mérité d’être traduite en actes en ce qui les concerne, la LD promet d’apporter, ‘’dans les prochains jours’’, des réponses à des interrogations devenues légitimes et ‘’de se prononcer également sur la situation politique du pays’’.
AFP et PS, même combat ?
Si ces formations politiques prennent leur temps pour se décider, le secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (AFP) réaffirme sa fidélité au président Macky Sall et à la coalition au pouvoir.
Selon Moustapha Niasse, ‘’l'AFP poursuivra son compagnonnage avec la coalition Benno Bokk Yaakaar’’. Et concernant un candidat du parti pour la prochaine Présidentielle, l’ancien président de l’Assemblée nationale retient que le dernier mot reviendra au Bureau exécutif du parti. Et ce dernier pourrait être le candidat choisi par la coalition.
Ce recadrage du leader de l’AFP intervient alors que, à l’image de ce qui se passe au PS, des voix s’élèvent pour réclamer une candidature du parti en 2024.
D’après les différentes sorties des membres de l’Alliance pour la République (APR), le parti au pouvoir a déjà choisi son candidat.
Selon le Premier ministre Amadou Bâ, qui s’exprimait lors du meeting de Pikine le 5 février dernier, ‘’il n’y a ni plan A ni plan B au sein de l’APR et de Benno. Le seul candidat est Macky Sall’’. La validation de ce plan est moins évidente pour ses coalisés.
Lamine Diouf