Environ 600 milliards de F CFA de pertes pour le Sénégal, en cas d’arrêt de trafic
Si le Sénégal perd le corridor Dakar - Bamako, c’est une perte énorme chiffrée à environ 600 milliards de francs CFA pour le pays. C’est ce qu’a relevé hier le secrétaire général des Groupements économiques du Sénégal (Ges), Sahibou Guèye, lors d’une conférence presse de leur organisation sur les impacts de la décision d’isolement du Mali prise par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a décidé, le dimanche 9 janvier dernier, de fermer les frontières et de suspendre les échanges avec le Mali. L’institution sous-régionale a sanctionné le refus des hommes d’Assimi Goïta, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2020, de rendre la place aux civils dans un proche avenir. Cette décision politique n’est pas sans conséquence économique aussi bien pour le Mali que pour les sept pays frontaliers comme le Sénégal.
‘’Les décisions politiques impactent sur les activités économiques. C’est pour cela que nous avons décidé de jeter les bases d’une collaboration entre les différents acteurs économiques que nous sommes, pour élaborer un mémorandum qui pourra mettre aux autorités de savoir la réalité de l’impact de cette mesure sur les activités économiques. Certains observateurs du monde économique disent que si ces mesures contre le Mali ne sont pas levées, la poursuite du projet du port de Ndayane serait inutile. Et je suis de ceux qui le pensent’’, relève le secrétaire général des Groupements économiques du Sénégal (Ges).
Sahibou Guèye, qui intervenait hier, lors d’une conférence de leur organisation, a soutenu que si les autorités de la CEDEAO ont pris cette décision de prendre des mesures de rétention contre le Mali, le but, et qui ‘’n’a pas été dit’’, était ‘’d’étrangler le pays, de mettre les populations en souffrance ‘’au point qu’une ‘’explosion sociale s’en suive’’. ‘’Parce que sans carburant, sans pain, sans blé, sans farine, sans riz, les populations ne pourront pas rester dans les maisons. C’est le but, et il faut se battre pour qu’elle ne l’atteigne pas. Si le Sénégal perd ce corridor, c’est une perte énorme chiffrée à environ 600 milliards de francs CFA, sans parler des activités des Entrepôts maliens au Sénégal, les projets déjà démarrés entre les deux pays, etc.’’, signale M. Guèye.
Aujourd’hui, poursuit le président du Collectif des entreprises agréées pour le transport et la livraison des conteneurs, le Mali est le premier partenaire économique du Sénégal au niveau de la sous-région. ‘’C’est au minimum 250 milliards d’échanges par an. Donc, c’est un enjeu extrêmement important. Sur les 20 millions de tonnes qui sont débarquées l’année dernière au port de Dakar, les 4 millions, c’était des marchandises destinées au Mali. Le Mali est frontalier à sept pays. L’importation du Mali est contrôlée à 70 % par le Sénégal. Ce sont les 30 % qui sont contrôlés par les six autres pays. Donc, ce que nous ressentons par rapport à cet isolement du Mali est beaucoup plus corsé par rapport aux autres pays’’, note Mbaye Mbengue qui est également du Regroupement des acteurs portuaires du Sénégal.
Le président du Collectif des entreprises agréées pour le transport et la livraison des conteneurs souligne qu’il y a aussi les cimenteries qui sont au nombre de trois : Dangote, Sococim et Ciment du Sahel. ‘’Ces trois usines font un million de tonnes par an, destinées au marché malien. Il y a également les produits pétroliers qui passent ici, et qui sont estimés à 1,7 million de tonnes. Ce qui est immense comme enjeu économique, en plus de tout ce qui tourne comme activité sur le corridor Dakar - Bamako. Il y a aussi les entreprises qui sont dans la transformation agroalimentaire et celles qui sont dans les produits de beauté et qui exportent sur le Mali et continuent jusqu’au Burkina et au Niger’’, renchérit-il.
L’élaboration d’un mémorandum en vue
Pour que cette situation ne perdure pas au détriment de l’économie des deux pays, les acteurs économiques des deux pays ont envisagé de rédiger un mémorandum à remettre aux autorités locales. ‘’Nous allons élaborer un mémorandum pour que les chefs d’État sachent que ce sont les opérateurs économiques de la sous-région qui leur apportent ce conseil. Il faut que le secteur privé sénégalais et le secteur privé malien se joignent et qu’on essaie de parler aux chefs d’État de la CEDEAO et au président de la transition malienne. Nous sommes tous des frères et aller dans un esprit de guérilla ne réglera rien. Au contraire, cela va retarder l’Afrique et aider la Covid-19 à mettre plus à terre nos économies’’, explique le président de la Coordination des professionnels des transports routiers du Sénégal.
D’après Momar Sourang, le colonisateur (NDLR : la France) connait les richesses de l’Afrique. ‘’Il sait que si on mettait de côté notre divergence économique, demain, nous parlerions d’une seule et même voix. Et nous leur parlerions d’égale dignité. On a 70 % des terres arables jamais cultivées qui se trouvent en Afrique. Nous avons l’eau, le soleil. Nous sommes un continent riche en pétrole, or, bauxite, manganèse et en phosphate. Qu’est-ce qui nous empêche de nous développer ? C’est qu’il faudrait qu’on écoute les acteurs du secteur privé, afin qu’ils puissent dire comment mettre en place un cadre qui va nous permettre de vraiment s’unir. Tant qu’on reste dans une logique de région, on ne pourra jamais aller de l’avant’’, ajoute-t-il.
Pour que l’intégration sous-régionale soit une réalité, les transporteurs plaident pour l’établissement d’une plaque d’immatriculation commune. ‘’Nous avons des passeports CEDEAO, une carte d’identité CEDEAO et nous demandons à avoir une plaque d’immatriculation CEDEAO. Puisque nous avons constaté que, qu’elle soit bleue ou jaune, elle fait parfois l’objet de traitement défavorable. Aujourd’hui, on parle de lever des frontières, de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), etc. Il y a beaucoup d’initiatives qui sont prises pour que l’Afrique puisse se réunir. Si nous voulons, demain, commercer avec le reste du monde, nous devons rester ensemble’’, indique M. Sourang.
Le Sénégal et le Mali étant ‘’le même pays’’, d’après Fatoumata Soumanou Ndao, Cheffe d’entreprise malienne résidant à Dakar, par ailleurs Secrétaire générale du Réseau de soutien pour l’entrepreneuriat féminin, il urge de trouver une issue heureuse à cette situation. ‘’Nous partageons le même espace économique. Le secteur privé joue un rôle clé dans l’économie. Sans le secteur privé, on ne peut pas développer un pays. C’est le privé qui crée des emplois, de la richesse. L’impact de la Covid est tellement difficile pour nous.
Nous souhaiterions que les deux discutent pour trouver une solution face à cette situation. Le Sénégal est un pays de dialogue, parce que les conséquences de cette mesure seront partagées. Nous sommes dans le même bateau et c’est le dialogue qui peut régler tout problème. Nous nous battons pour l’avenir de nos enfants. Toute femme qui se lève le matin pour développer son activité, c’est pour aider ses enfants et son mari. Or, aujourd’hui, les femmes qui sont dans le secteur informel n’arrivent plus à développer leurs activités. Donc, nous aimerions qu’on trouve une solution le plus rapidement possible. Parce qu’un pays ne peut pas se développer sans circulation des biens et des personnes. On ne peut pas parler d’activité quand les gens sont enfermés’’, fait savoir cette femme qui fait partie des premières importatrices de ciment du Sénégal vers son pays d’origine.
MARIAMA DIEME