Publié le 30 May 2024 - 13:17

Contribution ouverte aux Assises de la justice sénégalaise

 

A l’heure actuelle de la politique criminelle avec l’essor des courants de pensée des précurseurs du mouvement de la défense sociale notamment Mireille Delmas Marty mais également de par l’esprit des penseurs classiques comme BECCARIA, une pratique exégétique et rigoureuse est prévue dans le Code de procédures pénale en ses articles 709 et suivant, et semble être dépassée. Beccaria disait qu’une bonne justice n’est pas celle qui frappe fort mais celle qui atteint tous les malfaiteurs. En effet, l’observateur s’est posé la question de savoir, s’il n’est pas opportun de revoir le régime juridique de la contrainte par corps au Sénégal ?

L’article 39 du code pénal sénégalais dispose que « L'exécution des condamnations à l'amende, aux restitutions, aux dommages intérêts et aux frais, pourra être poursuivie par la voie de la contrainte par corps. ». La contrainte par corps est ainsi définie comme l’incarcération du débiteur défaillant dans le but de le contraindre à payer. Il s'agit bien de contraindre l'esprit « par le corps » et non pas de se payer « sur le corps », c'est-à-dire de convaincre le débiteur de s'acquitter, s'il veut conserver ou recouvrer sa liberté. C’est l’exercice de cette forme de recouvrement de créance sur le corps qui a justifié sa naissance et son évolution.

En France, on parle aujourd’hui avec la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, de contrainte judiciaire qui a remplacé la notion de contrainte par corps. 

La créance doit impérativement porter sur une amende pénale ou fiscale mais aussi sur l’amende douanière. A son accession à l’indépendance et par conséquent à son autonomie législative, le Sénégal s’est conformé au contexte international sur la mesure. Ainsi à cette époque, la CPC était déjà abolie pour les créances civiles et commerciales et ne pouvait être conçue que dans le cadre d’une créance d’ordre pénal, fiscal et douanier. La contrainte par corps est aussi illégale en matière d’infraction politique mais aussi contre un mineur ou une septuagénaire (art 711).  La mesure est exécutée trois mois après que le jugement soit devenu définitif à compter du jour du jugement ou de la notification sur ordre du procureur de la république. Le procureur de la république en fonction que l’Etat ou un particulier soit créancier, établit un réquisitoire d’incarcération. Le réquisitoire d’incarcération est l’ordre donné par le procureur aux agents de la force publique d’aller chercher le débiteur défaillant et de le placer dans un établissement pénitentiaire. En effet le débiteur défaillant appelé aussi contraignable est placé dans cet établissement dans un quartier destiné à cet effet ou à défaut de quartier spécial, dans les locaux destinés aux détenus. Ainsi, il est soumis au même régime que les détenus sans pour autant être astreint au travail (art 719). Elle cesse selon l’art 717 qui dispose que « Les individus contre lesquels la contrainte a été prononcée peuvent en prévenir ou en faire cesser les effets soit en payant ou en consignant une somme suffisante pour éteindre leur dette, soit en fournissant une caution reconnue bonne et valable ».

Par ailleurs, la contrainte par corps produit des effets qui ne sont pas négligeables. Ces effets peuvent être constatés vis-à-vis des parties mais aussi sur la condamnation et surtout sur la CPC elle-même. D’abord en ce qui concerne les parties, il s’agit du créancier qui peut être soit l’Etat soit un particulier et du débiteur qui ne peut être qu’un particulier. Pour le créancier, la CPC permet le recouvrement de sa créance et par conséquent sa satisfaction dans la mesure où c’est une garantie de paiement pour lui. Par contre pour le débiteur, l’exécution entière de la CPC n’est pas libératoire de la dette, une exécution sur les biens présents ou à venir est possible. Aussi, la CPC n’a pas dans la pratique un caractère personnel ou individuel. Au cas où il serait insolvable, la famille du débiteur souvent paye à sa place même si le législateur reconnait expressément la caution qui doit se libérer dans le mois. Ensuite, en ce qui concerne les effets sur la condamnation, la contrainte par corps n’efface pas la condamnation sur le casier judiciaire. Elle facilite l’exécution de la condamnation mais ne l’efface pas. Et enfin pour les effets sur la CPC elle-même, lorsqu’elle prend fin soit par le paiement de la somme due, soit par l’expiration de sa durée, qu’elle soit à la requête du ministère public pour les condamnations au profit de l’Etat ou des particuliers pour les condamnations à leur profit, elle ne peut plus être exigée pour la même dette.

Un regard sur le rétroviseur per mettrait de faire l’historique de la CPC avant d’avancer qu’il faut nécessairement revaloriser les montant en jeu.

  1. HISTORIQUE DE LA CONTRAINTE PAR CORPS

La contrainte par corps fut extrême et sadique avant d’être humaniser néanmoins, elle garde son caractère comminatoire et trop radicale.

Dans l'ancienne cité athénienne, par exemple, l'asservissement fut le sort de celui qui ne voulait ou ne pouvait pas payer, jusqu'à que SOLON le libérateur abolisse le procédé draconien au XI siècle avant Jésus- Christ par la fameuse « levée du fardeau ».  On se souvient également qu'à Rome, la loi des XII Tables rappelait aux citoyens la valeur de l'engagement solennel et de la décision judiciaire. C'est ainsi que, en cas de nexum, le créancier pouvait se saisir de l'emprunteur qui manquait à son obligation de remboursement, le conduire dans sa prison privée et le forcer à travailler jusqu'à se désintéresser par ce paiement en nature. Par ailleurs, en cas de procès, la partie perdante avait trente jours pour s'acquitter de sa condamnation pécuniaire. Ce délai vainement écoulé, elle était conduite de force devant le préteur, qui lui donnait une dernière chance de s'exécuter ou de bénéficier du secours d'une caution, à défaut de quoi elle était remise au créancier. Ce dernier l'emmenait alors chez lui et l'y retenait pendant soixante jours, entrecoupés à trois reprises par une exposition de l'intéressé sur la place publique sauf les femmes par égard pour les mœurs publiques, où un vindex   était susceptible d'être apitoyé et de payer à sa place. À l'issue de la troisième présentation, le débiteur pouvait être mis à mort ou conduit au-delà du Tibre pour y être vendu comme esclave à un étranger. Si le malheureux avait plusieurs créanciers, ceux-ci recevaient le droit de découper son corps en autant de morceaux à due proportion de leur créance. L'essor politique et social de la plèbe endettée conduisit néanmoins à l'adoption en 326 av. J.-C. de la loi « Poetelia papelia » ou « Petelia Papiria » qui, privilégiant finalement l'exécution sur les biens, supprima la rigueur du nexum, puis à la transformation progressive de l'addictio en prison pour dettes. Mais de semblables pratiques survécurent longtemps encore, sous le nom latin d'obnoxatio, chez les Germains et les Gaulois. Prison pour dettes.  Si l'évolution historique du champ d'application de la contrainte par corps n'est pas linéaire, elle peut néanmoins être décrite en deux étapes fondamentales : la mesure a été progressivement réservée, tout d'abord, aux créances publiques comme l'exprimait l'adage de LOYSEL « toutes dettes du roi sont payables par corps », et ensuite, parmi celles-ci, aux seules créances pénales. Aussi, la contrainte par corps fut prévue pour l’ensemble des dettes peu importait sa nature. Autrement dit les dettes commerciales et civiles pouvaient faire l’objet d’une contrainte par corps, d’aucuns ont considéré que c’était attentatoire à la liberté du débiteur. Cela a été supprimé aujourd’hui seules les dettes à caractère pénal peuvent faire l’objet d’une CPC. Historiquement, la contrainte par corps a pu être subie en divers endroits : l'ergastule du créancier qui est le domicile du débiteur devant lequel un gardien était posté, un établissement carcéral spécialement ou notablement dédié aux « dettiers ». Il est actuellement prévu que « la contrainte par corps est subie en établissement pénitentiaire, dans le quartier à ce destiné ».

Le Sénégal dans son code procédure pénale avec la loi 99-06 du 29 janvier 1999 venue en renfort, notamment en ses articles 709 jusqu’à 723 semble adopter la conception contemporaine de la CPC. Autrement dit, la CPC est prononcée contre un débiteur de l’Etat ou d’un particulier dans l’optique de l’inciter à s’acquitter de sa dette.

  1.  LA REVALORISATION NECESSAIRE DES MONTANTS EN JEU

Le législateur sénégalais prévoit que, peut être emprisonné jusqu'à 2ans de prison pour un montant de 400 000 FCFA.

Le législateur dans le CPP prévoit pour la répression de la CPC des durées minimas et des maximas. Un parcours de l’article 710 CPP pourrait facilement attirer l’attention sur la sévérité de la sanction et cela témoigne de l’attachement du législateur à la force obligatoire de la loi et permet ainsi d’assurer l’effectivité de l’exécution des sentences pénales. Un œil porté sur l’arsenal répressif français permet de constater le caractère anachronique de la conception sénégalaise et que la durée est terriblement disproportionnée à l’état actuel de la politique criminelle.

La durée de la contrainte par corps est réglée ainsi qu’il suit par l’article 710 CPP :

- De deux à dix jours lorsque l’amende et les condamnations pécuniaires n’excèdent pas 5.000 francs;

- De dix à vingt jours lorsque, supérieures à 5.000 francs, elles n’excédent pas 15.000 francs;

- De vingt à quarante jours lorsque, supérieures à 15.000 francs, elles n’excèdent pas 25.000 francs;

- De quarante à soixante jours lorsque, supérieures à 25.000 francs, elles n’excèdent pas 50.000 francs;

- De deux à quatre mois lorsque, supérieures à 50.000 francs, elles n’excèdent pas

100.000 francs;

- De quatre à huit mois lorsque, supérieures à 100.000 francs, elles n’excèdent pas 200.000 francs;

- De huit mois à un an lorsque supérieures à 200.000 francs elles n’excèdent pas 400.000 francs;

- D’un an à deux ans lorsqu’elles excèdent 400.000 francs.

En matière d’amende de police, la durée de la contrainte par corps ne peut excéder un mois. Elle est réduite de la moitié, sans que la durée ne puisse jamais être au-dessous de vingt-quatre heures, pour les condamnés qui justifient de leur insolvabilité en produisant : Un certificat du receveur des contributions de leur domicile constatant qu’ils ne sont pas imposés et un certificat du chef de la circonscription administrative dans laquelle ils ont leur domicile.

Ajoutons que dans la pratique, le constat est que le juge, pour plus de rigueur, a tendance à prononcer la CPC au maximum. C’est presque devenu une clause de style. Une synthèse de cette disposition permet de noter que pour Cinq milles franc (5000f), le législateur retient son citoyen pour 10 jours, et pour la modeste somme de quatre cent milles franc (400.000f), il retient pour 2 ans : chose extraordinaire. Un parcours de l’article 750 CPP français ferait susciter des interrogations quant au système sénégalais.  Cet article dispose ainsi : le maximum de la durée de détention est fixé à :

-vingt jours lorsque l'amende (ou la confiscation) prononcée est au moins égale à 2 000 € (Soit 1 318 000 FCFA) sans excéder 4 000 € (Soit 2 636 000 FCFA) ;

-à un mois lorsqu'elle est supérieure à 4 000 € sans excéder 8 000 € (Soit 5 272 000 FCA) ;

-à deux mois lorsqu'elle est supérieure à 8 000 € sans excéder 15 000 € (Soit 9 885 000 FCFA) ;

-à trois mois lorsqu'elle est supérieure à 15 000 €

Il en résulte que la contrainte judiciaire est exclue si le montant de la dette est inférieur à 2 000 €.

Là où, pour 400 000 FCFA, le législateur sénégalais retient pour 2 années d’emprisonnement, le législateur français retient pour 20 jours une créance à hauteur de 1.318.000 FCFA soit 4000 €. En effet, l’anachronisme de cette pratique est plus manifeste au niveau des enjeux économiques mais aussi eu égard à la longévité de la détention. L’objectivisation de cette pratique passerait nécessairement à las reconsidération des formalités à accomplir pour son déclenchement avec surtout la justification objective de la carence.

Par Babacar GUEYE

Juriste, chercheur en Sciences criminelles.

Section: 
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