Abdou Aziz Seck “La meilleure riposte, c'est cesser le travail”
‘’Un manque de respect vis-à-vis de la Justice !’’ C’est ce que le président de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) pense de la décision des autorités de recaser certains commerçants du marché de Sandaga sur un site situé en face du Palais de justice Lat Dior. Dans cet entretien avec EnQuête, El Hadj Abdou Aziz Seck invite ses collègues magistrats, ainsi que le Bâtonnat et le Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust), à un arrêt de travail jusqu’à ce que les autorités renoncent à ce projet de recasement près de la devanture du tribunal.
La décision des autorités de recaser une partie des commerçants de Sandaga devant le Palais de justice de Dakar ne vous enchante pas, pourquoi ?
L’idée ne nous enchante pas du tout. Vous avez remarqué que des personnes qui n’avaient pas l’habitude de parler, en l’occurrence le premier président de la Cour d’appel de Dakar (Demba Kandji, NDLR) est monté au créneau pour dénoncer cet état de fait. Ce que nous ressentons dans cette affaire, c’est un manque de respect. Parce que nous ne pouvons pas concevoir qu’on vienne installer un marché devant le Palais de Justice qui est la vitrine du pouvoir judiciaire au Sénégal. Le préfet ou le maire - j’ignore qui, en dernier ressort, a pris cette décision - n’aurait pas l’idée d’aller installer un marché devant la Primature ou la Présidence de la République ou même devant l’Assemblée nationale. Donc cette situation, nous la considérons comme un manque de respect et nous estimons qu’il appartient aux acteurs du pouvoir judiciaire notamment les magistrats, les greffiers, les avocats et tous les autres de riposter.
Et comment ?
Personnellement en tant que président de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), je pense que la riposte la meilleure, c’est de cesser tout simplement de distribuer la justice. Qu’on ne juge pas, qu’on ne délivre aucun acte parce que la Justice, on ne peut pas la distribuer dans une ambiance ou dans un environnement d’insécurité et de désordre. Et vous savez qu’au Sénégal, les marchés sont des endroits où règnent le désordre et l’insécurité. Pour vous en convaincre, il suffit d’interroger les habitants de HLM, de Castor, qui ne cessent de se plaindre des désagréments qu’ils subissent du fait de la proximité avec le marché. C’est vraiment faire preuve de manque de respect que de venir installer un marché devant le Palais de justice. A mon avis, tout ce qu’il y a lieu de faire, c’est de cesser de distribuer la justice parce qu’on ne peut distribuer la justice quand il y a une insécurité. Vous vous imaginez qu'au moindre mouvement, les gens peuvent sortir du marché et envahir le tribunal. Moi, l’appel que je lance aux collègues, aux avocats, aux greffiers, à tout le personnel judiciaire, c’est de cesser le travail tant que le marché n’aura pas quitté les environs du Palais de justice.
N’êtes-vous pas en train d’appeler à la grève, alors que les magistrats n’en ont pas le droit ?
Je n’appelle pas à la grève. Je pense tout simplement que le pouvoir judiciaire, comme le dit la Constitution, est un pouvoir, et si les autorités ne le savent pas, il nous appartient, à nous les acteurs, de le leur faire comprendre.
A votre avis, qu’est-ce explique ce revirement des autorités alors que du temps où Aminata Touré étaient ministre de Justice, elles avaient reculé ?
Moi, je constate que quand Madame le Premier ministre était Garde des Sceaux, il était prévu de recaser une partie des marchands ambulants devant le Palais de justice. Nous nous étions offusqués de la situation et le Garde des Sceaux avait pris des mesures pour qu’elle cesse. Il m’est revenu qu’en tant que Premier ministre, elle avait pris l’engagementde faire en sorte que les marchands de Sandaga ne soient pas recasés ici. Donc j’ignore ce qui s’est passé entre temps, mais le fait est que nous, nous constatons qu’ils sont en train d’installer des bâches et des cantines devant le tribunal. Pour nous, cette situation-là n’est pas acceptable.
Avez-vous saisi votre ministre de tutelle à ce propos ?
L’actuel Garde des Sceaux n’était pas à Dakar quand la situation se présentait mais j’en ai parlé à son directeur de cabinet. Je sais que lePremier président de la Cour d’appel a saisi les plus hautes autorités. Mais comme je l’ai dit tantôt, cette situation ne fait que traduire un manque de respect vis-à-vis de la Justice.
Si les autorités ne reculent pas, que ferez-vous ?
Je suis le président de l’UMS, certes, mais je vais consulter le Bâtonnat et le Sytjust (Syndicat des travailleurs de la justice, NLDR) et nous
allons riposter à la hauteur de l’affront qui nous est fait. Moi je le dis encore, il faut cesser de distribuer la justice tant que cette situationdemeure.
Il y a aussi des menuisiers qui sont revenusaux abords du tribunal alors qu’ils avaientété déguerpis…
C’est toujours ce que je vous ai dit, si on avait mis la justice à sa place, toute cette situation ne se présenterait pas.
PAR FATOU SY