Publié le 18 Sep 2025 - 14:00
CONCESSION MOLE 4

Le port en eaux troubles

 

Initialement prévu le 11 septembre dernier, le Conseil d’administration du Port autonome de Dakar se tient finalement aujourd’hui et va se pencher sur le projet du directeur général d’attribuer 10 ha du môle 4 à des entreprises étrangères, alors même que l’ Autorité de régulation de la commande publique (Arcop) avait rendu un avis défavorable.

 

C’est un coup de poignard au cœur du jub jubal jubanti. Si cela passe, il n’en resterait presque plus rien de cette grande promesse de remettre la transparence au centre de l’action publique. Il y a quelques jours, EnQuête révélait le nébuleux deal en cours de réalisation entre le Port autonome de Dakar et un consortium sous contrôle d’entreprises belges. Dans un avis rendu depuis le 9 avril 2025, l’Autorité de régulation de la commande publique (Arcop) avait pourtant averti. Elle avait clairement établi : « …Tout investissement entrepris dans l'espace portuaire qui présente les caractéristiques d'un PPP est nécessairement soumis aux dispositions régulières de la loi n°2021-23 relative aux contrats de partenariat public-privé (PPP). » En langage simple, le Port outrepasserait la législation s’il conclut un marché par gré à gré, celle-ci lui imposant de passer par appel d’offres pour choisir son contractant.

Cette décision de l’Arcop faisait suite à une saisine du même Port autonome de Dakar. Dans l’objet de ladite saisine, il était indiqué : « La demande vise à recueillir l'avis du Comité de règlement des différends sur l'application de la loi 1992 sur les autorisations d'occupation du domaine public portuaire en lieu et place de la loi de 2021 sur les partenariats public-privé. » L’Arcop avait donc tranché en faveur de l’application de la loi de 2021 sur les partenariats public-privés (PPP). Pour l’Arcop, il n’y a en réalité aucune contradiction entre le texte de 1992 sur les autorisations d’occupation du domaine public et celui de 2021 sur les PPP. Le premier texte n’a pas encadré la préparation et l'exécution de projets de PPP. En conséquence, souligne le gendarme des marchés : « La loi 92-63 du 22 décembre 1992 et la loi n°2021-23 relative aux contrats de partenariat public-privé (PPP) ne s'excluent pas et sont d'application complémentaire, lorsque le projet envisagé prend les contours d'un PPP. » Malgré cet avis de l’Arcop, le Port autonome de Dakar s’entête à aller jusqu’au bout de ce marché avec les Belges. Après avoir fait reporter le Conseil d’administration initialement prévu le 11 septembre, Waly Diouf Bodiang revient à la charge ce 18 septembre. Les administrateurs seront ainsi invités à se prononcer sur cette opération plus que nébuleuse. Certains de nos interlocuteurs se demandent d’ailleurs pourquoi l’avis de l’Arcop ne figure pas sur la liste des documents annexés au rapport du DG en prélude à la réunion du CA.

Pourquoi l’avis de l’Arcop ne figure pas sur la liste des documents annexés au rapport du DG

Le DG du Port a, en effet, joint à son rapport de présentation les documents ci-après : tableau des sept concessions portuaires 2007-2024 (objet, durée, investissement, procédure suivie) ; projet de convention d'AOT déjà négocié entre la SONAPAD et AIG Marine & Terminal ; note de montage financier "JAMBAAR" mettant en avant l'absence de paiement public et de tarification administrée ; loi 2021-23 du 2 mars 2021 relative aux contrats de partenariat public-privé (PPP), entre autres. Le DG s’efforce de justifier la légalité de son choix basé sur la loi de 1992. Il n’hésite pas à brandir les pratiques de ses prédécesseurs pour convaincre. « Depuis 2007, rappelait-il dans sa saisine de l’Arcop, toutes les sept concessions en vigueur ont été conclues sur le fondement de la loi susvisée. » Celle-ci a été adoptée, selon le Port, dans le but de lever certaines contraintes constituant un frein au développement des investissements dans le domaine public du port. En d’autres termes, Cheikh Kanté et les autres avaient fait la même chose.

Cette affaire rappelle en effet à bien des égards la concession tumultueuse du terminal vraquier du môle 8 au groupe français Necotrans et du terminal roulier du môle 2 à Bolloré Africa Logistics. À l’époque, rappellent nos sources, le Syndicat des entreprises de manutention des Ports du Sénégal (SEMPOS) avait saisi le Comité de règlement des différends (CRD) de l’Arcop pour demander l’annulation de cette attribution. En réponse aux griefs du syndicat, qui lui reprochait d’avoir violé les dispositions du Code des marchés, Cheikh Kanté servait le même argument que Waly Diouf Bodiang. Il estimait que l’attribution des concessions du môle 2 et du môle 8, respectivement aux groupes Bolloré et Necotrans, trouvait son fondement légal dans la loi n°92-63 du 22 décembre 1992 autorisant la création de la société nationale du Port autonome de Dakar. Selon le PAD sous Cheikh Kanté, la loi n°92-63 du 22 décembre 1992 n’impose aucun mode de passation en ce qui concerne les concessions d’occupation du domaine portuaire. « Le PAD peut, par convention portant cahier des charges, consentir sur le domaine public qui lui est transféré des autorisations d’occupation temporaire d’une durée au plus égale à 25 ans … », se défendait l’ancien DG Kanté.

L’affaire a finalement été gérée à l’amiable grâce à une médiation de l’Autorité en charge de la régulation des marchés publics. L’accord portait sur les points suivants : en ce qui concerne la concession du terminal à conteneurs, le PAD s’engageait à réserver 15 % des actions aux nationaux évoluant dans le secteur. Pour la concession du môle 2, le PAD s’engageait à réserver 20 % des actions aux opérateurs nationaux évoluant dans le secteur et 10 % pour le Port autonome de Dakar. Pour le môle 8, le PAD s’engageait à réserver 35 % des actions aux opérateurs nationaux évoluant dans le secteur et 10 % pour le Port autonome de Dakar Mieux, il était également convenu qu’au cas où le terminal céréalier (môle 4) devait être concédé, son exploitation serait exclusivement confiée aux opérateurs nationaux évoluant dans le secteur. C’est là aussi un grief majeur sur la table de Waly Diouf Bodiang.

Le privé national saisit le Premier ministre

Au niveau du secteur privé, les acteurs s’organisent et espèrent que le Conseil d’administration n’avalisera pas l’acte du DG du Port autonome de Dakar. Déjà, les plus hautes autorités du pays ont été saisies pour lancer l’alerte. Parmi les organisations impliquées dans cette lutte : le Club des investisseurs sénégalais, représenté par Pierre Goudiaby Atepa ; la Confédération nationale des employeurs du Sénégal, représentée par Adama Lam ; le Conseil national du patronat, par Baidy Agne ; et enfin l’Unacois, représenté par Moustapha Lo. Dans leur lettre adressée au Premier ministre, ils informent : « Des acteurs portuaires membres de nos organisations patronales nous ont saisi pour alerter sur la décision de la Direction générale du PAD de mettre en concession le môle 4. » Si la mise en concession est votée, avertissent-ils, elle aboutirait à de nombreuses difficultés pour des entreprises affiliées à leurs organisations. « En effet, toutes les activités qu'elles mènent déjà avec succès seront confiées au nouveau concessionnaire, avec pour conséquence immédiate la fermeture d'entreprises et la perte de plusieurs milliers d'emplois », mettent-ils en garde.

Les acteurs demandent que l’examen de ce point fasse l'objet d'un report afin de permettre aux acteurs et aux autorités concernées d'échanger sur les enjeux et conséquences y afférents. Il en va, pour eux, de la préservation des intérêts du privé national et de la souveraineté économique.

Cela est d’autant plus vital, renchérissent nos sources, que le régime actuel ne peut se permettre de faire moins que ses prédécesseurs en matière de souveraineté et de promotion du privé national. En effet, à la suite de la médiation de 2014, des parts importantes ont été attribuées aux nationaux dans presque toutes les concessions intervenues sous Macky Sall. « Nous n’attendons pas moins du régime actuel, sur qui nous avons fondé beaucoup d’espoir pour une meilleure prise en charge des intérêts du secteur privé national », plaide l’acteur portuaire.

10 ha servis aux entreprises étrangères sans appel d’offre

Comme annoncé par EnQuête dans son édition du 9 septembre, si le Conseil d’administration valide le projet de Waly Diouf Bodiang, le môle 4 sera totalement privatisé. Les opérateurs qui, jusque-là, traitaient directement avec le PAD seront contraints de passer par des privés étrangers, choisis sans aucun appel d’offre. Selon les informations de EnQuête, l’espace en question s’étend sur environ 10 ha. Il est attribué à un groupe appelé Consortium Jambaar Holding SA, composé des entreprises suivantes : les Belges Conti-Lines, le Port d’Anvers-Bruges International, l’Espagnole Ership et enfin le groupe sénégalais Maor, que nos interlocuteurs disent ne pas connaître dans le secteur portuaire.

 

 

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